Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

tissage (suite)

Dès le ixe s., les tissus d’Espagne jouissaient d’une grande réputation. Au xiiie s., on comptait 6 000 métiers ; le centre de tissage le plus important était Almería. Les fragments conservés dans les musées sont souvent datables s’ils proviennent des robes des califes, qui y faisaient tisser leur nom. L’influence sassanide n’en est pas absente : le thème du héros Gilgamesh apparaît au musée de Vich (c’est l’une des très rares représentations de la figure humaine sur les étoffes hispano-moresques). Très caractéristiques sont les oriflammes et les bannières, ornées de motifs abstraits et d’inscriptions coufiques : la bannière du monastère de Las Huelgas à Burgos, symbole des luttes religieuses, fut prise par les chrétiens en 1212.


La Sicile

En Sicile, les ateliers de tissage et la culture du mûrier, déjà développés sous la domination fatimide, connurent un bel essor sous les rois normands, dont les ṭirāz (ateliers d’État) fabriquaient, à Palerme notamment, de fameuses étoffes de soie et d’or. La cathédrale de Cefalu conserve la tunique de Roger II, dont le superbe manteau de couronnement (1133, Kunsthistorisches Museum de Vienne) fut transporté en Allemagne par Henri VI. Les décors des tissus siciliens rappellent souvent les monuments contemporains : les motifs de la chape de Saint-Rambert-sur-Loire sont inspirés de ceux de la Martorana de Palerme ; les paons affrontés du trésor de la cathédrale de Toulouse rappellent ceux de la chapelle Palatine. Maîtres de la Sicile, les rois d’Aragon en feront venir des ouvriers qui détermineront le style souvent héraldique des tissus de l’Espagne chrétienne.


La primauté italienne

Après l’écroulement de l’empire de Frédéric II, des artisans siciliens se réfugièrent en Italie, où des ateliers textiles existaient déjà. Lucques apparaît au xive s. comme la capitale incontestée de la fabrication de la soie, et ses relations avec les foires de Champagne étaient nombreuses dès le xiie s. La production locale de matière première ne suffisant pas, on en importait des bords de la Caspienne, puis de Chine à partir de 1330. Un document important pour l’histoire du textile est l’inventaire du trésor des papes (1295) ; ceux-ci faisaient tisser à Lucques, où l’on se tenait au courant des cérémonies de cour de l’Europe entière (on réduisait la production des étoffes de couleur en cas de deuil). La clientèle ecclésiastique, surtout, était acheteuse de brocarts. Lucques a produit des dessins combinant les réminiscences sassanide, byzantine, arabe avec des éléments empruntés aux styles contemporains, gothique, persan et chinois. Sous cette dernière influence, le décor s’assouplit, des fleurs de lotus, des nuages et des rayons lumineux apparaissent. Les modèles tirés de l’héraldique et de la sculpture romane — oiseaux et quadrupèdes couplés — voisinent avec ceux qu’inspirent les troubadours : châteaux, navires, fontaines et étendards, animaux fabuleux. Lucques tissait également beaucoup de sujets religieux, par exemple les instruments de la Passion (musée de Lyon).

Dès le milieu du xiiie s., Venise fabriquait du drap d’or et des étoffes de soie. Mais la célébrité de ses velours imités de ceux de la Perse gagna toute l’Europe au xive s. et dura au moins trois cents ans, comme en témoignent d’innombrables tableaux, à commencer par ceux de Van Eyck*. De grands chardons et grenades stylisés jouent souvent sur un fond de drap d’or. À Florence, où la magnificence des textiles était digne de celle des autres arts, les broderies sont généralement plus intéressantes que les tissages et suivent les dessins des plus grands artistes ; dès le xive s. apparaissent dans les tissus des dessins à petite échelle mêlant une grande variété de motifs végétaux, animaliers et héraldiques. Il faut encore citer, parmi les grands centres textiles, Sienne, où l’on remplaça par le tissage les broderies d’orfroi des vêtements d’église, Gênes, spécialiste aux xive et xve s. des velours ciselés à motifs assez petits sur fond de satin, d’inspiration orientale, Pérouse, qui travaillait le lin, orné de passementeries et de frises de coton bleu.

Le xvie s. aime les velours ciselés à petits dessins pour l’habillement, les architectures de grotesques pour l’ameublement. Le xviie s. affectionne la profusion des détails, la couleur, l’or et l’argent ; Gênes triomphe avec l’invention du lampas, tissu à double trame qui permet des effets nouveaux de relief et de polychromie.


L’heure française

C’est François Ier qui donna le coup d’envoi à l’industrie de la soie en France (déjà présente, toutefois, à Tours). Lyon devint en 1540 l’entrepôt unique des soies brutes et façonnées qui pénétraient dans le royaume. Les premiers ateliers y furent menés par des Italiens qui imposaient leurs modèles, d’où l’absence de décor français dans la production de cette époque. L’introduction de la sériciculture et l’invention en 1605 par le Lyonnais Claude Dangon du métier dit « à la grande tire », capable de tisser de grands motifs, permirent à la créativité locale de se manifester. Cependant, on achète encore en Italie jusqu’au début du règne de Louis XIV. Puis Le Brun* impose son goût aux tissus comme aux autres arts décoratifs : bouquets et fruits de grande taille disposés avec symétrie. Les dessinateurs lyonnais inventent des motifs imitant la dentelle, à la mode entre 1680 et 1730. D’autres centres se développent, notamment Rouen pour les toiles d’ameublement. Les damas (tissu fort ancien), les brocatelles et les velours ciselés, à dominante rouge ou verte, connaissent une grande faveur.

Sous le règne de Louis XV, l’industrie textile française fournit l’Europe entière. Les tendances décoratives vont au naturalisme : fleurs et fruits diminuent de proportions, et les dessinateurs cherchent à donner l’illusion de relief. Jean Revel (1684-1751) invente un point qui indique correctement les ombres. Chez Jean Pillement (1728-1808), la précision de l’observation n’exclut pas l’étrangeté. Très à la mode sont les chinoiseries et turqueries au goût de Mme de Pompadour. Avec le style Louis XVI, on retourne à la symétrie, au décor petit et disposé en hauteur. Pour l’habillement, la nouveauté est le décor droguet, semis de petites fleurs, et pour l’ameublement les motifs à l’antique. Il convient de citer le nom de Philippe de La Salle (1723-1804), aussi bon technicien que brillant artiste, qui domine la fabrication lyonnaise de la fin du siècle. La grandeur simple de son style le dispense de se servir de l’or et de l’argent. À la même époque se développent les soieries imprimées.