Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Autriche (suite)

D’autres Viennois s’étaient voués aussi à cette internationale des esprits et des cœurs. Rainer Maria Rilke, par nature et par vocation, a été le plus largement européen de tous : né dans l’empire des Habsbourg, tôt installé en Allemagne, ayant longuement voyagé en Russie parmi les religieux et les « intellectuels » avancés, épris de l’art français et de la vie à Paris, il devait finir en Suisse, non parce qu’il se sentait chassé de partout, mais parce qu’il était capable de se faire tour à tour Allemand, Français, Russe dans un temps où les cultures nationales s’opposaient violemment.

Arthur Schnitzler (1862-1931) a su être gracieux et facile comme il faut l’être dans la comédie de boulevard, mais ses nouvelles et certains de ses drames laissent apparaître une capacité d’analyse psychologique singulière. Ce fut probablement le premier homme de théâtre qui ait été sensible à l’influence de la psychanalyse freudienne. Schnitzler était, au demeurant, médecin et il ne se lassait pas d’explorer les contradictions, les lâchetés, les détours cachés et inavoués de l’âme. Il a aussi essayé son talent dans des pièces à thèse, auxquelles l’influence d’Ibsen n’est pas étrangère ; mais celles-ci sont tout à fait à la mode viennoise, avec les retournements et les pirouettes d’une vie de salon plus répandue à Vienne que dans aucune autre capitale européenne. Ce théâtre demeure essentiellement la comédie de l’amour, et la plus brillante réussite de Schnitzler est Liebelei (1895), comédie élégiaque où les amours d’une jeune musicienne et d’un bourgeois fortuné mènent à une double fin tragique, sans qu’on sorte jamais d’un badinage d’avance désenchanté. Plus jeune que Schnitzler, Anton Wildgans (1881-1932) a d’abord composé des recueils de poésie avant de devenir un dramaturge fécond, sensible aux tensions de son époque, aux grandes transformations apportées en Autriche par la Première Guerre mondiale, au charme de la tradition comme à la rupture entre les générations.

Georg Trakl* (1887-1914), poète tourmenté, recherche dans des images audacieuses et heurtées le moyen de rendre sensible ce que Rilke déjà avait appelé la douleur originelle ; il a dit lui-même qu’il se sentait livré à « un infernal chaos de rythmes et d’images ». La guerre, dont le poids semblait peser par avance sur lui, l’a jeté dans un monde de souffrances et d’égarements, d’où il a fui volontairement dans la mort à la fin de 1914.

C’est le même problème qu’on trouve au centre de la réflexion et de l’œuvre narrative d’Hermann Broch* (1886-1951). Il avait quitté le monde des affaires pour les mathématiques et la littérature afin d’y chercher la réponse à des questions que l’activité pratique et « séculière » permet seulement d’effleurer. Esprit rigoureux et styliste original, il n’était connu que des initiés lorsqu’il quitta l’Autriche en 1938. C’est d’Amérique, où elle fut achevée, que son œuvre est revenue après 1945 pour apparaître dans son exemplaire authenticité, car Broch a occupé les vingt dernières années de sa vie à essayer de prendre conscience et à porter témoignage sur la signification de la littérature.

Plus encore que Broch, c’est l’autre grand romancier autrichien de la même génération, Robert Musil* (1880-1942), qui a influencé les jeunes écrivains allemands d’après 1945. Les deux premières parties de son grand ensemble romanesque, l’Homme sans qualités, avaient paru, à Berlin, juste avant la prise du pouvoir par Hitler, et la renommée de l’auteur n’excédait guère les cercles littéraires de l’émigration ; la dernière partie, parue après sa mort, fit apparaître dans toute sa signification le tableau à la fois mélancolique et acéré de la société viennoise d’avant 1914 et des personnels dirigeants de la monarchie austro-hongroise.

Il y a moins de recherche stylistique et plus de nostalgie du passé dans les romans de Joseph Roth (1894-1939). Sa Marche de Radetzky (1932) est, par excellence, le roman de l’Autriche de François-Joseph, évoquée à travers trois fonctionnaires — le père, le fils et le petit-fils — de Solférino à la déclaration de guerre de 1914. Venu des limites de l’Ukraine, impressionniste subtil et rêveur insatiable, Joseph Roth, journaliste et romancier, sait conter dans une prose limpide, nostalgique et pénétrante. Son contemporain Heimito von Doderer (1896-1966), aristocrate de Vienne, a choisi ses sujets dans le monde d’après 1918, où il a été mêlé à la vie de l’avant-garde viennoise ; il s’en est retiré pour composer son œuvre maîtresse, les Démons, dont la dernière partie, publiée en 1956, devait le faire apparaître comme un des grands romanciers contemporains.

Vienne est redevenue après 1945 un centre littéraire où, malgré la division de l’Europe, des voix venues des pays slaves et de la vallée du Danube continuent à se faire entendre. La ville a retrouvé son caractère cosmopolite ; mais on ne saurait encore citer des noms qui se compareraient aux grands « hommes de lettres » de l’entre-deux-guerres, ceux qui donnaient à Vienne tout son éclat : Karl Kraus (1874-1936) et Stefan Zweig (1881-1942). Kraus a laissé avec sa revue Die Fackel, qu’il rédigeait à peu près seul, un monument qui marque une des étapes de l’esprit européen ; les Mémoires de Stefan Zweig (le Monde d’hier) sont probablement le livre où revit le mieux la vie intellectuelle de Vienne au début du xxe s.

P. G.


La musique

V. Allemagne, École musicale allemande, et Vienne.


Les principales étapes de l’histoire autrichienne (jusqu’en 1945)


L’Autriche ancienne et médiévale


Avant les Barbares

• Les territoires composant l’Autriche sont habités depuis l’ère préhistorique (civilisation de « Hallstat »).

• Avant même le début de l’ère chrétienne, ils sont occupés par Rome, qui crée, au sud du Danube, les trois provinces de Rhétie, de Norique et de Pannonie, où les camps des légions romaines, pivots du limes, donnent naissance aux villes les plus importantes : Vienne (Vindobona), Salzbourg (Colonia Hadriana), Linz (Lentia), Klagenfurt (Claudia).