Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Tristan (les romans de) (suite)

Le Tristan en prose, entreprise probablement inconsciente de démythification, parvint à ses fins, puisqu’il faillit détruire tous les vestiges des Tristan français antérieurs. Certains se sont irrémédiablement perdus, comme celui de La Chièvre, qui n’est connu que par une allusion du Roman de Renart. Plus paradoxale est la disparition du poème de Chrétien, le Livre du roi Marc et d’Yseut la blonde, mentionné parmi les œuvres de jeunesse au début du Cligès ; cette œuvre devait déjà désamorcer quelque peu le contenu subversif du mythe : son titre néglige Tristan et laisse attendre une sorte de roman conjugal. Il est assez significatif de constater qu’en France, à partir de 1230, il n’est plus d’autres versions de la légende que le Tristan en pose, ses remaniements, et les romans qui en dérivent, comme le Tristan de Pierre Sala (début du xvie s.), récemment édité par Lynette Muir. Le roman en prose du Moyen Âge finissant fait de Tristan « qui jamais ne rit » un chevalier de la Table ronde comme les autres, sans insister particulièrement sur le caractère païen de ses amours. On donne pourtant avec Isaïe le Triste (v. 1350) une étrange continuation à l’histoire : Isaïe est le fils des amants, et Marc l’exilé leur petit-fils. L’œuvre, malgré ses qualités, verse dans la galanterie un peu fade. Qu’était devenue la puissance propre à Béroul ? Il fallut le génie de Richard Wagner ou le talent de l’excellent adaptateur que fut Joseph Bédier pour que Tristan et Yseut exaltent à nouveau l’imagination des hommes.

J.-C. P.

 A. Varvaro, Il Roman de Tristan di Béroul (Turin, 1963). / R. L. Curtis, Tristan Studies (Munich, 1969). / F. Barteau, les Romans de Tristan et Iseut, introduction à une lecture plurielle (Larousse, 1972). / C. Cahné, le Philtre et le venin dans Tristan et Yseut (Nizet, 1975).

Trnka (Jiří)

Cinéaste et marionnettiste tchécoslovaque (Plzeň 1912 - Prague 1969).


Passionné dès sa plus tendre enfance par la confection des poupées, qu’il s’amuse à habiller avec de vieux morceaux d’étoffe abandonnés par sa mère, qui était couturière, Jiří Trnka rencontre à onze ans Josef Skupa (1892-1957) ; celui-ci est le directeur du Théâtre de marionnettes de Plzeň et exerce en même temps les fonctions de professeur de dessin dans un lycée de la ville. Après avoir suivi avec assiduité l’enseignement de Skupa, Trnka s’inscrit à l’École des arts décoratifs de Prague et commence à exposer dès 1929 des petites marionnettes toutes imprégnées des vieilles traditions nationales. Parallèlement, il publie des caricatures dans les journaux, illustre des livres pour enfants, s’essaye à la gravure et à la lithographie, brosse des décors de théâtre. En 1936, il fonde son propre théâtre dans la salle Rokoko de Prague. Dans l’enceinte de ce « Théâtre en bois », il montera notamment des petits spectacles pour enfants, comme les Lucioles et Vassili et l’Ours.

Quand la guerre éclate, il seconde le directeur du Théâtre national de Prague, Jiří Frejka (1904-1952), pour qui il construira de multiples décors. En 1945, lors de la nationalisation de la cinématographie, il est parmi les fondateurs de la section nouvellement créée des dessins animés. Le groupe de jeunes animateurs s’affublera du nom de Bratři v triku (un jeu de mots qui signifie à la fois Frères en tricot et Frères en trucs). Trnka aborde le cinéma par le dessin animé : Grand-Père a planté une betterave (Zasadil dědek řepu, 1945), les Animaux et les brigands (Zvířátka a Petrovští, 1946), le Cadeau (Dárek), le Diable à ressorts (Pérák a SS, 1946) et débute timidement dans le film de marionnettes par un petit essai, la Crèche de Noël, qu’il inclura en 1947 dans les différents épisodes de l’Année tchèque (Špalíček). Cette première grande œuvre, dont le thème central, emprunté aux livres illustrés par le peintre Mikoláš Aleš (1852-1913), se propose de rendre compte du déroulement de la vie à la campagne pendant les quatre saisons, étonne par sa fraîcheur, sa simplicité naïve et harmonieuse. L’authenticité des personnages de Trnka, la perfection de leurs gestes, la finesse de leurs mimiques annoncent déjà qu’un grand artiste vient de naître. Le Rossignol de l’empereur de Chine (Císařův slavík, 1948), d’après Andersen, le Prince Bayaya (Princ Bajaja, 1950), d’après le conte de fée populaire de Božena Němcová, Vieilles Légendes tchèques (Staré pověsti české, 1953), d’après Alois Jirásek, et le Songe d’une nuit d’été (Sen noci svatojanské, 1959), d’après Shakespeare, donnent leurs lettres de noblesse au long métrage de marionnettes dans le monde entier. Les autres films de poupées de Trnka (courts ou moyens métrages), le Roman de la contrebasse (Roman s basou, 1949), le Chant de la prairie (Arie prerie, 1949), le Moulin du diable (Čertův mlýn, 1949), les Deux Frimas (Dva mrazíci, 1954), les Aventures du brave soldat Chveik (Osudy dobrého vojáka Švejka, 1954), Bricolet et Brirolette (Kut’ásek a Kutilka, 1955), le Cirque Hurvinek (Cirkus Hurvínek, 1955), la Passion (Vášeň, 1961), la Grand-Mère cybernétique (Kybernetická babička, 1962), l’Archange Gabriel et la mère l’Oye (Arcanděl Gabriel a pani husa, 1964), la Main (Ruka, 1965), témoignent du grand art avec lequel le cinéaste a su faire vivre des pantins de bois en leur insufflant une poésie, un lyrisme et un pouvoir d’émotion rarement égalés. Jean Cocteau a dit de ce magicien : « Il ne manœuvre pas des marionnettes. Il accouche une vie inquiétante et presque terrible. On songe à Hoffmann, à Coppélius, à Kempelen, à tous ceux qui veulent surprendre le secret de la chair et de l’âme et vaincre la mort. »

J.-L. P.

 J. Boček, Jiří Trnka (Prague, 1963). / J.-M. Boillat, « Jiří Trnka », dans Anthologie du cinéma (Éd. de l’Avant-Scène, 1974).