Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Turquie (suite)

Les industries manufacturières ont connu d’autre part un développement notable avec des capitaux d’État (textile notamment) et privés. Elles sont extrêmement diffuses. Après les centres importants d’Istanbul (un tiers de la production industrielle) et d’Izmir (un sixième), Brousse, Adana, Ankara et beaucoup de villes moyennes (Eskişehir, Kayseri, Malatya, Erzurum, Sıvas) sont des foyers industriels plus ou moins importants. Les industries alimentaires, notamment, sont très dispersées. L’industrie cotonnière est relativement concentrée, pour 40 p. 100 en Cilicie (Adana, Tarsus, Mersin).

Néanmoins, le pays reste essentiellement agricole : 75 p. 100 de la population active demeurent engagés dans l’agriculture. Le commerce extérieur est dominé par l’exportation des produits agricoles. Trois postes, coton, tabac, fruits (noisettes, raisins secs et figues) se situent à peu près à égalité au premier rang, représentant ensemble près du tiers du total. Puis viennent les minerais (10 p. 100) avant les produits de l’élevage (il existe un troupeau de 12,5 millions de bovins et de plus de 35 millions d’ovins) : laine, peaux et viande. La part des produits finis ou semi-finis, parmi lesquels dominent ceux de l’artisanat du tapis, n’atteint pas 10 p. 100. Deux éléments importants comblent partiellement le chronique et lourd déficit de la balance commerciale : le tourisme (900 000 visiteurs en 1972) et le revenu des travailleurs émigrés à l’étranger, essentiellement en République fédérale d’Allemagne. Celle-ci est d’ailleurs aussi (devant les États-Unis) le principal partenaire commercial du pays.

La Turquie reste un peuple de paysans. Le niveau de vie n’augmente que très lentement (indice du revenu national par tête : 160 en 1970 pour 100 en 1938). Le produit intérieur par habitant était estimé à 546 dollars seulement par habitant en 1973. L’extension des surfaces cultivées a permis, jusqu’à présent, de faire face à la croissance démographique, mais elle atteint son terme. Les déséquilibres régionaux (extrême sous-développement et archaïsme social de l’Anatolie orientale) restent contraignants. L’édification d’une société urbaine et industrielle moderne à partir de ces bases sera difficile.

X. P.

➙ Anatolie / Ankara / Istanbul / Izmir.

 H. Wenzel, Forschungen im Inneranatolien (Kiel, 1937). / H. Louis, Das natürliche Pflanzenkleid Anatoliens (Stuttgart, 1939). / Z. Y. Hershlag, Turkey, an Economy in Transition (La Haye, 1958 ; 2e éd., Turkey, the Challenge of Growth, Leyde, 1968). / W. D. Hütteroth, Bergnomaden und Yaylabauern im mittleren kurdischen Taurus (Marburg, 1959) ; Ländliche Siedlungen im südlichen Inneranatolien in den letzten Vierhundertjahren (Göttingen, 1968). / X. de Planhol, De la plaine pamphylienne aux lacs pisidiens, nomadisme et vie paysanne (A. Maisonneuve, 1959). / N. Tunçdilek et E. Tümertekin, The Population of Turkey (trad. du turc, Istanbul, 1959). / J.-P. Roux, Turquie (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1968) ; les Traditions des nomades de la Turquie méridionale (A. Maisonneuve, 1972). / E. Tümertekin, Internal Migrations in Turkey (trad. du turc, Istanbul, 1968). / R. Stewig, Bursa, Nordwestanatolien (Kiel, 1970). / J. C. Dewdney, Turkey (Londres, 1971).


