Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tibet (suite)

Les activités traditionnelles

L’essentiel du peuplement de la région autonome du Tibet se concentre dans les vallées (rong) et les dépressions (sgang) de l’est et du sud, et, pour plus des trois quarts de la population sédentaire, dans la vallée du Cangbo. Ce sont là les seuls terroirs agricoles traditionnels du Tibet, où la culture essentielle est celle du tsingko (variété d’orge résistant au froid), complétée par divers légumes : oignons, pois, yuanken (variété de navet). Une plus grande diversité apparaît dans les vallées du Tibet oriental, plus chaudes (maïs, millet, arbres fruitiers, riz, dont la culture s’est développée sous l’impulsion d’immigrants chinois venus du Sichuan). Ressources agricoles fort limitées au total, que viennent heureusement compléter les ressources d’un élevage transhumant qui utilise en été les pâturages (’brog) du nord de Lhassa et des monts Gangdisi. Activité complémentaire des agriculteurs sédentaires des vallées, l’élevage devient la ressource exclusive de la partie méridionale et orientale du haut Tibet, dont les pâturages clairsemés (thang) sont parcourus par des pasteurs nomades (moins de 20 p. 100 de la population de la région autonome).

Qu’il soit le fait des sédentaires ou des pasteurs nomades, cet élevage repose essentiellement sur deux espèces admirablement adaptées à ce milieu exceptionnel : le mouton (le tissage de la laine est une importante activité artisanale des agriculteurs sédentaires) et surtout le yack, animal de bât irremplaçable et qui fournit la viande, le poil et le lait (qui, transformé en beurre et consommé avec le thé, constitue avec le tsamba [farine d’orge grillée] la base de l’alimentation des Tibétains).


L’emprise chinoise et les transformations socio-économiques

Traditionnellement, la propriété des pâturages et des terres cultivées relevait du dalaï-lama, de la noblesse laïque et ecclésiastique ainsi que des monastères. Le domaine seigneurial ou le monastère constituait une unité dont dépendaient plusieurs centaines de familles paysannes, réparties en trois catégories : les tsaipa, qui pouvaient se voir concéder des lopins travaillés pour leur propre compte, en utilisant éventuellement une main-d’œuvre des classes inférieures ; les duitchung, cultivant des terres louées au seigneur ; les langsun, véritables serfs dans la dépendance totale de leur maître.

C’est à une telle société, à caractère féodal, dominée par le clergé lamaïque, que se sont trouvées confrontées les autorités communistes chinoises quand leurs troupes pénétrèrent au Tibet en 1951. Les premières réformes socialistes qui y sont entreprises à partir de 1952 ne tardent pas à rencontrer l’opposition du clergé, puis d’une partie de la paysannerie, pour aboutir à une rébellion armée, réprimée en 1959. Les biens des propriétaires et des monastères qui ont participé à la rébellion sont alors confisqués et confiés aux agriculteurs et aux pasteurs organisés en associations. Le servage est aboli, les dettes sont annulées, et le loyer des terres est réduit de 75 p. 100 sur les domaines que conservent les propriétaires (et monastères) qui n’ont pas participé à la rébellion. Une redistribution générale des terres est ensuite entreprise, touchant en 1961 la quasi-totalité de la paysannerie, qui sera alors organisée (comme en Chine en 1952-1954) en équipes d’entraide, au nombre de 22 000 en 1964, regroupant 160 000 familles sur un total de 180 000. La transformation socialiste s’accélère à partir de 1965, année de la création de la région autonome du Tibet, par l’organisation de coopératives socialistes regroupant les équipes d’entraide, puis à partir de 1967 par la constitution de communes populaires (sans que l’on sache toutefois si l’ensemble de la paysannerie tibétaine y est actuellement intégrée).

Parallèlement, les autorités chinoises ont entrepris le développement économique du Tibet, qu’il s’agissait d’abord de désenclaver par la construction d’axes routiers le reliant à la Chine : 7 250 km de routes ont été construits entre 1959 et 1964, dont trois grands axes, Sichuan-Lhassa (2 413 km), Qinghai-Chigatse (2 200 km), Xinjiang-(Sin-kiang)-Lhassa, voie qui emprunte la partie la plus occidentale du Tibet.

Le développement de l’économie agricole s’est marqué par la conquête de 66 000 ha de terres nouvelles, par l’extension de l’irrigation à plus de 50 p. 100 des terres cultivées, par l’implantation de fermes expérimentales pour introduire et développer des cultures nouvelles (blé, maïs, betterave à sucre, lin, thé, tabac), par l’installation d’une infrastructure vétérinaire, par l’amélioration et le développement du cheptel, qui passe de 10 millions à 15 millions de têtes entre 1959 et 1964.

C’est également le développement de diverses activités industrielles, notamment l’exploitation d’un gisement de charbon, l’édification d’environ une centaine de petites et moyennes centrales hydro-électriques ainsi que de plusieurs centaines d’usines ou d’ateliers (construction mécanique, produits chimiques, papeteries, usines textiles, matériaux de construction, tanneries, fabriques de lait en poudre, usinage du bois, etc.).

Lhassa (Lasa) [env. 100 000 hab.], la capitale, a connu de même de notables transformations : les terrains vagues et marécageux qui s’étendaient au pied du Potala, l’ancien palais du dalaï-lama, portent aujourd’hui de nouveaux quartiers commerciaux, aux larges avenues, tandis qu’à l’ouest et au nord ont été édifiés des quartiers industriels comptant plus d’une vingtaine d’usines et d’ateliers (filature de laine, tannerie, usine de fabrication de lait en poudre et de beurre, cimenterie, matériaux de construction, matériel agricole, réparation automobile).

P. T.


L’histoire

De par sa situation géographique très particulière, le Tibet a toujours été sujet à de nombreuses interprétations et extrapolations philosophiques et mystiques. « Plateau du monde », « pays des neiges », c’est en effet sous l’apparence de la « terre du sacré » par excellence que cette contrée est apparue dans l’histoire de l’Asie et de l’Occident. Récemment venu de la côte ouest des États-Unis, un engouement mystico-religieux issu d’une société occidentale en crise a polarisé sur ces hautes terres un intérêt axé sur la recherche de la connaissance « fondamentale » à travers une expérience spirituelle autre que celle que le catholicisme et le protestantisme leur avaient offerte. Pourquoi cet intérêt constant pour ce pays, pourquoi cette charge spiritualiste et mystique ?