Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Touré (Sékou)

Homme d’État guinéen (Faranah 1922).


Né en pays malinké, Sékou Touré fréquente l’école coranique et primaire jusqu’en 1936, puis entre à l’école professionnelle de Conakry, mais se voit, après une grève d’élèves dont il est accusé d’être l’instigateur, exclu de l’établissement. Après avoir complété son instruction par correspondance, il entre en 1941 au service des P. T. T., où il se fait le défenseur des intérêts des travailleurs. En 1945, il est élu secrétaire général du syndicat des P. T. T. et fonde en 1948 l’Union cégétiste de Guinée. À partir de 1950, il est secrétaire général du comité de coordination de la C. G. T. en Afrique-Occidentale française.

Homme d’action, Sékou Touré comprend très vite l’usage que l’on peut faire du syndicalisme dans la revendication politique et, après un séjour en prison en 1947, intéresse les syndicalistes métropolitains, qui le font venir à Paris, où il approfondit sa connaissance des idéologies de gauche. Partisan de la promotion de l’homme noir, il participe en 1946 à la formation du parti démocrate de Guinée, affilié au Rassemblement démocratique africain (R. D. A.) et s’engage dans l’action revendicative, qui lui permet en 1953, à l’occasion d’une grève qui dure soixante-treize jours, d’élargir son audience et de s’affirmer dans le cadre territorial de la Guinée française comme un leader important.

Dès lors, son influence s’accroît. Il est élu en 1955 maire de Conakry, député à l’Assemblée nationale française en 1956. Mais, tout en affirmant son attachement à la France, il rompt cependant avec la C. G. T. française et la World Federation of Trade Unions, dont les revendications ne coïncident pas avec celles des syndicats africains (1956).

En 1956, Sékou Touré voit dans l’application de la loi-cadre Defferre l’occasion de promouvoir le sort de l’homme noir dans le cadre de l’ensemble français, et s’efforce de donner à l’autonomie proposée un contenu réel : africanisation, industrialisation, destruction des structures tribales sont alors les objectifs immédiats à atteindre. Parallèlement, il poursuit le combat contre les idées centrifuges qui naissent dans son propre parti et que représente la tendance Houphouët du R. D. A.

Devenu vice-président du Conseil du gouvernement de Guinée en 1957, il se rallie aux idées de Nkrumah*, qui obtient en 1957 l’indépendance du Ghāna, et, lorsque de Gaulle offre aux territoires d’outre-mer la possibilité d’accéder à l’indépendance (sept. 1958), Sékou Touré, tout en déclarant vouloir maintenir des relations étroites avec la France, appelle les Guinéens à refuser l’entrée dans la Communauté : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage. » Le peuple le suit en votant « non » à 95 p. 100.

L’indépendance acquise, Sékou Touré voit dans le socialisme l’organisation économique susceptible d’arracher son pays au sous-développement. Mais ce socialisme pragmatique — qui rejette le marxisme et qui, faute de cadres instruits, de moyens techniques et d’aide extérieure, ne réussit pas à organiser et à faire bien fonctionner le nouveau régime — est critiqué. Le pays vit alors dans une atmosphère de conspiration permanente dont les manifestations les plus spectaculaires sont la révélation d’un complot contre la personne de Sékou Touré en janvier 1969, puis la tentative d’un débarquement d’opposants guinéens soutenus aussi bien par les puissances capitalistes que par celles du secteur socialiste (nov. 1970). Sékou Touré, qui rétablit la situation avec l’intervention de l’armée, n’en incarne pas moins, dans l’esprit de beaucoup de jeunes Africains, ce panafricanisme militant dont Kwame Nkrumah a été le plus prestigieux représentant.

A. H.

➙ Guinée.

 R. Segal, African Profiles (Harmondsworth, 1962).

Tourgueniev (Ivan Sergueïevitch)

Écrivain russe (Orel 1818 - Bougival 1883).



L’homme

Lorsqu’il rentre en Russie en 1850, couronné des lauriers de son premier livre, Récits d’un chasseur, Tourgueniev reçoit un accueil enthousiaste : il est séduisant, riche et célèbre. Les cercles cultivés et libéraux de Saint-Pétersbourg s’arrachent le jeune auteur et cherchent à lui faire oublier la grande passion qui l’a retenu à Paris, Pauline Viardot. Les femmes lui adressent des icônes ; même le tsar a lu avec un intérêt mélangé d’inquiétude son recueil de nouvelles. Les Récits d’un chasseur bouleversent la Russie en lui révélant d’elle un visage nouveau : les aristocrates découvrent soudain entre deux bals que les moujiks peuvent aimer, rire ou raisonner comme eux, qu’ils souffrent de la brutalité des intendants et de l’ignorance des barines !

Le destin semble avoir comblé Tourgueniev. Pourtant, son histoire est celle d’un homme sans foyer, sans patrie, sans croyance. À mi-chemin entre deux mondes, il va décevoir l’un et l’autre : trop libéral pour les conservateurs, trop réactionnaire pour les futurs bolcheviks, trop russe pour les Français, trop français pour les Russes... On le prend pour un réformateur, c’est en réalité un sceptique qui refuse de s’engager et se comporte en éternel spectateur. On le prend pour un passionné, c’est un indécis qui préfère la sereine amitié aux orages de l’amour.


Au bord du nid d’un autre

« Trouver un nid, je n’avais encore jamais connu ce bonheur ! », cet aveu du héros du Journal d’un homme de trop (Dnevnik lichniago tcheloveka, 1850) pourrait bien être celui d’Ivan Tourgueniev : Spasskoïe-Loutovinovo, l’immense propriété maternelle où l’enfant a vécu près d’Orel, ressemblait, plutôt qu’à un nid douillet, à une caserne régimentée par un hussard en jupons, Varvara Tourgueniev. Depuis que le colonel Tourgueniev avait déserté le foyer, la barinia régnait toute-puissante sur son domaine de vingt villages et de cinq mille âmes. De ses serfs elle exigeait une discipline très rude et punissait de knout la moindre défaillance. Le sensible Ivan et son frère Nikolaï subissaient la même poigne de fer, mais ils jouissaient d’une liberté immense pour courir la campagne et jouer avec les petits paysans. Ivan n’oubliera jamais ces limpides matinées de printemps, lorsque les brumes se dissipent et découvrent le seigle en fleur. Mystérieuse beauté de la campagne russe...