Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

toucher ou tact (suite)

Après leur entrée dans la moelle, les fibres de gros diamètre (Aα) se divisent en deux branches, l’une descendante, courte, et l’autre ascendante, qui forme les colonnes dorsales, lesquelles ne se terminent qu’au niveau bulbaire dans les noyaux graciles (de Goll) et en coin (de Burdach) [fig. 17]. Les axones des cellules de ces relais bulbaires, après avoir franchi la ligne médiane, forment le lemnisque médian (ruban de Reil médian), où ils sont rejoints par les axones des cellules du noyau sensitif principal du trijumeau (où font synapses les fibres issues du ganglion semi-lunaire), et montent jusqu’au noyau ventropostérieur du thalamus, dernier relais avant le cortex somesthésique de la pariétale ascendante.

Les fibres plus fines (Aδ et C) se divisent également à leur entrée dans la moelle, mais la branche ascendante est alors aussi courte que la branche descendante, et les terminaisons de ces branches font synapses avec des cellules de la matière grise médullaire. Les axones de ces cellules, après avoir franchi la ligne médiane, montent dans la moelle en formant le faisceau antérolatéral. On distingue deux parties dans ce faisceau : un contingent néo-spino-thalamique, bien développé chez les Primates, peu important chez les Carnivores et absent chez les Marsupiaux, et un contingent paléo-spino-thalamique, d’origine phylétique plus ancienne et dont l’importance relative varie peu dans l’ensemble des Mammifères.

Le contingent néo-spino-thalamique a comme origine des cellules médullaires de la corne dorsale et, montant latéralement au lemnisque médian, se termine en majeure partie dans le noyau ventropostérieur du thalamus. Les cellules d’origine du contingent paléo-spino-thalamique se trouvent en position plus ventrale ; ce contingent se projette dans des noyaux thalamiques dits non spécifiques, lesquels ont une projection corticale plus diffuse que le noyau ventropostérieur. À ce contingent paléo-spino-thalamique, il faut ajouter un contingent spino-réticulo-thalamique, qui ne s’en distingue que par le fait qu’il se termine dans la formation réticulée à différents niveaux du tronc cérébral. Les fibres réticulaires qui prennent le relais se terminent ensuite bilatéralement dans les noyaux thalamiques recevant déjà des afférences paléo-spino-thalamiques.

Au niveau même de l’organisation anatomique, il faut remarquer, en ce qui concerne les voies qui font relais dans le noyau thalamique ventropostérieur (voie des colonnes dorsales et contingent néo-spino-thalamique), une stricte organisation, dite somatotopique : à chaque dermatome correspondent une projection thalamique, puis une projection corticale particulière.

Cette projection corticale est multiple : sur la figure 18 ne sont représentées que les deux aires principales dites « S1 » et « S2 » (S = somesthésique) du Macaque avec les correspondances régionales entre l’origine somatique et les localisations thalamiques et corticales. L’organisation des projections est conforme à celle des dermatomes, mais avec une différence essentielle : les diverses aires de projection sont très inégales, très larges pour la face, la main et le pied ; elles sont réduites pour le tronc et la partie proximale des membres. C’est ce qui apparaît de façon caricaturale sur la représentation de l’homunculus qui accompagne une coupe frontale de l’aire S1 chez l’Homme.


Le traitement des informations d’origine cutanée dans le système somesthésique

Le neurologue anglais H. Head (1861-1940), se fondant sur le caractère dominant, cognitif ou affectif, de la sensation, divisait les sensibilités cutanées en deux catégories : « épicritique » et « protopathique ». Cette distinction coïncide assez bien avec la division anatomique que nous avons esquissée en regroupant les voies qui font relais dans le noyau ventropostérieur et qui constituent un système que l’on peut appeler lemniscal (pour l’essentiel, il emprunte le lemnisque médian), le système dit extra-lemniscal se définissant par différence et ayant comme voies médullaires les contingents paléo-spino-thalamique et spino-réticulaire. Nous étudierons successivement les caractéristiques fonctionnelles essentielles des deux systèmes.


Le système lemniscal

Alimenté en informations par les fibres cutanées de plus gros diamètre, c’est le système de la mécanoréception : tous les mécanorécepteurs que nous avons décrits y font parvenir leurs messages sensoriels. Par le contingent néo-spino-thalamique, il pourrait également recevoir des informations nociceptives empruntant les fibres de la douleur immédiate. C’est le système dans lequel le caractère spatial de la sensation est le plus précis.

Ce caractère spatial est fondé en premier lieu sur la somatotopie, la distribution topographique des informations sur le cortex en fonction de leur origine. Sa précision est liée à l’importance de l’aire corticale de projection, laquelle dépend de la richesse de l’innervation cutanée, c’est-à-dire du nombre de points, des champs récepteurs, présents dans une région considérée. Cette précision se mesure par l’acuité tactile. Il suffit d’un écartement de 2 mm à la pulpe des doigts pour que les deux pointes d’un compas (compas de Weber) soient distinguées, alors qu’il faut près de 5 cm sur le mollet (fig. 19).

L’étude des réponses individuelles des cellules du cortex somesthésique permet d’approfondir l’analyse des mécanismes qui sont à la base de nos perceptions cutanées. Ainsi, certaines cellules sont plus particulièrement sensibles au mouvement d’une stimulation sur la peau ; d’autres répondent au mouvement, mais d’autant mieux qu’il se produit dans une direction particulière ; d’autres encore, moins nombreuses, exigent non seulement une direction particulière du mouvement, mais également une certaine vitesse. Dans l’aire S2, qui, par le corps calleux, reçoit des informations du cortex controlatéral en plus de celles qui lui arrivent par le noyau ventropostérieur, on trouve des cellules qui sont excitées si une stimulation est portée d’un côté du corps et inhibées si elle est portée sur l’autre côté. D’autres cellules de cette aire sont électivement excitées si une excitation est portée simultanément des deux côtés du corps.

On conçoit que la synthèse de telles informations et de celles qui sont codées dès la périphérie par les terminaisons réceptrices confère à la sensibilité tactile de type lemniscal un caractère épicritique qui, s’il n’atteint pas la perfection de celui de la vision, permet cependant, en particulier aux Mammifères nocturnes, une adaptation satisfaisante au milieu.