Compositeur anglais (Londres 1905).
Depuis la mort de Ralph Vaughan Williams en 1958, il est incontestablement le plus grand compositeur anglais vivant, et son art, moins directement séduisant, moins « accrocheur » que celui d’un Britten*, repose sur des valeurs artistiques et spirituelles autrement solides et profondes. La carrière de ce quasi-autodidacte a été lente et difficile, et ce n’est que depuis quelques années qu’il occupe enfin dans son pays une place à la mesure de son génie. Il a d’ailleurs mis du temps à trouver sa voie propre et n’a conservé aucune œuvre antérieure à ses trente ans. Le concerto pour double orchestre à cordes (1938-39) et l’oratorio A Child of our Time (Un enfant de notre temps, 1939-1941) établirent sa réputation et demeurent ses œuvres les plus connues. Ce sont d’ailleurs de parfaites réussites l’une et l’autre, et elles définissent bien son style et sa personnalité. Le concerto révèle ses profondes affinités avec les madrigalistes élisabéthains, dont il a longtemps dirigé des interprétations exemplaires durant son activité de directeur du Morley College. C’est d’eux que découle sa rythmique si originale, aussi libre qu’ingénieuse dans sa complexité et qui, permettant à chaque ligne mélodique de s’articuler librement, ignore les servitudes de la barre de mesure et multiplie syncopes et contretemps d’une manière parfois étrangement proche du jazz. L’oratorio, véhémente dénonciation du racisme nazi, inspiré par la fameuse Nuit de cristal, par laquelle Hitler se vengea sur les Juifs d’Allemagne de l’assassinat d’un conseiller d’ambassade par un jeune réfugié, H. Grynszpan, révèle le généreux engagement de Tippett, esprit libéral, pacifiste et antitotalitaire. On trouve dans cette partition un usage émouvant des negro spirituals, qui tiennent la place des chorals dans les Passions de Bach. Après ces deux succès précoces commença pour Tippett une longue « traversée du désert » : ses œuvres suivantes, d’ailleurs inégalement réussies et fruit d’une douloureuse recherche, se heurtèrent à l’incompréhension. Son premier opéra, The Midsummer Marriage (le Mariage de la mi-été, 1946-1952), déploie pourtant une inspiration d’une générosité lyrique et d’une luxuriance mélodico-harmonique exceptionnelles à cette époque, en même temps qu’il ajoute deux éléments essentiels à notre connaissance de sa personnalité : la passion de la psychanalyse (Tippett est un grand connaisseur de Jung) et l’attirance vers un merveilleux poétique d’inspiration celtique, qu’expliquent ses origines (sa famille vient de Cornouailles). Le concerto pour piano (1953-1955) porte à son comble l’efflorescence lyrique d’une mélodie ornée singulièrement complexe. La Deuxième Symphonie (1956-57) marque un tournant vers la deuxième phase, plus austère, de son évolution. Sa pensée linéaire se dépouille de plus en plus, l’harmonie se fait plus âpre et abandonne la tonalité, l’émotion se décante, brûle d’une flamme plus intérieure, sans perdre de sa générosité, cependant que sa lutte avec la matière (jamais il n’eut de facilité de plume, c’est l’anti-Britten à cet égard également !) a quelque chose de beethovénien. Naissent alors son deuxième opéra, King Priam (1958-1961), le concerto pour orchestre (1962-63) et un nouvel oratorio, The Vision of Saint Augustine (1965), qui est l’un de ses plus hauts chefs-d’œuvre, mais aussi l’un des plus ardus. Enfin, récompense de cette ascèse, voici fleurir les œuvres les plus récentes, qui réconcilient lyrisme et rigueur en une synthèse pleinement personnelle, avec un troisième opéra — The Knot Garden (1966-1969), nouvelle étude psychologique des rapports du couple, faisant appel au psychodrame et qui est au Midsummer Marriage ce que Cosi fan tutte est à la Flûte enchantée — et avec l’immense Troisième Symphonie, pour soprano et orchestre (1970-1972), œuvre de dimensions et d’esprit mahlériens, et où la voix chante quatre blues. À l’apogée de sa puissance créatrice, Tippett, qui a été anobli il y a quelques années, termine actuellement un quatrième opéra, inspiré par l’affaire Soljenitsyne. Parmi ses œuvres vraiment marquantes, on citera encore ses quatuors et ses sonates pour piano. Issu de multiples influences (Hindemith, Stravinski, mais surtout Beethoven), son style est certes l’un des plus personnels qui puissent se trouver aujourd’hui, et il est grandement dommage que cette musique admirable, largement diffusée en Europe et aux États-Unis, continue à se heurter en France au barrage tenace du préjugé antianglais en matière musicale.