Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Toltèques (suite)

Le mythe de Topiltzin-Quetzalcóatl

On adopte généralement le schéma tracé par l’historien W. J. Moreno. Selon lui, partis du nord sous la conduite de leur chef Mixcoatl (« Serpent de nuages »), déifié par la suite comme dieu de la chasse, ils traversent les actuels États de Zacatecas et de Jalisco et se fixent quelques années à Culhuacán. À Mixcoatl succède son fils Topiltzin (né en 935 ou 947, selon la chronologie adoptée), qui décide d’installer sa capitale à Tollan (le « Lieu des roseaux »), l’actuelle Tula (État de Hidalgo).

Ce personnage va jouer un rôle essentiel dans l’histoire du Mexique. En lui se joignent le réel et le mythe. Historiquement, il porte le nom de Ce Acatl (« Un Roseau ») Topiltzin (« Notre Prince ») Quetzalcóatl (« Serpent-plumes précieuses »), car il a été voué au dieu avec lequel il finira par se confondre dans la mémoire des hommes. Par l’une des contradictions de son personnage, ce prince, issu de la tribu guerrière des Toltecas-Chichimecas, semble incarner plutôt la mystique des paisibles Nonoalcas. Il apparaît comme pacifique, préférant aux sacrifices humains l’immolation de cailles, de papillons et l’autosacrifice. Installé à Tula, il va très vite se heurter aux éléments dynamiques et avides de sang de son peuple. S’oppose à lui le grand prêtre de Tezcatlipoca, le dieu des nomades, du Nord, des ténèbres, des forces nocturnes maléfiques, dieu avide de sacrifices humains. Par une série de stratagèmes déloyaux, Tezcatlipoca va s’assurer la victoire et contraindre son rival à quitter la capitale qu’il avait fondée. Celui-ci doit s’enfuir avec une poignée de partisans, et les chroniques en langue nahuatl nous ont transmis le récit déchirant de son départ : « Alors il fixa les yeux sur Tula et se mit à pleurer ; quand il pleurait, c’était comme deux torrents ; ses larmes roulaient sur sa figure, ses larmes goutte à goutte transperçaient les pierres du chemin... »

Il part vers l’est, vers la côte du Golfe. À partir de là, les versions diffèrent sur son destin. Pour les uns, portant un masque de turquoises, enveloppé dans un long manteau de plumes de quetzal, il se suicida par le feu, et ses cendres, entourées de milliers d’oiseaux colorés, montèrent au ciel : il devint l’étoile du matin. Pour d’autres, accompagné de quelques fidèles, il s’embarqua sur un radeau fait de serpents, navigua vers l’est, d’où, pensait-on, il devait revenir un jour. Mais c’est aux chroniqueurs mayas qu’il faut demander la suite de la geste de Topiltzin-Quetzalcóatl. Ils annoncent en effet l’arrivée, en 987, d’un homme venu des hauts plateaux, qui porte le nom de Kukulkán (« Serpent-plumes précieuses » en langue maya) et qui sera à l’origine de la renaissance de la civilisation maya* du Yucatán, plus particulièrement à Chichén Itzá. Par une seconde contradiction de sa nature, ce prince, qui avait été chassé de Tula parce qu’il ne valorisait pas assez la guerre, va introduire chez les Mayas ces valeurs guerrières qu’il paraissait refuser. Mais le rôle historique de Quetzalcóatl ne s’arrête pas là. La légende voulait qu’il revienne un jour de l’est vers son royaume. Lorsque le souverain aztèque* Moctezuma II entendit parler de l’arrivée par mer d’étranges personnages à la peau blanche et barbus, il crut que le dieu venait réclamer son héritage. Ainsi Cortés*, confondu avec Quetzalcóatl, trouva-t-il dans la tradition mexicaine un allié qui lui permit sans doute de précipiter la fin de l’empire aztèque.


Puissance et chute de la civilisation toltèque

Pendant que Topiltzin-Quetzalcóatl parvenait au Yucatán, la ville de Tula poursuivait son épanouissement. La tradition nous parle avec émerveillement de cette capitale. Là, les épis de maïs poussent en abondance et beaucoup plus gros qu’ailleurs ; le coton fleurit de mille couleurs ; la ville, bâtie sur un promontoire entouré de précipices, n’est que palais de jade, d’or, de turquoises et de plumes précieuses ; ses artisans sont d’une habileté sans égale. Les Toltèques, sous la protection de Tezcatlipoca, peuvent donner libre cours à leur politique d’expansion guerrière. L’empire s’étend sur tout le Mexique central, du versant pacifique au versant atlantique. Mais bientôt il sera secoué par de nouvelles rivalités internes. Une fois encore vont se heurter l’aristocratie guerrière d’origine Tolteca-Chichimeca et l’ancienne aristocratie issue sans doute de Teotihuacán, favorable à un gouvernement pacifique et théocratique. De plus, une période de sécheresse catastrophique va engendrer de graves famines.

Huémac, le dernier souverain, transporte sa capitale à Chapultepec en 1156 ou 1168, mais, incapable de résister aux pressions qu’il subit de toutes parts, il se suicide. Quant à la ville de Tula, elle est détruite en 1168 par de nouvelles vagues de barbares, chichimèques eux aussi. Les Toltèques se dispersent dans tout le Mexique et le Guatemala, où ils vont imposer leurs coutumes aux tribus qui les accueilleront.


Un art expression de valeurs guerrières

L’art des Toltèques est tout entier inspiré de leur mystique guerrière. L’espace religieux est ici bien différent de celui auquel nous a habitués l’époque classique. Les petits sanctuaires réservés à une élite sacerdotale sont remplacés par des temples aux grandes salles à colonnes destinées à accueillir des ordres guerriers. Les plus caractéristiques sont celles du temple de Tlahuizcalpantecuhtli (l’« Etoile du matin ») à Tula ou du temple des Guerriers à Chichén Itzá. De même, la sculpture est tout entière le reflet de valeurs guerrières, inspirée par le combat, le sacrifice et la mort. Les énormes piliers qui subsistent du temple de Tula, sur la terrasse de sa pyramide, figurent des guerriers au riche harnachement symbolique, portant javelot et propulseur de flèches, les armes caractéristiques de ces tribus nomades ; les quelques bas-reliefs demeurés sur les gradins de cette pyramide représentent les ordres guerriers dont dépend la survie de l’État : ils sont symbolisés par des jaguars, liés au Nord, à Tezcatlipoca, et par des aigles, guerriers du Soleil. La mort est présente aussi, dramatique, avec les sculptures du tzompantli de Chichén Itzá. Cette plate-forme, destinée à exposer les têtes des hommes sacrifiés pour que le Soleil continue à donner sa lumière au monde, est tout entière ornée de têtes décharnées. À Tula, sur le « mur des serpents », ce sont des serpents qui dévorent des êtres squelettiques. L’impression générale est celle d’une grande froideur et d’une certaine monotonie dans la stylisation géométrique.

Quant aux arts mineurs, seule la tradition nous fait penser qu’ils atteignaient un grand degré de raffinement. En effet, Tula fut si complètement ruinée qu’il n’en restait aucun témoignage. Mais les meilleurs artisans des époques postérieures seront appelés « Toltecas ».