Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

tonalité (suite)

La transformation de la tonalité médiévale en tonalité classique s’est effectuée sur deux plans, selon qu’il s’agit de monodie ou de polyphonie. Cette dernière a fortement contribué à accélérer la métamorphose en créant de fortes attractions qui ne tardèrent pas à faire craquer l’échelle diatonique en multipliant les altérations attractives et en donnant à cause de la consonance polyphonique un rôle privilégié à la quinte. Ainsi, progressivement, le rapport de quinte juste s’est trouvé mis à la base de toutes les structures, quel qu’en soit le mode d’origine, et tous les modes se sont vus structurés en pentacorde + tétracorde avec jonction sur la quinte, promue dominante unique. En outre, le nombre des notes mobiles, déplaçables par attraction (notamment sensible et sensible de dominante, c’est-à-dire 4e degré haussé par attraction vers le 5e), s’est multiplié au point de niveler la plupart des différences entre les modes, à l’exception de la tierce du pentacorde, qui devint désormais le critère unique.

C’est ainsi que les quatre modes à tierce mineure (1, 2, 3, 4) se fondirent en un seul, le mineur classique, de même que les quatre modes à tierce majeure (5, 6, 7, 8) devinrent le majeur classique, l’ensemble de ces deux modes formant exclusivement la tonalité classique. Nous désignerons ci-après le ton par T, le demi-ton (semitonium) par S, et la tierce mineure incomposée d’un ton et demi par T 1/2. Sous sa forme primitive, la tonalité classique comportait, dans les deux modes, un pentacorde fixe (TSTT en mineur, TTST en majeur) et un tétracorde mobile selon l’attraction, en majeur comme en mineur (TTS en montant, TST ou TTS en descendant), puis le tétracorde majeur se fixa sous sa forme ascendante, tandis que le tétracorde mineur demeurait mobile, engendrant peu à peu une troisième forme ST1/2 S coexistant à des fins harmoniques avec les deux échelles mélodiques. À l’époque de Bach, encore, le 7e degré en majeur devait normalement se bémoliser en descendant, ce qui naturellement ne comporte aucun emprunt à la sous-dominante. Le paradigme du majeur se fixa assez vite sur do. Celui du mineur fut d’abord avant d’être transféré sur la au xixe s., ce qui explique pourquoi les tons mineurs ont si souvent un bémol en moins à l’armature. En outre, deux tons plagaux, un mineur — le 4e — et un majeur — le 8e — résistèrent plus longtemps à l’assimilation : jusqu’à la fin du xviiie s., ils gardèrent leurs particularités harmoniques, surtout chez les organistes. Ce n’est qu’au xixe s. qu’on distingua le ton (choix de la tonique) du mode (fixant la suite des intervalles) et qu’on donna à l’ensemble ton + mode le nouveau nom de tonalité. Une distinction analogue, mais dans un sens différent, fut faite par les grégorianistes, qui désormais distinguèrent le ton, formule psalmique, du mode à structure intervallique.

Au début du xixe s., les canons attractifs de la tonalité classique, incluant la généralisation de la sensible et la prédominance constante de la cadence parfaite, devinrent un dogme quasi intangible. La sensible notamment fut considérée comme le critère essentiel de toute expression (cf. Berlioz dans À travers chants) et son absence momentanée de même que toute cadence d’où le 5e degré était exclu furent considérées, sous le nom abusif de modalité, comme des singularités à valeur d’archaïsme ou de sentiment religieux conventionnel en raison de son « inexpression » supposée. C’est alors seulement que la tonalité classique put être définitivement assimilée aux deux modes d’ut pour le majeur et d’un dérivé de la (son relatif) pour le mineur ; ce qui permit plus tard à Maurice Emmanuel d’élaborer sa fameuse théorie du « tyran ut », justifiée dans son résultat final, mais non dans son mode d’élaboration, et dont la formulation plus frappante que rigoureuse n’a pas été sans égarer parfois certains chercheurs.

En même temps, la tonalité prit une valeur constructive nouvelle par la généralisation du plan tonal, faisant des rapports de tonalité, dans leur succession, l’un des éléments essentiels de l’architecture. Les Romantiques toutefois furent loin d’attacher à ce plan la même rigueur que les classiques et la force structurelle de la tonalité n’a cessé de décroître. En outre, à partir de Liszt et de Wagner surtout, ils multiplièrent les zones d’incertitude tonale, utilisant dans ce but des accords susceptibles de plusieurs interprétations non précisées, ce qui, plus qu’un chromatisme dont on a exagéré le rôle, amena dès le début du xxe s. un net affaiblissement de la tonalité en tant qu’élément structurel. La modalité harmonique, adaptation aux structures harmoniques classiques des échelles modales que la tonalité classique avait répudiées, prit une importance nouvelle. Debussy se donna souvent comme but de « noyer le ton » dans un but de coloris ; Ravel au contraire, suivi par Stravinski (et non l’inverse) inaugura la polytonalité, largement exploitée à l’époque du Groupe des Six ; Schönberg par contre plaça explicitement l’ensemble de ses recherches sous le signe d’une lutte à mort contre la tonalité, et celle-ci continue actuellement à être traitée en ennemie par tous ceux qui ont subi son influence. On ne peut dire encore ce qu’il en restera à la fin du xxe s., mais il est probable qu’à ce moment la musique desséchée que produisent trop de racines coupées aura cessé hors de quelques cercles restreints d’avoir une importance quelconque, et que c’est à partir d’autres forces vives (jazz, musiques ethniques, etc.), où la tonalité n’a cessé de jouer son rôle séculaire, que se rebâtira une musique vivante.

J. C.

Tong K’i-tch’ang

En pinyin Dong Qichang ; nom social, Xuanzhai (Hiuantchai) ; surnom Sibai (Sseu-pai). Peintre chinois (1555-1636).


Dong Qichang fut plutôt théoricien que peintre. C’est lui qui établit la distinction entre l’école du Nord et l’école du Sud, cette dernière, qu’il entendait valoriser, étant définie par analogie avec l’école méridionale du boudhisme chan (tch’an*). Il classa les peintres professionnels dans l’école du Nord, les accusa de manquer d’orthodoxie et fixa un nouveau code de valeurs fondé sur son goût personnel. Son influence a été prépondérante sur la peinture dite « des lettrés » jusqu’à l’heure actuelle.