Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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transport (suite)

L’offre et la demande de transport

Comment la demande se manifeste-t-elle ? Sous la forme de besoins de déplacement entre des paires de points : dans le jargon des techniciens, ces lieux sont unis par une ligne de désir, celle qui mène à vol d’oiseau de l’un à l’autre. Les techniques modernes de l’analyse des transports reposent de plus en plus sur la connaissance de cette donnée fondamentale.

L’offre de transport est nécessairement très différente dans son expression spatiale. Si les déplacements se faisaient selon les lignes de désir, tout l’espace devrait être livré à la circulation. En fait, il n’y a jamais, en dehors des économies les plus primitives, qu’une petite portion qui lui est ouverte. Les liaisons aériennes semblent permettre la réalisation de réseaux conformes à la disposition des liaisons souhaitées puisque aucun obstacle ne peut arrêter les avions et que le passage dans le ciel des appareils n’apporte aucune gêne à l’utilisation normale du sol pour d’autres usages. Mais c’est une illusion : les liaisons aériennes empruntent des routes presque aussi étroitement délimitées que celles que l’on trouve sur terre ; elles sont fixées par les aéroports, les balises et toute l’infrastructure indispensable. Sur mer, les routes sont également beaucoup plus resserrées qu’on ne le pense généralement.

L’offre de transport ne peut donc satisfaire les besoins de liaison directe dont témoignent les lignes de désir : elle s’exprime le long de voies équipées, qui constituent, lorsqu’elles sont connectées entre elles, un réseau. Les caractères du réseau sont en partie déterminés par des considérations physiques : il y a des obstacles devant lesquels on recule, des axes et des nœuds de passages obligés, les vallées et les cols dans les massifs montagneux, les points où les fleuves sont étroits, sans rives marécageuses en plaine. Au fur et à mesure que les moyens techniques s’améliorent, on maîtrise plus complètement ces obstacles, mais d’autres apparaissent. Ainsi, dans les civilisations antérieures à la révolution industrielle, les régions les plus difficiles à franchir n’étaient pas celles dont le relief est le plus accidenté : les animaux de bât ne sont guère affectés par la pente, elle ralentit un peu leur marche, c’est le seul inconvénient. En revanche, les étendues de sol lourd, de forêts trop denses, les marécages étaient infranchissables. Sur ce point, les progrès ont été tels qu’on oublie les peines de jadis ; mais, en montagne, la voie ferrée est vite arrêtée, car elle ne peut franchir que des pentes très faibles, au maximum de l’ordre de 15 p. 1 000, l’autoroute ou la route modernes sont plus souples, mais elles sont mal faites pour des trafics importants lorsque les rampes dépassent 6 ou 8 p. 100. De ce point de vue, l’espace a perdu une partie de sa pénétrabilité de naguère.

Les raisons pour lesquelles l’offre est concentrée sur un petit nombre d’itinéraires sont cependant d’ordre économique bien plus que géographique ou technique, ou plus exactement l’obstacle physique n’est tel que parce que les moyens de le surmonter sont au-dessus des disponibilités du moment et ne permettraient pas une exploitation rentable dans un avenir proche ou lointain. Ce qui compte en définitive, ce sont les possibilités de trafic sur un itinéraire et ce qu’elles impliquent comme chiffre d’affaires et comme profits (dans le cas d’une économie de marché) pour les transporteurs.

Les conditions dans lesquelles le réseau et les itinéraires s’élaborent varient évidemment avec la nature des moyens de transport : l’optique n’est pas la même lorsque l’infrastructure est à la charge de la collectivité, qui la finance par l’impôt, ou lorsqu’elle est mise en place par une société qui l’exploite par la suite. Dans un cas, on est plus sensible aux avantages qui apparaissent chez les demandeurs ; dans le second cas, on ne peut guère tenir compte que des intérêts du transporteur. En principe, la première solution est plus favorable à la maximalisation de l’utilité générale, la seconde conduisant à des solutions non optimales. Le débat est donc essentiel dans la perspective d’une politique d’aménagement soucieuse de favoriser la justice économique et sociale. Il est cependant un peu académique, car, dans la plupart des cas, les options sont moins tranchées qu’on ne vient de le dire ; lorsque la construction des axes est abandonnée à des entreprises privées, elles sont contraintes de se soumettre à un cahier des charges dans lequel on a tenu compte des intérêts des clients futurs comme des soucis légitimes de ceux qui habitent au bord de l’axe et qui s’inquiètent des nuisances et des déséconomies qu’il peut amener. Lorsque la puissance publique prend en main la totalité de l’infrastructure et de l’exploitation, il lui est difficile de ne pas avantager le point de vue de l’entrepreneur de transport qu’elle devient : il est beaucoup plus facile de financer le système sur ses recettes que sur l’impôt. Au total, les solutions retenues diffèrent moins selon les systèmes qu’on ne le dit généralement. D’ailleurs, un réseau de transport demande des investissements tellement considérables qu’il ne peut être mis en place qu’au fil des années : cela veut dire qu’il ne peut être réaménagé que progressivement, et que les décisions prises touchent rarement à l’équilibre d’ensemble ; elles portent sur le choix possible entre plusieurs itinéraires, plusieurs liaisons sur lesquels employer les disponibilités existant à un moment donné pour renforcer les infrastructures.

Il est donc raisonnable de chercher s’il n’y a pas, au-delà des différences liées au mode d’élaboration des réseaux, des règles communes qui expliquent certains traits de leur architecture. L’analyse des coûts et des perspectives de rentabilité conduit à des règles simples : les modes de transport qui permettent de faire des déplacements aux moindres frais supposent des trafics importants ; pour les justifier, il faut donc composer les courants élémentaires jusqu’à obtenir un volume justifiant un investissement suffisant. En opérant ainsi, le parcours est allongé, mais la distance économique est souvent diminuée grâce à l’utilisation d’une infrastructure plus efficiente. Toutes les fois que les frais essentiels sont liés au parcours lui-même, le principe de composition que nous venons d’indiquer est le seul à l’œuvre.