Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tibet (suite)

Enfin, la littérature n’est pas seulement écrite, mais aussi orale. Comme partout, la forme orale a précédé la forme écrite. Les historiens rapportent que les premières manifestations littéraires, avant même l’invention de l’écriture, étaient les contes et les énigmes. De plus, les enseignements ésotériques se transmettent oralement, jusqu’à nos jours. On serait tenté d’appeler cette littérature orale « littérature populaire », si le terme n’était équivoque. Il est justifié si l’on entend par là que la littérature orale est celle que pratique le peuple : chants de travail, d’amour, de mariage ; épopée et contes. Mais si ce vocable signifie littérature issue du peuple, forgée au sein du peuple, sa justification est plus douteuse. Car, parallèlement aux versions orales, on trouve des versions écrites — par des clercs, rappelons-le — des mêmes contes, des mêmes chapitres de l’épopée. Généralement, on ne connaît pas les auteurs de ces versions, écrites ou orales : on ne peut donc pas les dater les unes par rapport aux autres. Alors se pose la question de savoir si l’inspiration première était populaire, simplement couchée par écrit ensuite par les clercs ; ou si, au contraire, ceux-ci, pour propager dans le peuple la morale bouddhique, n’ont pas habilement utilisé des formes et des thèmes populaires, composant des œuvres reprises ensuite par les conteurs ambulants, et par eux retournées au fond commun. Il ne resterait alors comme littérature vraiment populaire que les chants, souvent sous forme d’énigmes, cités plus haut.

On peut retenir cependant que les plus grandes œuvres de la littérature tibétaine tirent une part importante de leur inspiration de la vie quotidienne ; leur forme s’appuie sur celle des chants et joutes oratoires populaires ; leur expression est celle de la langue parlée.


La forme et les procédés littéraires

Prose et vers se partagent la création littéraire ; à l’intérieur de chacune de ces formes, on trouve deux genres bien différents, l’un que l’on peut qualifier de savant, l’autre de populaire.

La prose savante se caractérise par de longues périodes, en style orné, souvent redondant. Volontiers pédante, elle abuse des métaphores plutôt que d’employer le terme propre ; ces métaphores sont empruntées, pour la plupart, aux figures poétiques (alaṃkāra) de la poétique indienne. On rencontre ce type de prose surtout dans les ouvrages d’érudition, dans certaines biographies et pièces de théâtre (nor-bzang). Les lettrés tibétains y trouvent de grandes beautés.

D’un tour beaucoup plus alerte, dans une forme proche de celle de la langue parlée, le style « ordinaire » touche davantage notre sensibilité. Les phrases, plus courtes, sont souvent percutantes, tandis que les images empruntées à la nature ou à la culture matérielle frappent par leur justesse poétique. C’est essentiellement, mais pas uniquement, le style des contes, de l’épopée. On le trouve aussi dans des biographies, des pièces de théâtre.

Le vers est caractérisé par un nombre de syllabes déterminé et par le rythme, c’est-à-dire la succession ordonnée de syllabes accentuées et non accentuées. La poésie savante est directement inspirée des traités de poétique indienne, traduits à la même époque que les textes bouddhiques et incorporés comme eux dans le canon. Elle utilise des mètres indiens, de longueur variable (de sept à onze, ou dix-sept syllabes), et les mêmes métaphores que la prose savante. Comme elle, elle nous paraît très académique.

La poésie purement tibétaine a de profondes racines dans le peuple même. Elle utilise généralement le vers de sept syllabes (dactyle) ou, dans les documents anciens (viie-xe s.), celui de cinq syllabes (trochée). C’est le vers que l’on rencontre aussi bien dans les chants populaires que dans l’épopée, les chants mystiques, la littérature « révélée », et également les dialogues chantés des pièces de théâtre.

Une forme propre à la littérature tibétaine est la combinaison de la prose et des vers : l’exposé de la situation, l’introduction des personnages forment un court récit en prose, auquel succèdent des poèmes dans lesquels les personnages s’expriment. Ces poèmes sont chantés, comme le montrent à la fois la terminologie (glu, « chant profane » ; mgur, « chant mystique ») et l’indication de la mélodie sur laquelle chaque poème doit être chanté. Dans le cas de l’épopée, chaque personnage a son thème mélodique propre.

C’est dans ces poèmes chantés que se déploient tous les procédés stylistiques chers aux Tibétains. L’un d’eux est l’emploi du langage métaphorique ; il s’appuie souvent sur les dictons dont la connaissance intime par tous les Tibétains permet l’ellipse. (Il faut remarquer qu’un même vocable, dpe, désigne le dicton et la métaphore.) Ce langage elliptique relève d’un genre traditionnel, celui de l’énigme : ce serait, on l’a vu, l’une des premières créations littéraires au Tibet. Ce genre subsiste actuellement encore, principalement dans les chants de mariage.

Un autre procédé est l’emploi du langage descriptif du monde visuel et sonore, grâce à une multitude d’onomatopées et de mots descriptifs utilisant le redoublement. (Par exemple, zil-zil, ou zi-li-li, désigne le bruit de la pluie ; khro-lo-lo, le tintement des instruments de musique ; ’khrigs-se-’khrigs, la densité d’une foule...)

Un procédé très utilisé, et depuis l’époque la plus ancienne, est la reprise du même thème en deux phrases parallèles. Parfois même, pour accentuer le balancement entre les deux phrases, une expression est désarticulée, et chacun de ses éléments joue le même rôle syntaxique dans les deux énoncés.


Les genres


Littérature historique

Le premier document historique qui nous soit parvenu est un manuscrit rédigé en forme d’annales, à la chinoise (Annales de Dunhuang [Touen-houang], ixe s.). À la même époque remonte une Chronique, poème épique plus qu’œuvre d’historien ; on y trouve déjà l’alternance typique de prose et de chants métaphoriques versifiés.