Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Turquie (suite)

Au nord et au sud, le haut plateau anatolien est, en effet, enserré par des chaînes plissées, qui se rapprochent vers l’est pour se fondre dans le nœud orographique arménien. Leur direction générale reproduit par ses virgations le dessin des blocs rigides sur lesquels elles sont moulées. Au nord, dans les chaînes Pontiques, l’orientation reproduit dans l’ensemble celle des côtes de la mer Noire. Au sud, le Taurus (Toros dağları), dans sa partie occidentale, dessine un arc convexe vers le nord, entre le massif des Méandres et le massif de Kırşehir, sous l’effet d’une masse rigide méridionale, enfouie sous les eaux du golfe d’Antalya, qui provoque le rebroussement pamphylo-pisidien. Puis le Taurus central présente une large convexité vers le sud, suivie par la remontée vers le nord-est de l’alignement du Taurus oriental sous l’effet de l’avancée vers le nord de la plate-forme syrienne. Le style tectonique est généralement caractérisé par un double déversement vers l’extérieur, vers le sud dans le Taurus et vers le nord dans les chaînes Pontiques, avec des charriages dépassant la centaine de kilomètres. Mais il y a également des mouvements tangentiels en sens inverse, avec déplacements importants, notamment au voisinage des noyaux anciens plus ou moins rigides qui apparaissent parfois au milieu des chaînes Pontiques, mais aussi dans le Taurus au voisinage de la plate-forme africaine (nappes dites « d’Antalya », dont le sens de déversement est d’ailleurs encore discuté).

Le matériel rocheux est assez dissemblable dans les deux arcs bordiers. La sédimentation est relativement homogène dans le Taurus, où se sont accumulées notamment d’énormes masses de calcaires jurassiques et crétacés (1 500 m d’épaisseur au minimum). De puissantes intrusions basiques, mises en place dans les fissures du géosynclinal, s’y associent, comportant notamment de grandes masses de roches vertes d’âge crétacé. Ces calcaires et ces masses intrusives sont surmontés par du flysch éocène. Dans le tréfonds pointent des noyaux de schistes dévoniens ou de calcaires paléozoïques métamorphisés, parfois emballés dans le matériel des nappes (massif d’Alanya), des masses de roches intrusives basiques (péridotites lyciennes, qui sont d’âge paléozoïque) et, vers l’est, dans le Taurus cilicien, de véritables batholites granitiques. Dans les chaînes Pontiques, la sédimentation est plus irrégulière. Au sein d’un matériel schisto-gréseux dominant et de flysch très épais, à fréquentes intercalations volcaniques, apparaissent des massifs de schistes cristallins entourés de calcaires récifaux ainsi que de nombreux petits noyaux intrusifs acides postpaléozoïques.

Après les grandes phases orogéniques éogènes, on passe avec le Néogène à un régime de sédimentation tout différent, de caractère continental et à faciès fins, dans toute l’Anatolie intérieure, où régnait un régime de bassins fermés, à reliefs faibles. En bordure et à partir de ces bassins s’étendent au Néogène des surfaces d’érosion étendues, qui constituent l’essentiel du relief de l’Anatolie intérieure. Plusieurs niveaux s’y étagent, de distinction souvent difficile : aplanissements jalonnant la surface de base du Néogène, qui indiquent encore parfois un relief différencié, ou aplanissements élaborés en fonction du sommet des remblaiements néogènes. La sédimentation marine se cantonne à cette époque dans les chaînes du Sud (transgression miocène du Taurus).

Postérieurement à ces surfaces d’érosion et aux dépôts néogènes, un gigantesque mouvement de rajeunissement a mis en place le relief actuel. Les témoignages en sont nombreux. Le Miocène marin est aujourd’hui à près de 2 600 m d’altitude dans le Taurus occidental. On a observé des failles de 1 000 m de rejet dans le Néogène continental d’Anatolie orientale. Le haut pays a été découpé en une série de compartiments distincts par des cassures et des bombements à grands rayons de courbure, qui ont régénéré le relief de nombreux bassins intérieurs, sans qu’il soit toujours possible d’y distinguer la part de cette tectonique récente et de l’érosion différentielle dans la masse des sédiments néogènes. La direction de ces mouvements reproduit en partie celle des axes orogéniques, mais des directions orthogonales s’y sont ajoutées, aboutissant, notamment dans les régions égéennes, à un quadrillage tectonique complexe. En même temps, les serrages plus ou moins forts effectués par les plates-formes russe et syro-arabe se traduisent par une tectonique transversale faisant alterner culminations et dépressions. Par ailleurs, on voit s’affirmer un trait essentiel : la tendance à l’affaissement de l’Égéide, tandis que l’Anatolie orientale s’exhausse en sens inverse. Ces mouvements de rajeunissement se poursuivent aujourd’hui. La séismologie prouve que la tectonique quaternaire et actuelle reste très active. Le basculement de la masse anatolienne vers l’ouest se poursuit, manifesté par l’instabilité persistante des fossés de l’Égéide ainsi que par l’existence, au contact de l’Anatolie intérieure (chaînes Pontiques), d’une importante cicatrice, le long de laquelle joue la masse intérieure et qui se traduit par des séismes très fréquents.

Cette tectonique récente s’exprime également dans le tracé des côtes. Des formes typiques de submersion, à dédale de chenaux entre les blocs faillés péninsulaires et insulaires, caractérisent les côtes de l’Égée. Des formes de remblaiement importantes se sont développées dans le fond des fossés où les deltas des grands fleuves, en positions abritées, ont pu croître rapidement. Les côtes de la mer Noire et de la Méditerranée, de structure « pacifique » parallèle au rivage et de soulèvement récent, sont le plus souvent des côtes de flexure ou de faille à peu près intactes, où l’action de la mer a eu à peine le temps de se marquer et où les formes de submersion, liées à des mouvements de bascule locaux (côte à calanques de la Cilicie Trachée), restent exceptionnelles.