Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Turquie (suite)

La littérature contemporaine

La guerre et la révolution kémaliste amènent une rupture brutale avec la vieille culture orientale. En 1928, l’alphabet latin remplace l’alphabet arabe. Prose et poésie se développent, de 1920 à 1940, selon les mêmes lignes. Les poètes de la République — mis à part Yahya Kemal Beyatlı (1884-1958), qui continue à utiliser la métrique de la littérature du divan — emploient une langue simple et des formes métriques régulières (métrique syllabique dite hece) : ainsi Orhan Seyfi Orhon (né en 1890), Yusuf Ziya Ortaç (1895-1967), Faruk Nafiz Çamlibel (né en 1898), Kemalettin Kamu (1901-1948), Enis Behiç Koryürek (1891-1949).

Nâzım Hikmet Ran (1902-1963), qui débute en employant le hece, devient le plus grand représentant du vers libre. Décrivant la destinée des peuples d’Anatolie et commentant la guerre d’indépendance, il ouvre de nouvelles voies dans la littérature, tandis que Zeki Ömer Defne (né en 1903) et Ârif Nihat Asya (né en 1904) reprennent dans leurs poèmes les vieilles croyances populaires et des éléments folkloriques. Dans le genre de la nouvelle, Sait Faik Abasıyanık (1906-1954) et Sabahattin Ali (1906-1948), qui ont pris la succession de Ömer Seyfeddin (1884-1920), Halide Edip Adıvar, Yakup Kadri Karaosmanoğlu (né en 1889), Reşat Nuri Güntekin (1889-1956) et Ahmed Naim (1904-1967), renouvellent à partir de 1935 la littérature turque, l’un par des nouvelles dont l’action est en général située à Istanbul, l’autre en puisant ses sujets dans la vie anatolienne.

Sans avoir participé à la Seconde Guerre mondiale, la Turquie subit, entre 1940 et 1945, d’importantes transformations sur le plan social et culturel. Elle se trouve à un carrefour d’influences opposées, tant dans le domaine des choix politiques que dans celui de l’expression des idées et des sentiments. Orhan Veli Kanik (1914-1950), Melih Cevdet Anday (né en 1915) et Oktay Rifat (né en 1914) suppriment dans leurs poèmes toute rime et toute règle métrique afin de se consacrer à l’expression de la vie quotidienne et des sentiments éprouvés par tous. Au cours des mêmes années se sont fait connaître Behçet Kemal Çağlar (1908-1969), Cahit Sıtkı Tarancı (1910-1956), Asaf Halet Çelebi (1907-1958), Bedri Rahmi Eyüboğlu (né en 1913), Cahit Külebi (né en 1917), Behçet Necatigil (né en 1916), Nahit Ulvî Akgün (né en 1918), Ömer Faruk Toprak (né en 1920), Fazıl Hüsnü Dağlarca (né en 1914), Necali Cumalı (né en 1921), Ceyhun Atuf Kansu (né en 1919), Attilâ Ilhan (né en 1925), Rifat Ilgâz (né en 1911) et Ahmed Akif (né en 1925). La « génération » suivante, qui se révèle au cours des années 50, a de la poésie une conception quelque peu différente de celle de ses aînés ; composée de Turgut Uyar (né en 1927), d’Edip Cansever (né en 1928), de Cemal Süreya (né en 1931), de Metin Eloğlu (né en 1927), d’Ümit Yaşar (né en 1926) et de Hasan Hüseyin (né en 1927), elle est rejointe par une « nouvelle vague » avec Ahmed Oktay (né en 1933), Gülten Akin (née en 1933), Bekir Sıtkı Erdoğan (né en 1926), venu tardivement à la poésie, et Ülkü Tamer (né en 1937).

Le grand représentant de la poésie populaire, toujours accompagnée du saz, reste Âşik Veysel (1894-1973).

Une grande partie des prosateurs qui succèdent à Sait Faik Abasıyanık et à Sabahattin Ali traitent de la misère matérielle et dénoncent les injustices sociales qui touchent paysans et travailleurs des villes. On qualifie habituellement le genre qu’ils pratiquent de « réalisme social ». Au cours des années 40 et 50, les lecteurs turcs éprouvent un regain d’intérêt pour les « anciens » qui continuent à écrire : Samet Ağaoğlu (né en 1909), Kemal Bilbaşar (né en 1910), Samim Kocagöz (né en 1916) et Halikarnas Balikçisi (de son nom Cevat Şakir Kabaağaçli [1887-1973]). Le grand nom de la nouvelle réaliste est sans conteste Orhan Kemal (1914-1970). À ces noms, il faut encore ajouter ceux d’Oktay Akbal (né en 1923), de Haldun Taner (né en 1916) et ceux, déjà connus dans la poésie, de Necati Cumali et de Rifat Ilgâz. Ce dernier écrit sur un ton humoristique et satirique, tout comme le grand maître contemporain de la nouvelle, Aziz Nesin (né en 1915). À ces talents confirmés et à Burhan Arpad (né en 1910) succèdent Mehmet Seyda (né en 1919), Tarık Buğra (né en 1918), Vüs’at O. Bener (né en 1922), Zeyyad Selimoğlu (né en 1922), Nezihe Meriç (née en 1925), Talip Apaydin (né en 1926), Leylâ Erbil (né en 1931), Orhan Duru (né en 1933), Ferit Edgü (né en 1936), Bekir Yıldız (né en 1933), Selim Ileri (né en 1949), Ümit Ilhan Kaftancıoğlu (né en 1934) et Osman Şahin (né en 1938). Tous ont pour thèmes privilégiés la vie et les difficultés des paysans d’Anatolie.

