Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Ts’ao Siue-k’in (suite)

Il n’est pas tenté par la carrière qui s’offre tout naturellement à lui, il ne s’intéresse pas au sort de sa famille, qu’il voit décliner devant ses yeux. C’est un sentimental pour qui seuls comptent les regards et les paroles de ses aimées. Jusqu’à la fin, Jia Baoyu vit dans l’irréel, à tel point que sa famille est obligée de lui faire croire quo son épouse sera Lin Daiyu. Quand, en levant le voile de la mariée, il s’apercevra de la supercherie, il tombera malade de désespoir. Lin Daiyu partage avec lui ce monde loin du nôtre. Mais cela n’empêche pas leurs innombrables querelles d’amoureux. Elle est farouche et exigeante, à la fois éprise et craintive de le laisser paraître, terriblement jalouse de sa cousine et prompte à se vexer. Que de larmes ne verse-t-elle pas, que de rêveries solitaires et désolées, de faux départs, de dépits amoureux ! Xue Baochai, au contraire, est parfaitement adaptée à la vie, volontaire et réfléchie. « Elle sait se conduire » dit-on d’elle. Chacun l’aime et l’apprécie dans la famille, car elle sait ménager sa réputation et flatter avec adresse. Elle est belle et en pleine santé, alors que Lin Daiyu a le charme vacillant que donne la maladie. Si ce triple amour forme la trame du roman, d’innombrables personnages (488) évoluent dans cette grande fresque, multipliant les intrigues secondaires. La famille elle-même et son destin, plus qu’une toile de fond, est un des thèmes majeurs. La rapide décomposition du clan est décrite avec un réalisme saisissant, à travers les dissensions internes, les problèmes matériels et les morts successives et prématurées. Le roman est écrit en langue parlée de Pékin dans un style qui ne craint pas les formules dialectales. L’auteur rend la vie sans fard et réussit spécialement bien dans les dialogues, dont le naturel est rare dans la littérature chinoise.

D. B.-W.

Tsiganes

Ensemble de populations que le Français, selon la région qu’il habite et l’image qu’il s’en fait, dénomme communément bohémiens, caraques, cascarots, gitans, camps-volants, manouches, boumians, romanichels.


Le terme atsinganos, qui vient du grec médiéval, est passé en France sous la forme Tsiganes, en Allemagne sous celle de Zigeuner, au Portugal sous celle de Ciganos. Ces populations, bien qu’elles aient une origine, une histoire, de nombreux traits culturels communs, ne possèdent pas de nom qui les désigne dans leur ensemble. Les individus qui en font partie se désignent eux-mêmes soit comme Rom, soit comme Manuš (ou Sinti), soit comme Kalé, ce qui implique l’existence de trois groupes différents parmi l’ensemble des Tsiganes. Les Rom, les Manuš (Manouches), les Kalé ont cependant tout à fait conscience d’appartenir au même ensemble, et celui qui n’en fait pas partie est désigné sous le nom de gajo, ou gadjo. L’ethnie se définit ainsi par opposition, et dans les lignes qui suivent sera désigné comme Tsigane tout individu soit Rom, soit Manuš, soit Kaló (sing. de Kalé).

Il est difficile d’indiquer le nombre des Tsiganes, parce que beaucoup sont nomades et dispersés, parce que lors des recensements beaucoup ne se déclarent pas Tsiganes et parce que d’un recensement à l’autre, d’une nation à l’autre les individus classés comme « Tsiganes » le sont d’après des critères, linguistiques ou autres, qui diffèrent. On peut avancer les chiffres de 5 à 10 millions pour le monde, de 80 000 à 100 000 pour la France. Les Rom se trouvent dans le monde entier, du Canada à l’Afrique du Sud, de l’Australie au Japon, et surtout en Europe centrale et de l’Ouest ; les Manuš, essentiellement en Italie, en France, en Allemagne, mais aussi, quoique moins nombreux, en U. R. S. S., au Canada, etc. ; les Kalé, surtout en Espagne, au Portugal, en France, en Afrique du Nord, mais aussi en Allemagne et en Amérique du Sud.

Il fallut attendre la fin du xviiie s. pour que la linguistique soit en mesure d’indiquer le nord de l’Inde comme le lieu d’où les Tsiganes se sont dispersés dans le monde. Mais on ignore encore si ceux-ci faisaient partie d’une caste de l’Inde ou d’une peuplade particulière, si, avant l’Inde, ils venaient d’autres régions et à quelle date ils ont quille l’Inde.

Ce n’est qu’à partir du milieu du xive s. que des documents sans équivoque permettent de suivre les pérégrinations des Tsiganes. En 1322, ces derniers sont signalés en Crète, en 1348 en Serbie, trente années plus tard dans le Péloponnèse et en Valachie. Au xve s., les documents se multiplient. Les principaux centres de dispersion sont la Hongrie et la Moldavie, d’où les Tsiganes parviennent en Allemagne (1407), en France (1419), en Italie (1422), en Espagne (1425), en Angleterre, en Écosse, en Russie (v. 1500). Il n’est pas impossible que des individus soient parvenus dans ces pays avant les dates indiquées, mais leur nombre n’était pas assez important pour être remarqué.

En France, le premier groupe apparaît le 22 août 1419, à Châtillon-en-Dombes (aujourd’hui Châtillon-sur-Chalaronne, dans l’Ain), et deux jours plus tard devant Mâcon. En août 1427, une douzaine de Tsiganes se présentent aux portes de Paris, suivis après quelques jours par une centaine de personnes, hommes, femmes et enfants. Ce fut un événement, rapporté longuement par les chroniqueurs. Puis d’autres groupes sont signalés ici et là, un peu partout. Il y a une suite de flux et de reflux de ces nomades, fonction du désir de voyager, de la nécessité de le faire pour exercer des métiers, et de la politique des nations traversées, certaines lois interdisant les vêtements, la langue, le séjour et parfois l’existence d’une population tsigane (les nazis en entreprirent l’extermination).

Dans chacun des groupes (Rom, Manuš, Kalé) existent des subdivisions. En France, par exemple, le groupe des Rom se divise en trois sous-groupes principaux : les Kalderaša (Kalderach), les Lovara, les Čurara (Tchourara). Au Canada, il y a des Kalderaša, des Lovara, des Mačvaja, des Xoraxaja, etc. Des membres d’un même sous-groupe peuvent se trouver en France et au Canada, mais aussi dans d’autres pays, ce qui fait que l’organisation sociale des Tsiganes doit être considérée sur un plan international et que deux Tsiganes voisins dans la même ville peuvent être plus éloignés socialement l’un de l’autre que deux Tsiganes résidant dans des continents différents, mais appartenant au même sous-groupe.