Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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tourisme (suite)

Comment et par qui a-t-il pris forme ? Par l’activité des promoteurs, dont l’action devient de plus en plus massive : les modes nouveaux de construction partout, les législations sur l’urbanisation et pour le tourisme lointain, le poids des agences favorisent l’action d’agents puissants. Les banques s’intéressent à un domaine en plein développement et où les perspectives de profit sont séduisantes. Dans les pays socialistes, l’aménagement est encore plus concentré.

On sait que les paysages urbains de la Renaissance oui d’abord été rêvés et peints avant d’être construits en vrai : l’imagination géométrique d’artistes comme Piero della Francesca a précédé et rendu possible l’ordonnance de la ville classique ou baroque telle qu’on la voit se dessiner dans la Rome de Sixte Quint, dans les cités piémontaises, à Livourne et dans les centres qui croissent alors rapidement. La ville touristique actuelle est de même précédée par un rêve, mais ce n’est plus celui du peintre : c’est celui de l’agent publicitaire qui essaie de toucher au plus profond des clients les cordes les moins rationnelles. La ville touristique est d’abord celle du désir que l’on cesse de refouler, celle des interdits supprimés, celle des songes ambigus, chargés de sexualité et de trouble. Elle est née là où la concentration s’imposait pour des raisons techniques, dans les marinas où l’aménagement du port de plaisance suppose des investissements considérables et une densité assez forte ; dans les stations de ski dont les équipements ne sont justifiés que si la clientèle est nombreuse. Elle a pris des formes fragiles, en rupture avec les idéaux de massivité et de solidité de la ville traditionnelle là où l’accent est mis sur le primitivisme ; c’est là le charme des clubs, à la manière du Club Méditerranée, et de tout ce qui imite les bungalows des terres coloniales du monde tropical. Ailleurs, la ville touristique moderne accepte les constructions en hauteur, la destruction du paysage naturel, la concentration, mais elle essaie de se distinguer par la singularité des rythmes, comme à La Grande-Motte ou à Avoriaz, et par l’intégration au décor, comme à La Plagne. Elle compte surtout, pour séduire, sur les facilités qu’elle offre à la vie sociale. Port-Grimaud a des petites places et des canaux faits pour susciter une vie locale dense, comme sur la lagune de Venise. Ailleurs, dans les stations alpines, on aménage (les places ou des rues couvertes où se concentre l’animation dès que les pistes sont désertées et que commence la longue veillée d’hiver.


Les « clubs »

Dans la zone plus lointaine que fréquente la clientèle acheminée par charter, la tâche des promoteurs est plus simple : les gens viennent pour se reposer, prendre le soleil, flirter et flâner ; il suffit pour leur plaire d’avoir dans la même enceinte l’hôtel, un pare ombragé, des bars, la plage et/ou une piscine. Les grands hôtels à installations intégrées se multiplient et occupent progressivement les fronts de mer. Les Américains ont imaginé la formule aux Caraïbes et en Floride, les Espagnols l’ont transposée aux Baléares, sur la Costa del Sol vers Torremolinos ou aux Canaries. Les pays de l’Est l’ont faite leur, car elle convient bien à des pays où les entreprises sont volontiers concentrées. Ainsi se définit un type d’aménagement qui finit par donner un air de parente aux Caraïbes, au Mexique d’Acapulco, aux franges littorales bulgares ou roumaines le long de la mer Noire et aux rivages méridionaux de la Méditerranée. Maintenant, certains secteurs d’Afrique noire ou d’Asie méridionale connaissent des transformations analogues.

En Europe, les installations touristiques se juxtaposent à des centres urbains industriels ou administratifs, s’installent dans des zones rurales où les exploitations demeurent actives. On parle de région touristique, mais il n’y a en fait que des régions d’activités mêlées, ce qui est d’ailleurs salutaire à l’équilibre général, car les activités touristiques ont un rythme saisonnier. En Amérique, la situation est parfois très différente : le long du littoral de Nouvelle-Angleterre, dans les montagnes Blanches et dans les Rocheuses, en Floride et dans certains secteurs du littoral californien, les hôtels se sont installés dans des zones désertes ou retournées à la friche : le paysage présente alors un air artificiel, inauthentique qui choque le voyageur européen, peu habitué à se déplacer dans un décor de théâtre.


L’impact sur l’économie nationale et régionale

On ne peut pas juger des activités touristiques sur ces impressions souvent défavorables. Les versements effectués par ceux qui passent ou ceux qui séjournent sont souvent abondants : en vacances, l’ambiance est un peu à la fête, on dépense plus facilement, si bien qu’une part considérable des revenus des régions de concentration industrielle et urbaine se trouve ainsi redistribuée aux zones périphériques des nations dans lesquelles elles se trouvent, ou dans les pays moins développés qui attirent la clientèle.

En un sens, le rythme saisonnier rend difficile l’articulation d’une économie régionale prospère sur des revenus provenant uniquement de cette source : c’est la grande tare des sites touristiques de pays tempérés. Les régions visitées pour leurs richesses historiques en souffrent moins, ainsi que les montagnes où l’on peut avoir deux saisons, l’une pour le ski, l’autre pour les séjours d’altitude, les courses en montagne et l’alpinisme. Les terres méditerranéennes ont plus d’avantages, le sud de l’Espagne, la Tunisie, le Maroc, les Canaries offrent des séjours à l’année longue. Le tourisme tropical est mieux placé encore.

On ne peut tenir compte simplement des effets sur le plan régional : même si les espaces touristiques sont souvent gênés par les rythmes saisonniers, même s’ils souffrent de déséquilibres tenaces, leur rôle peut être bénéfique à l’échelle du territoire national pris dans son ensemble : l’Espagne et la Grèce lui doivent d’avoir accédé à la croissance continue et de sortir du sous-développement. La situation en Yougoslavie, en Bulgarie, au Portugal ou dans certaines des Antilles, à la Jamaïque par exemple, ou encore aux Bermudes et aux Bahamas est analogue. Le développement du tourisme lointain est un des éléments les plus susceptibles de donner des chances de démarrage aux économies du tiers monde.