La personnalité marquante du roman turc des dernières années est Kemal Tahir (1910-1973), tandis que la jeune génération est représentée par Fakir Baykurt (né en 1929), Tarık Dursun (né en 1931), Oğuz Atay (né en 1934), Demirtaş Ceyhun (né en 1934), Ümit Ilhan Kaftancioğlu et Erol Toy (né en 1936). Un sujet particulier, l’émancipation de la femme, préoccupe un certain nombre d’écrivains comme Peride Celâl (née en 1916), Nezihe Meriç, Çetin Altan (né en 1926) et Cengiz Tuncer (né en 1931).

Depuis la fondation de la République, la plupart des romanciers turcs écrivent dans un style simple et direct. Dans les années 50, les courants existentialiste et surréaliste influencent certains écrits, mais on ne peut pas dire que ces courants aient de grands représentants dans la littérature turque. Contrairement à la volonté de simplicité, voire de simplification du style manifestée par les romanciers, les poètes font usage depuis les années 60 d’une langue difficile, complexe tout autant dans la forme que dans le fond.

Par ailleurs, le xxe s. voit le développement du théâtre en Turquie. Dans ce domaine, la grande innovation est l’apparition, au début du siècle, d’actrices pour tenir les rôles féminins, jusque-là tenus par des hommes — ou par des Arméniennes — pour des raisons religieuses. Ibnürrefik Ahmed Nuri se fait un nom avec ses vaudevilles, Halit Fahri Ozansoy (1891-1971), Yusuf Ziya Ortaç (1895-1967) et Mehmed Rauf écrivent des pièces en prose. Ahmed Bari, Halil Ibrahim, Aka Gündüz (de son nom Enis Avni [1886-1958]), Reşat Nuri Güntekin (1889-1956) donnent au théâtre des pièces politiques et documentaires ; Celâl Esat Arseven, Refik Halid Karay (1888-1965) et Ibnürrefik Ahmed Nuri composent des drames historiques, tandis que Aka Gündüz et Zeliha Osman prennent la guerre pour sujet ; Nigâr Hanim (1862-1918), Halid Ziya Uşaklıgil, Reşat Nuri Güntekin, Hüseyin Suat Yalçin (1867-1942), Yakup Kadri Karaosmanoğlu (né en 1889), Yusuf Ziya Ortaç et Mussahipzade Celâl traitent des problèmes de la famille et de la société modernes. Mehmed Rauf, Cenap Sahabeddin, Todori Akillioğlu et Ali Ekrem Bolayir (1867-1937) se penchent sur les difficultés de la vie affective. Un théâtre national est créé en 1923. Les acteurs de la troupe Darülbedayi, fondée en 1913-14, se dispersent pour animer de nouvelles troupes. Ceux qui restent dans la troupe initiale sont dirigés de 1926 à 1966 par Celâl Esat Arseven et forment en 1934 le Théâtre de la Ville d’Istanbul. Dans les grandes villes se constituent d’autres troupes privées qui ne bénéficient pas du soutien de l’État. Enfin, en 1949, est fondé à Ankara un théâtre d’État qui effectue des tournées à l’intérieur de la Turquie et à l’étranger. Toutes les troupes présentent aussi bien des œuvres classiques étrangères que des créations nationales, comme celles de Reşat Nuri Güntekin, d’Ahmet Kutsi Tecer (1901-1967), de Cevat Fehmi Başkut (né en 1905), de Nahit Sırrı Örik (1895-1960), d’Ahmet Muhip Dranas (né en 1909), de Haldun Taner (né en 1916), d’Oktay Rifat, de Güngör Dilmen Kalyoncu (né en 1930), d’Hidayet Sayin (1929), d’A. Turhan Oflazoğlu (né en 1932), de Çetin Altan (né en 1926), de Başar Sabuncu (né en 1943), de Recep Bilginer (né en 1922), de Necati Cumali (né en 1921), de Güngör Dilmen Kalyoncu, de Cevat Fehmi Başkut et de Yılmaz Güney (né en 1931), qui est aussi cinéaste.

M.-C. S.