L’histoire

L’Asie Mineure, la région des Détroits, la Thrace occidentale, avant de passer progressivement sous la domination des Turcs à partir de la fin du xie s., avaient connu une histoire plusieurs fois millénaire, histoire au demeurant d’une richesse exceptionnelle et d’une importance insigne pour l’humanité tout entière puisque marquée, depuis Çatal höyük, la plus vieille ville du monde, par l’action successive des Hittites, des Phrygiens, des Lyciens, des Perses, des Grecs, des Romains, des premiers chrétiens et des Byzantins. De leur côté, les Turcs*, avant d’occuper ces territoires, avaient vécu longtemps en Sibérie, en Mongolie, en Asie centrale, dans ce que nous nommons les deux Turkestans et ils y avaient fondé des empires des steppes, grandioses, mais éphémères. Rien ne semblait devoir prédisposer ce sol et ces hommes à se rencontrer, rien ne les préparait à cette fusion si complète qui a fait du paysan turc un individu profondément attaché à sa terre, de tout citoyen un ardent patriote : le double héritage pèse encore sur les héritiers et conditionne dans une large mesure leurs modes de pensée et leur manière de vivre.


La formation de la Turquie

Ce qui est aujourd’hui la Turquie ne l’est donc devenu que lentement. Il est impossible de lui donner une date de naissance. Au sens propre du terme, la Turquie est née seulement à l’issue de la Première Guerre mondiale de la décomposition de l’Empire ottoman, comme sont nés en même temps, ou un peu avant, de ce même empire, les États arabes du Proche-Orient et les États chrétiens des Balkans. Au sens le plus large, elle remonte à la dynastie des Seldjoukides*, et son histoire peut se confondre avec l’histoire de celle-ci, puis avec celle des Ottomans*. En 1064, les premières bandes armées turques sous la direction des descendants de Selçuk (ou Saldjūk) quittent l’Iran, où elles sont installées depuis peu, pour envahir l’Arménie ; elles prennent Ani et Kars. En 1071, elles se heurtent aux Byzantins à la bataille de Mantzikert (auj. Malazgirt), ce qui leur permet d’occuper une grande partie de l’Anatolie jusqu’aux abords de la mer Égée.

Cependant, ni le sultanat seldjoukide de Rūm ni l’Empire ottoman ne préfigurent la Turquie moderne. Ni l’un ni l’autre ne forment vraiment des États turcs accomplis. La langue officielle est le persan, et les terres que les sultans dirigent sont encore habitées par une majorité de Grecs, d’Arméniens, de Kurdes. Les frontières demeurent très en deçà des frontières actuelles puisqu’elles atteignent tout juste la Méditerranée et la mer Noire en quelques points, puisqu’elles sont contenues par celles de l’Empire byzantin, par celles d’autres monarchies turques, Dānichmendites pendant un siècle, Artuqides (ou Ortokides) de Haute-Mésopotamie, Turkmènes nomades de l’Est. L’Empire ottoman se prétend un empire de l’islām ; il cherche à s’iraniser et à s’arabiser ; il donne, jusqu’au xixe s., au mot turc le sens de paysan, d’homme grossier ; il est une vaste confédération dirigée par une famille turque, mais dans laquelle chaque ethnie joue son rôle ; comme celles des Seldjoukides, ses frontières ne se juxtaposent pas à celles de la République turque. Les Ottomans forment d’abord un petit émirat égéen qui ne représente pas plus la Turquie que les autres émirats de plus grande importance. Puis ils deviennent les maîtres d’innombrables territoires parmi lesquels la « Turquie » n’est qu’une province, on oserait presque dire parmi les autres. Plusieurs des villes ou des régions de l’actuelle Turquie ne sont ottomanes, et même turques, que bien tardivement, que bien après diverses villes balkaniques qui ne le resteront pas. Andrinople (Edirne) est conquise en 1361-62 ; Smyrne (Izmir) en 1415 ; Constantinople (Istanbul) en 1453 ; Konya, Karaman ne sont définitivement ottomanes qu’un peu plus tard encore, en même temps que Trébizonde devient turque ; Erzurum, Diyarbakır, Malatya, Kayseri ne sont guère englobées dans l’Empire avant 1515.

Ce qui détermine l’avenir de la Turquie moderne, c’est la volonté de Mustafa* Kemal Atatürk qu’elle soit constituée par toutes les régions de l’Empire peuplées en majorité par des Turcs.