Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Turcs (suite)

La domination ottomane, établie sur la vallée du Nil au xvie s., ne met pas en contact pour la première fois Turcs et Égyptiens. Nous avons vu que, dès le ixe s., ibn Ṭūlūn, un Turc de Sāmarrā, avait fondé sa propre dynastie au Caire. Plus tard, les Ayyūbides*, formés en Syrie par le célèbre Saladin*, s’étaient emparés de l’Égypte, où ils avaient amené leurs mercenaires, Turcs et Circassiens. En 1249, tandis que les croisés ont débarqué en Égypte, ceux-ci se révoltent, assassinent leur maître et s’installent à sa place (dynasties mameloukes). Malgré leur arabisation partielle, les Mamelouks* montrent, ne serait-ce que par leurs noms, qui sont souvent de type totémique (noms d’animaux), qu’ils ont conservé bien des traditions des plaines qiptchaqs, dont ils sont en majorité originaires.


Les Khārezmchāh

La mort du dernier Grand Seldjoukide, Sandjar (1157), décédé sans successeurs, laisse la place vacante dans l’Iran oriental. Celle-ci est prise par une dynastie turque connue sous le nom de Khārezmchāh. De leur capitale, Khiva, les Khārezmchāh parviennent vite à diriger de vastes territoires : entre 1181 et 1194, ils occupent tout le Khorāsān, puis Rey (Rayy), Hamadhān et l’Iraq ‘adjamī. Sous le règne de ‘Alā’ al-Dīn Muḥammad (1200-1220), la conquête de l’actuel Afghānistān et de la Transoxiane fait atteindre à l’Empire son apogée. Le simple titre de chāh porté par les souverains montre à quel point cet Empire turc, comme tous ceux de l’Iran, fut iranisé.


Les Turcs à l’époque de l’hégémonie mongole

Le début du xiiie s. voit l’installation dans toute l’Asie du gigantesque empire mongol de Gengis khān*. Bien que les tribus et les royaumes turcs, modestes ou puissants, soient parmi les premières victimes du grand conquérant, le turquisme, en définitive, se trouve renforcé par son action. Non seulement les Mongols illettrés et sans haut niveau de culture se mettent à l’école des Ouïgours, non seulement des masses de soldats turcs viennent renforcer leurs rangs, mais encore les vieilles traditions des steppes, qu’une islamisation sans cesse plus poussée conduisait à l’oubli, se trouvent pour un temps renforcées. Certes, en Chine, les Gengiskhānides se siniseront et, en Iran, ils s’iraniseront. Par contre, dans le khānat de Djaghataï et dans celui de Qiptchaq, ils se turquiseront. C’est à cette époque que commence la coutume de nommer Tatars (ou Tartares) tous les nomades et en particulier tous les Turcs qui ne relèvent pas de l’Empire ottoman.


La Horde d’Or

En 1222, les généraux de Gengis khān, après avoir taillé en pièces les Géorgiens, descendent dans les steppes du nord du Caucase. Ils dispersent la coalition conduite par les Alains et se jettent à la poursuite des Qiptchaqs, sans doute alors en voie de se christianiser. Ceux-ci font appel aux Russes : les princes de Kiev, de Smolensk, de Galitch, de Tchernigov descendent le Dniepr, mais sont repoussés près de la Kalka. Djūtchī (Djötchi), fils aîné de Gengis khān, reçoit en apanage les territoires, conquis ou non, situés à l’ouest de l’Irtych. En 1236, son fils Bātū khān détruit le royaume des Bulgares de la Kama, puis soumet définitivement les Qiptchaqs : une partie de ceux-ci (40 000 familles) émigré en Hongrie et se christianise. Entre 1237 et 1241, il se tourne contre les Russes, alors divisés en petits États indépendants les uns des autres. Riazan, Kolomna, Moscou, Souzdal, Vladimir sont prises et dévastées. Bātū attaque l’Ukraine : Tchernigov et Kiev. Il entre en Pologne, en Silésie, en Hongrie et en Roumanie. Certes, les Mongols ne gardent pas tous les territoires qu’ils ravagent, mais ils sont les maîtres de la steppe de l’Europe sud-orientale, les suzerains, pour deux cents ans, des princes de Russie. Les Mongols ? En fait, non. Les successeurs de Bātū, les chefs d’armée, se turquisent au contact de leurs soldats, en grande majorité de langue turque, et se posent en successeurs des Qiptchaqs. Ils seront désignés comme khāns du Qiptchaq ou de la Horde d’Or. Plus à l’est, sur la rive droite du Syr-Daria, un frère de Bātū fonde en même temps que celui-ci un khānat de moindre conséquence, la Horde Blanche, tout aussi turque que la Horde d’Or.


Le khānat de Djaghataï

Le deuxième fils de Gengis khān, Djaghataï, empereur de 1227 à 1242, avait reçu en héritage l’Issyk-Koul, le Talas, la Kachgarie et la Transoxiane, en somme ce que nous nommerons plus tard les deux Turkestans. Dans ces régions bien plus qu’ailleurs, les hommes restent attachés à la vie de la steppe, incapables de se fixer et de promouvoir l’organisation d’un État. Le khānat de Djaghataï est donc une formation instable, dans laquelle l’élément mongol se perd rapidement dans la masse turco-iranienne. Le nom de Djaghataï lui-même finit par prendre une acception turque et sert à désigner non seulement le pays, mais aussi la langue turque dominante qu’on y parle. Le khānat n’est d’ailleurs pas plus durable que les autres royaumes gengiskhānides et il s’effondre rapidement.


L’Empire tīmūride

Il est en pleine dégénérescence quand un Turc de la région de Samarkand, Tīmūr Lang* (Tamerlan), fait le rêve de reconstituer l’empire de Gengis khān. Soldat de génie, homme d’un courage inouï et d’une cruauté presque sans pareille, Tīmūr affecte d’être un musulman convaincu, un héros de la guerre sainte, mais le résultat le plus évident des trente années de son activité est l’abaissement de toutes les grandes puissances musulmanes de son époque. Sans doute son orgueil ne lui permet-il pas d’accepter que d’autres hommes de sa race exercent un pouvoir comparable au sien. Tīmūr Lang détruit l’Empire ottoman (1402), qui se relèvera, l’Empire turc des Indes, la Horde d’Or. Le démantèlement des Qiptchaqs permet aux Russes de relever la tête et de commencer la constitution de la Russie moderne. Les khānats indépendants de la Russie — le khānat de Crimée, vassalisé par les Ottomans à la fin du xve s., le khānat de Kazan (1445-1552) et le khānat d’Astrakhan (1466-1556) — seront en butte aux assauts des Russes, et, dès Ivan IV le Terrible, ces deux derniers disparaîtront.

Il était réservé cependant aux descendants de Tīmūr Lang d’effectuer une brillante carrière en Iran même. Lettrés, humanistes, artistes, férus de science et en particulier d’astronomie (Uluğ Beg), ceux-ci furent les ouvriers inattendus de la grande renaissance à laquelle on a donné le nom de tīmūride.