Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

traduction (suite)

Il faut insister sur la nécessité de traduire moins le sens ou le mètre que la « fonction poétique », l’effet suscité en nous par le poème ; à vrai dire, ce n’est qu’au prix d’un investissement de la subjectivité du traducteur, qui fait dès lors figure d’interprète, mais aussi de « coauteur » ou de « réécrivain ». Au reste, cette dimension humaine est-elle jamais absente d’aucune traduction ? Et, dès lors, n’y a-t-il pas lieu de soupçonner que la « machine à traduire » n’est qu’une coûteuse utopie fantasmatique et techniciste, rescapée de la mythologie babélienne ?

J.-R. L.

➙ Bilinguisme / Langue / Sémiotique / Stylistique.

 V. Larbaud, Sous l’invocation de saint Jérôme (Gallimard, 1946). / G. Mounin, les Belles Infidèles (Cahiers du Sud, Marseille, 1955) ; les Problèmes théoriques de la traduction (Gallimard, 1963). / E. Cary, la Traduction dans le monde moderne (Georg, Genève, 1956). / J.-P. Vinay et J. Darbelnet, Stylistique comparée du français et de l’anglais (Didier, 1958 ; nouv. éd., 1961). / E. A. Nida, Toward a Science of Translating (Leyde, 1964). / J. C. Catford, A Linguistic Theory of Translation (Londres, 1965). / J.-R. Ladmiral (sous la dir. de), la Traduction, numéro spécial de Langages (Didier-Larousse, 1972). / H. Meschonnic, Pour la poétique II (Gallimard, 1973).

traduction automatique

Procédé informatique ayant pour objet d’extraire la signification (la sémantique) d’un texte exprimé dans une première langue, dite langue-sujet, et de la transférer dans un texte exprimé en une langue différente, dite langue-cible.


Dans l’état actuel des choses, un tel procédé est encore à découvrir. Le problème n’a pu encore être nettement posé en raison du manque de netteté qui caractérise les facteurs en jeu. En outre, en admettant des hypothèses considérablement simplificatrices quant à la nature exacte de ces facteurs, il existe de fortes divergences sur la conception des étapes de ce transfert.

Les fonctions réelles utilisées dans un texte ne correspondent en aucune façon aux différentes entités de la grammaire et de la rhétorique classiques. Chaque chercheur, selon ses conceptions propres, définit les unités élémentaires, les molécules linguistiques, nécessaires à sa théorie ainsi que les types de structure, de subordination, d’articulation, de foisonnement selon lesquels on construira les macro-molécules linguistiques, vectrices de sémantique. Les illusions, plus ou moins consciemment entretenues, viennent du fait que, pour chacun des facteurs en jeu, on a la possibilité de choisir des spécifications plus ou moins exigeantes entre deux pôles, l’un appelé le domaine des « codes » et l’autre celui des « langages ouverts ». Il existe un système de traduction automatique extrêmement ancien et parfaitement efficace, celui du code des signaux maritimes. On prend dans un livre de référence une phrase bien déterminée, par exemple « quelle est la latitude ? ». On dispose d’une liste de pavillons correspondants et l’on est sûr que le navire qui va apercevoir ces signaux, quelles que soient sa nationalité et la langue dans laquelle sa propre liste est rédigée, comprendra exactement la « sémantique » du signal complexe, qu’il y répondra dans sa langue et que les pavillons envoyés correspondront exactement au renseignement qu’on aura voulu donner. On trouve dans ce système l’essentiel de toute une école de traduction automatique : deux langages parfaitement distincts, un langage pivot intermédiaire (les combinaisons de pavillons) et une transmission sémantique parfaite. Les conditions qui permettent une telle performance sont que l’on s’astreint à n’utiliser que de simples concepts figés, sans aucune interaction ou implication avec les signaux antérieurs ou postérieurs, la sémantique étant parfaitement limitée une fois pour toute.

D’autre part, dans un texte exprimé en langage naturel, le nombre des messages possibles est infini. La signification au sens large ne peut jamais être totalement appréhendée : la signification du mot dépend de celle du texte antérieur, du texte en cours d’expression et variera avec le texte futur. La signification de la phrase est également tributaire du mot ainsi que des significations antérieures et postérieures. Tout cela dépend de l’objet du chapitre, du livre et même de la collection, le chapitre, le livre et la collection voyant leur signification varier en fonction de tous les autres éléments. L’évolution historique même fait varier au cours des siècles le contenu d’un texte, d’un mythe. La culture propre à chaque récepteur éveille des résonances profondes qui ne peuvent être partagées.

Ces deux exemples, quoique excessifs, sont cependant réels. Il convient donc de dire : « Traduction automatique : pour quoi ? » Il est certain qu’on peul avoir une efficacité de « débrouillage » lorsque les langages sont pauvres et peuvent se comparer à des pseudo-codes : il s’agit des langages objectifs ou scientifiques. Des mathématiques à la biologie moléculaire, en passant par la chimie, il est possible de créer des documents susceptibles d’aider à trier une littérature exubérante. Au-delà, rien n’est plus accessible actuellement.

La possibilité d’aborder ce problème a été évoquée dès qu’on a pris conscience du pouvoir énorme des ordinateurs en ce qui concerne le tri de dictionnaires de référence et la possibilité d’opérations logiques en très grand nombre, tout cela en un temps acceptable. La théorie de l’information de l’Américain Claude Elwood Shannon (né en 1916), qui n’est qu’une théorie des codes, sans aucune référence à la sémantique, a pu entretenir un instant cette illusion. Enfin, les immenses développements mathématiques des probabilités markoviennes, dont l’origine se trouve dans l’analyse non sémantique d’un texte russe, ont conduit à des travaux sur les structures du langage, travaux de très grande valeur, mais caractérisés très généralement par l’absence totale de prise en compte de la signification.

Disposant de ces instruments, on a attaqué le problème selon des concepts différents.

• On a voulu considérer qu’un texte dans une langue-sujet S était le cryptogramme d’un texte en langue-cible C. Il s’agirait donc d’un décryptage automatique pour lequel on disposerait en outre de renseignements déjà nombreux.