Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tibet (suite)

À la fin du xive s., un grand réformateur religieux, Tsong-kha-pa (1355-1417), renforce le pouvoir religieux en y introduisant une série de transformations sur le plan culturel et sur celui de la rigueur morale. La liturgie lamaïque, avec toute sa pompe, prend alors forme. Tsong-kha-pa met au ban la magie ; rétablissant le célibat des moines, interdisant les boissons fermentées, il édicté un code monacal très précis et fonde la secte des Bonnets jaunes (Ge-lugs-pa).

Les Ming héritent du Tibet lors de la disparition des Yuan (Mongols). L’autorité de l’héritier de Tsong-kha-pa est officiellement reconnue et avalisée par l’Empire du milieu. Les pontifes tibétains sont dépouillés de toute force militaire, mais leur pouvoir religieux est tel qu’ils traiteront avec mépris les dynastes Ming.

Il est utile de noter que la théocratie tibétaine n’est en aucun point une variation du bouddhisme tibétain, mais une institution profondément mongole de par son essence et son organisation. Le mot dalaï (océan) est mongol et fut attribué en 1578 par Altan khān (1543-1583) au troisième successeur de Tsong-kha-pa. Vers le xviie s., une autre entité temporelle accompagne le dalaï-lama ; c’est le panchen-lama.

Les Bonnets jaunes, quant à eux, se tiennent pendant une grande période à l’écart de toute arène politique. Au xve s., ils sont mis en demeure de s’intéresser aux choses de ce monde par l’irruption, dans l’histoire tibétaine, d’une autre secte, celle des Bonnets rouges (Karma-pa), elle-même fortement épaulée par les princes de Chigatse. En 1641, ils font appel aux Mongols Kochots du Koukou Nor, dont le chef, Gushi khān, défait les princes partisans de l’Église rouge. En 1642, Gushi khān offre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel au cinquième dalaï-lama tout en conservant habilement le pouvoir militaire et le droit de collecter certains impôts pour ses troupes. Le pouvoir temporel du dalaï-lama surgit ainsi dans l’histoire.

De cette époque à nos jours, il y aura quatorze dalaï-lamas.


La grande théocratie tibétaine le pouvoir des dalaï-lamas

Avec le renouveau des canons et de la liturgie tibétaine amorcé par Tsong-kha-pa, un courant d’ascèse et de réforme monacale parcourt le Tibet. La pratique de la réincarnation est définitivement admise pour les dalaï-lamas. Pouvoir temporel et pouvoir spirituel coexistent. Les communautés de très grands monastères se répandent sur l’ensemble du pays. La lamaserie, restreinte à l’origine, prend les proportions d’une ville ceinte d’une imposante muraille fortifiée, chaque lama détenant sa propre maison avec le disciple qui lui est dévoué. Certains monastères rassemblent plusieurs milliers de moines et possèdent leur bibliothèque, leur imprimerie, leurs magasins de nourriture ; ils gèrent en féodaux de vastes domaines, collectant impôts et revendant des marchandises importées de Chine, du Népal, du Cachemire. Parfois, les monastères se constituent en noyaux socio-politiques, tels ceux de Galdan et de Tachi Lumpo ainsi que le célèbre Potala.

Une famille tibétaine se doit de donner un ou plusieurs lamas. Non loin des monastères existent des ermitages, alvéoles dans les rochers, les grottes, où certains moines pratiquent l’ascèse mystique. D’autre part, le Tibet est sillonné par d’interminables pèlerinages, qui déplacent de vastes mouvements de foules et qui sont souvent prétexte à des activités marchandes fructueuses. Ces pèlerinages, parfois, conduisent les Tibétains en Inde, à Gayā (Bodh-Gayā), lieu du sermon de Bouddha, ou en Chine, à Wutaishan (Wou-t’ai-chan).

Cette période de l’histoire tibétaine est profondément marquée par la personnalité du cinquième dalaï-lama, Ngag-dbang-blo-bzang (1617-1682), appelé « Grand Cinquième ». Érudit et politicien subtil, celui-ci étend son influence vers les confins de l’Asie centrale, territoires des clans mongols. Bâtisseur et homme de religion, il édifie le célèbre Potala à Lhassa, à l’endroit même où se dressait le château construit par le roi Srong-btsan-sgam-po. Avant sa mort, il assure sa succession en élevant dans le plus grand secret le sixième dalaï-lama. Mais, au début du xviiie s., le régime lamaïque subit une éclipse : le pouvoir temporel du septième dalaï-lama est confisqué par un conseil d’État composé de membres de la haute aristocratie. En 1726, une guerre civile éclate entre partisans du dalaï-lama et ceux de l’aristocratie. De ce conflit, la noblesse sort victorieuse : Pho-la-nas Bsod (1689-1747), un aristocrate du Tsang, s’empare du pouvoir et gouverne en paix le Tibet pendant presque vingt ans. Mais en 1750, à la mort de son successeur, les dalaï-lamas reprennent le pouvoir, qu’ils garderont jusqu’en 1912.

Bon

La religion autochtone du Tibet est un culte prébouddhique à racine chamaniste en général appelé bon. Ce culte est un regroupement du chamanisme traditionnel tibétain allié à une démonologie typiquement tibétaine ; une certaine influence taoïste peut également s’y déceler de par les contacts permanents que la Chine entretenait avec le Tibet. Plus tard, lors de l’apparition du bouddhisme, un syncrétisme va s’établir entre ce culte populaire et la grande religion bouddhique en provenance de l’Inde. La base du bon était axée sur des cultes d’esprits négatifs, dont les prêtres bon avaient pour charge d’enrayer l’action néfaste, maladie, mort, cataclysmes naturels, à l’aide d’un certain nombre d’activités de magie défensive, de transes et d’exorcismes propres au chamanisme traditionnel.

Lors de la conversion des rois tibétains au lamaïsme au viie s., le bon fut très activement persécuté, ses prêtres furent pourchassés, leurs lieux de culte systématiquement détruits. La hiérarchie lamaïste, qui détient le pouvoir temporel dans le Tibet central et le Tibet occidental, les persécutait il y a encore peu de temps d’une manière radicale. Néanmoins, le culte bon reste encore implanté dans le Tibet oriental et le Tibet du Sud-Ouest, régions très peuplées qui restèrent pendant plusieurs siècles sous le contrôle chinois et hors de la juridiction des dalaï-lamas. Le bon est surtout étendu chez les agriculteurs, alors que les nomades, dont le déplacement les menait dans les territoires du grand lama, étaient restés beaucoup plus fidèles au lamaïsme.