Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Turquie (suite)

D’innombrables petits mausolées, de formes diverses — rectangulaires, plus souvent circulaires ou polygonaux et gardant alors le souvenir lointain de la tour funéraire d’Iran —, sont épars dans les villes, dans la steppe, par groupes (trois mausolées d’Erzurum) ou seuls. Kayseri, qu’on a nommé la « ville aux mausolées », possède le plus connu, le Dönerkümbet (xiiie s.), au décor assez mutilé ; mais celui de Mamahatun à Tercan (xiiie s.) l’emporte sans doute pour l’intérêt, celui de Hüdaventhatun à Niğde (1312) pour la beauté.

Les murailles qui ceignaient les villes ont été en majeure partie détruites, souvent à une époque récente ; celles de Konya, dont nous possédons maintes descriptions, ont disparu après 1850, non sans qu’aient été recueillis plusieurs des nombreux reliefs antiques ou islamiques qui les ornaient : les Seldjoukides, par un trait insigne de civilisation, ne se contentaient pas d’utiliser en architecture les spolia, mais constituaient de véritables collections d’antiques dont ils ornaient leurs villes.


L’art des principautés

L’art que nous disons seldjoukide s’est prolongé assez longuement, mais non sans évoluer, après la disparition de l’Empire, d’abord sous la domination mongole, puis au temps des principautés. Au cours du xive s., les artistes portent moins d’intérêt à la sculpture : le figuratif se fait plus rare, les reliefs s’estompent, les stalactites deviennent plus molles, le méplat plus conventionnel ; dès le xve s., elle perdra tout intérêt. En revanche, les revêtements de céramique occupent plus de place ; ils finiront par constituer, sous les Ottomans, la plus belle parure de l’édifice. En même temps se produit un renversement de l’ordre des priorités architecturales. Si l’on construit encore de beaux caravansérails (jusqu’à l’époque moderne), ceux-ci ne présentent plus les exceptionnelles qualités de leurs prédécesseurs.

La mosquée redevient le monument essentiel qu’il est habituellement en islām. Autour d’elle se groupent les autres constructions qu’on peut considérer comme religieuses, les medrese d’abord (avec constitution de mosquées-medrese), les tombeaux, puis bientôt les annexes diverses formant un grand complexe (külliye). D’une façon générale, la mosquée de village des Seldjoukides, avec unique salle carrée sous coupole, devient un objet d’attention. Une science plus grande, qui permet l’élargissement des dômes, l’aménagement de ce qui est un compromis entre le portique et le narthex lui donnent une apparence monumentale. À Iznik (Nicée), les Ottomans en tireront parti (mosquée Verte, 1378-1391). Quant aux grandes mosquées, elles voient le nombre de leurs nefs diminuer, la cour à portiques réapparaître, la coupole plus souvent employée. À Selçuk (Éphèse), la mosquée d’Isa Bey n’a plus que deux nefs et une travée abritée par deux dômes (1375). Dans ce processus de transformation, la Grande Mosquée de Manisa marque une étape importante (1366). Il semblerait qu’elle soit faite par insertion dans un édifice à huit nefs et six travées d’une mosquée à coupole villageoise. Curieusement, une telle solution avait déjà été employée par les Seldjoukides à la Grande Mosquée de Silvan (xiie s.), mais alors par démarquage d’Ispahan.


Première architecture ottomane

C’est dans leur première capitale, Brousse* (Bursa), que les Ottomans donnent vraiment naissance à un nouveau type de mosquée. Ils s’inspirent de la structure même de la medrese seldjoukide, des efforts faits à Iznik, des recherches architecturales de leurs rivaux, auxquels ils empruntent divers éléments, de modèles étrangers (arcs géminés italianisants de la mosquée de Murad I, 1363). La Grande Mosquée de Brousse (1379-1421) est encore divisée en nefs et en travées, mais celles-ci reçoivent à leur intersection une série de petites coupoles. Elle représente une exception insigne dans une production considérable qui reprend, en le transformant, l’ancien plan cruciforme et aboutit à des édifices remarquables par leur silhouette et leur originalité mais fort mal adaptés au culte musulman (mosquées d’Orhan, 1339 ; de Bayezid, 1400 ; mosquée Verte, 1424). Autour de la mosquée de Murad II (1424), des mausolées, entourés de verdure, font un jardin de la nécropole royale. Ailleurs, d’autres tombeaux laissent, comme ceux-ci, apparaître l’héritage seldjoukide (tombeau Vert, xve s.). C’est à Édirne (Andrinople), la capitale européenne, que les Ottomans reviennent à un plan plus canonique. L’Üçşerefeli Cami (1437) présente une grande cour bordée de portiques devant une salle rectangulaire que couvre un dôme de 24 m de diamètre flanqué de quatre coupoles plus petites.


L’art ottoman classique

Les recherches passionnées des architectes turcs sont prodigieusement stimulées après la prise de Constantinople par l’exemple de Sainte-Sophie. Sinaneddin Yusuf († 1578) puis Hayreddin (1481-1512) ont l’idée de buter la coupole centrale d’abord sur une demi-coupole (première mosquée de Fatih, refaite depuis), puis sur deux ou quatre demi-coupoles. C’est cette solution que systématisera l’époque classique (xvie-xviie s.). On a pu la sous-estimer en voyant en elle une copie de la basilique chrétienne : en fait, les Turcs, qui approchaient déjà de cette solution, n’ont pas imité servilement Sainte-Sophie. Le tambour de leurs mosquées est plus haut, le dôme est surhaussé, les fenêtres plus abondantes, les coupoles et les demi-coupoles s’étagent habilement, créent un effet pyramidal ; les longs minarets fuselés, terminés en éteignoirs, contribuent encore à l’allégement de l’ensemble. Istanbul* offre un choix unique de grandes mosquées, dont les dates sont connues approximativement : celles de Bayezid (1501-1505), de Selim (1520-1522), de Şehzade (1544-1548), la mosquée Süleymaniye (1550-1557), celle de Sultan Ahmed, dite aussi « mosquée Bleue » (1609-1616) ; mais il s’en trouve dans toutes les villes provinciales (Diyarbakır, Konya, Amasya, etc.), et la plus belle est sans conteste celle d’Edirne, la Selimiye (1569-1575). Le grand Sinan* la fit à l’âge de quatre-vingts ans ! Son audace, son équilibre, l’ingénieux décrochement du mur du fond lui donnent une valeur inégalable. Autour d’elle, comme autour de tous les grands sanctuaires, se groupent plus que jamais les autres bâtiments, et leur composition finit par occuper tout un quartier de la ville (külliye de la Süleymaniye).