Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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transport (suite)

Les moyens de communication apparaissent ainsi généralement comme complémentaires : on passe de l’un à l’autre au-delà d’un certain volume d’activité, lorsqu’il devient possible d’amortir des infrastructures plus lourdes. Mais la complémentarité n’empêche pas la concurrence. La demande de transport sur un itinéraire porte d’habitude sur une grande variété de biens. Certains sont pondéreux et ne sont intéressants que pour des transports de masse, la voie ferrée ou la voie d’eau. D’autres ont plus de valeur et peuvent supporter des charges plus élevées sur le même itinéraire. La tentation est grande de les attirer vers la route : si celle-ci ne peut intervenir, la compagnie de chemin de fer peut gagner beaucoup sur le transport des produits nobles, de manière à diminuer les tarifs proposés pour les expéditions de masse. Dans une situation de concurrence entre les moyens de transport, de telles pratiques, courantes avant le développement des transports routiers à longue distance, disparaissent.

Les prix des transports ne dépendent en effet pas uniquement de la structure des coûts. Ils varient avec les conditions de fixation des frets : dans certains cas, ceux-ci résultent de la confrontation de l’offre et de la demande sur un marché ; dans d’autres situations, les tarifs sont fixés unilatéralement par les transports. Tout dépend des conditions d’exploitation des infrastructures.

Dans la plupart des cas, les mêmes infrastructures peuvent être successivement ou simultanément employées par des transporteurs différents : c’est le cas des routes, empruntées par des voitures ou des camions appartenant à des milliers de propriétaires différents ; dans les ports, les navires accostent souvent à des quais publics. Les avions de toutes les compagnies atterrissent sur les mêmes pistes. Il est apparu en revanche impossible de laisser les voies ferrées aux mains de plusieurs utilisateurs : la sécurité ne pourrait être assurée. Elle est grande à condition que la ligne soit soumise à un plan d’exploitation coordonné, sous une direction unique. Le transport ferroviaire est donc généralement dévolu à un seul exploitant sur un itinéraire donné. Il ne connaît de concurrence interne que si plusieurs itinéraires joignent les mêmes points et sont aux mains de compagnies différentes. Cela s’est produit assez souvent en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, mais uniquement sur des trajets où les relations sont extrêmement intenses. Ailleurs, l’un des deux concurrents est vite éliminé : le trafic n’est pas assez dense pour que deux compagnies gagnent de l’argent.

Les prix fixés sur les moyens de transports à monopole et ceux qui résultent du jeu du marché sont difficiles à comparer. La différence tient d’abord à ce qu’ils n’incorporent pas toujours les mêmes charges ; elle résulte ensuite de la manière dont les tarifs sont fixés. Lorsque plusieurs transporteurs emploient les mêmes voies, il est très difficile de déterminer avec précision la part de la charge d’entretien qui doit revenir à chacun ; on essaie de le faire dans les ports et dans les aérodromes, mais on ne peut faire prendre en charge les dépenses de balisage des côtes ou celles d’équipement radio ou radar des lignes aériennes. Le problème est plus grave encore pour les routes où coexistent des transports commerciaux et d’autres qui ne le sont pas. En pareil cas, le financement de l’infrastructure et de son entretien est souvent imputé à la collectivité. Cela diminue d’autant le prix de revient pour les marchandises qui empruntent ces voies : la communauté les subventionne d’une certaine manière. Pour la voie ferrée, la situation est généralement différente : le transporteur a presque toujours la responsabilité financière de l’entretien des lignes qu’il utilise.

Les cours qui résultent du jeu d’un marché sont soumis à des fluctuations brutales, car le service de transport ne peut se stocker : si une capacité excédentaire existe à un moment, elle ne peut éponger une pointe future de la demande. Les prix se trouvent donc déprimés si la demande faiblit, et connaissent de brusques flambées en période de trafic intense ; les transports maritimes connaissent ainsi des mouvements profonds de hausse et de baisse ; depuis une vingtaine d’années, ils ont été commandés par la conjoncture politique. Les périodes où le fret est cher coïncident avec la guerre de Corée ou les crises du Moyen-Orient.

Sur les continents, où existe une certaine concurrence entre transporteurs, les fluctuations du marché sont généralement moins fortes à cause de l’action régulatrice des tarifs ferroviaires, élaborés selon d’autres critères. En effet, la compagnie qui exploite une ligne ou un réseau évalue le trafic qu’elle aura à supporter durant l’année, fait une prévision de ses coûts et fixe des prix de manière à couvrir ses frais. Elle pratique généralement une tarification stable, les prix ne varient pas avec les fluctuations de l’offre et de la demande, ou bien oscillent dans des marges déterminées à l’avance. Le pouvoir dont dispose tout monopoleur, lorsque les autre moyens de transport n’existent pas, permet d’autre part, pour augmenter le trafic, de pratiquer une tarification ad valorem, de faire payer plus les produits chers, même si les charges qu’entraîne leur transport ne sont pas élevées.

Historiquement, les compagnies ferroviaires ont joué un grand rôle dans la naissance de la géographie économique du monde actuel : elles fixaient, avant les progrès de la route, les prix pratiqués sur l’ensemble d’un territoire, elles les portaient à la connaissance du public. Elles créaient de la sorte une géographie stable des distances économiques : ainsi, les décisions de localisation pouvaient se prendre dans un univers où les risques d’erreur liés aux bouleversements des distances étaient éliminés.

La fixation par jeu d’un marché a l’intérêt de mieux suivre les variations réelles de la technique et de l’économie ; elle évite aussi le maintien sur de longues périodes de taux de profit anormaux. Lorsque les frets sont élevés, les programmes d’équipement des entreprises de transport se gonflent et, en peu de temps, une offre supplémentaire apparaît : elle suffit à provoquer une détente sur les tarifs pratiqués. Mais ces fluctuations incessantes ne sont pas toujours faciles à supporter pour les transporteurs. Dans bien des cas, ils essaient de limiter les oscillations de prix par des ententes : ainsi se forment ce qu’on appelle dans le domaine maritime des conférences de tarif ; elles jouent un rôle déterminant sur certaines lignes, celles qui ne sont pas très suivies. Sur les itinéraires les plus fréquentés, la concurrence est plus sérieuse et les ententes sont vite tournées. L’organisation des tarifs aériens s’est faite selon les mêmes principes, mais, depuis quelques années, la concurrence des compagnies de charters a privé d’une partie de son sens le barème officiel sur beaucoup d’itinéraires : il n’apparaît plus que comme un tarif maximal qu’une toute petite fraction de la clientèle est seule condamnée à payer.

En matière de frets, les marchés sont souvent, pour les transports aériens et les transports maritimes, conclus pour des relations internationales : les prix s’établissent sur quelques grandes places. Londres joue un grand rôle pour les transports maritimes. Les centres où se fixe le coût du fret aérien sont plus divers.

Pour bien comprendre l’économie des transports, il ne suffit pas de voir comment l’offre et la demande s’ajustent selon le système de transport employé. Il convient encore d’avoir une idée précise de la localisation des trajets souhaités et des itinéraires effectivement desservis.