Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tibet (suite)

Les deux reines étrangères chinoise et népalaise, apportant avec elles leur propre héritage culturel, concoururent à raffiner le Tibet, et tout particulièrement Lhassa, où elles introduisirent une nouvelle religion, opposée au bon traditionnel, le bouddhisme*. Elles demeurèrent déifiées dans la mythologie tibétaine sous le nom de « Tārā verte » pour la princesse chinoise et de « Tārā blanche » pour la princesse népalaise. Lhassa, dans le même temps, prit allure de capitale ; de nombreux monastères et édifices religieux s’érigèrent, bénéficiant des apports conjugués de l’Inde et de la Chine. Srong-btsan se convertit au bouddhisme indien et recouvrit le Tibet de chorten (stūpa indiens). Avec la Chine, le Tibet découvrit l’alcool de riz, la bière, la poterie, l’irrigation, le papier, l’encre et plus tard le thé en plaques comme il découvrit aussi l’art de l’orfèvrerie de l’Inde.

L’influence indienne, toute de douceur et d’humanisme bouddhique, infléchit la tradition guerrière tibétaine. L’art tibétain devient bouddhiste, alors que le bouddhisme a quasiment disparu de l’Inde. En 648, une grande voie relie la Chine et l’Inde, facilitant le commerce des épiées et celui de la soie entre ces deux pays.

Srong-btsan décédé (649), son ministre Mgar entreprend d’élever son successeur et de poursuivre son œuvre de conquête en s’emparant du royaume des Tuyuhun (T’ou-yu-houen) dans le Koukou Nor. À sa mort, l’amitié avec la Chine prend fin ; les Tibétains remportent en 670 la victoire de Dafeichuan (Ta-fei-tch’ouan), qui ouvre à la domination tibétaine tout le bassin du Tarim. Les successeurs de Mgar, véritables dynastes, accroissent leur influence au sein du gouvernement en jouant le rôle de régents.

La monarchie tibétaine atteint son apogée avec Khri-srong-lde-btsan (755-797). Exerçant le pouvoir personnellement et attachant le plus grand soin aux choses de l’État, ce souverain restera le « roi-religieux ». Sous son règne, d’intenses relations diplomatiques et commerciales sont établies avec les califats de Bagdad. Les grandes oasis de la route de la soie tombent aux mains des Tibétains (Khotan). Poussant avec succès les incursions annexionnistes, l’armée tibétaine réussit, en 763, après une campagne foudroyante, à s’emparer de Chang’an (Tch’ang-ngan), capitale des Tang, qu’elle doit abandonner peu après. Cette supériorité militaire s’explique par le fait que l’armée tibétaine allie à la vélocité des chevaux l’emploi de l’arc à double réflexe, ou arc mongol.

À la guerre à l’extérieur correspond le développement du bouddhisme à l’intérieur. À partir de 747, le sage indien Padma Sambhava enseigne aux Tibétains le bouddhisme vajrayāna, mélange de doctrines indiennes et de tantrisme. Ce bouddhisme, emprunt de magie, supplante la religion archaïque bon, et, en 779, la religion indienne est déclarée religion d’État.

L’influence bouddhiste va être cependant contestée ; le roi Glang-darma (838-842), très opposé à ce courant, persécute les moines en les forçant à se marier et à devenir chasseurs ; les philosophes indiens sont congédiés et obligés de rejoindre leur pays d’origine. La répression atteignant des proportions considérables, l’opposition bouddhiste délègue en grand secret à Lhassa un moine ; celui-ci, à la faveur d’une audience, décoche au roi une flèche mortelle, qui met fin au lignage royal héréditaire.


La parcellisation du Tibet (850-1050)

Après la chute de la monarchie, le Tibet se divise en plusieurs petites principautés. Le bouddhisme renaît de ses cendres grâce à des missionnaires tels Bla-chen-po (892-975) et Klu-mes (v. 950-1025). Sur le plan politique le Tibet occidental voit les royaumes de Spurang et de Guge se développer et bénéficier d’une renaissance économique et intellectuelle. Cette période est marquée par l’influence du sage indien Atīśa (v. 980-1054), invité au Tibet occidental.

Cette « seconde diffusion de la loi » modifie profondément l’infrastructure économique du Tibet. Les monastères bouddhiques vont prendre un essor sans précédent et devenir des foyers qui concurrencent très fortement la grande aristocratie terrienne.

L’histoire du Tibet, à partir de ce moment, est étroitement mêlée à l’histoire des monastères et à celle des différentes écoles théosophiques. Atīśa crée les quatre grandes sectes orthodoxes qui vont conserver leur influence jusqu’en 1960. Son propre rayonnement spirituel est générateur de deux courants contradictoires et en même temps unitaires : la théocratie tibétaine, avec un pouvoir temporel renforcé par le contrôle économique de la paysannerie ; l’exigence d’ascèse et de méditation, la considération du réel comme illusion (maya).

Les xe et xie s. voient une floraison de la mystique et de la littérature tibétaines. Cette effervescence créatrice se manifeste par l’apparition d’innombrables traités de médecine, d’astrologie, d’agriculture, de géographie.


L’essor de la théocratie tibétaine, l’influence mongole

Le Tibet, comme toute l’Asie, doit traiter avec Gengis khān* ou périr sous ses coups. En 1207, adoptant une attitude sagement diplomatique, le Tibet fait serment de vassalité au grand khān et s’engage à lui fournir un tribut substantiel, qui, du reste, ne sera plus payé à la mort de Gengis.

À l’avènement du Kūbīlāy khān* en 1260, un religieux tibétain, Phag-spa (1235-1280), favori de Kūbīlāy, est investi d’un véritable pouvoir temporel sur treize districts du Tibet central établissant ainsi pour la première fois dans l’histoire du Tibet les fondements d’un pouvoir théocratique. Mais, au milieu du xive s., l’influence mongole de la dynastie Yuan s’amenuisant au fur et à mesure de l’opposition nationale chinoise, le clan religieux des Sa-skya-pa perd de son pouvoir ; celui-ci tombe dans les mains d’une autre famille, les Lang, qui contrôlent tout le Tibet central et qui se disent héritiers de l’ancienne monarchie.