Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tiahuanaco (suite)

Le Puma-punku — nom signifiant « Porte des pumas » — est un vaste ensemble de plates-formes protégé par une double muraille et comportant plusieurs portes. On y voit des autels, des sièges de pierre, des statues enturbannées et diverses figures sculptées seulement ébauchées, le tout abandonné dans le plus grand désordre et, semble-t-il, sans avoir été terminé, comme si les ouvriers avaient été brusquement interrompus dans leur tâche.

Enfin, d’autres structures d’importance moindre, Putuni, Laka-Kollu, Q’eri-Kala, aux fonctions également mystérieuses, achèvent de composer cet immense ensemble, qu’aucun plan général ne paraît régir, bien que chaque monument en lui-même obéisse à des règles de symétrie très strictes.

Aux alentours des monuments, on a trouvé des fragments d’une céramique de facture très fine, certainement une des plus belles de l’Amérique du Sud précolombienne. La céramique de la période classique l’emporte en qualité et en variété : les vases adoptent le plus souvent la forme d’un gobelet aux parois évasées, appelé kero ; certains d’entre eux représentent une figure humaine modelée ; d’autres, plus larges et souvent ovales, au bord ondulé surmonté à une extrémité d’une tête de félin modelée en ronde bosse, sont appelés « encensoirs ». La décoration polychrome de ces poteries, qui se détache sur un fond orangé ou rouge sombre soigneusement poli, comporte jusqu’à six teintes. Les motifs, souvent géométriques, sont presque toujours délimités par des lignes blanches ou noires ; parmi eux se détache le motif de l’« escalier », si fréquent dans l’art andin, ainsi que des figures de serpent, de rapace et de félin. Un des traits caractéristiques de ces représentations « tiahuanacoïdes » est l’œil, partagé en deux moitiés verticales, mi-blanc mi-noir.

Les occupants de Tiahuanaco étaient également d’habiles métallurgistes, si l’on en juge par les plaques d’or laminées qui servaient d’ornements ou de bijoux et surtout par les tenons et les crampons de cuivre qui servaient à unir les blocs de pierre des édifices.

Quant aux textiles de style Tiahuanaco, qui sont d’une très grande finesse et reprennent tous les motifs de la sculpture sur pierre et de la poterie, ils ne proviennent pas du site même, où ils ne se sont pas conservés, mais des régions côtières sèches du Pérou, où les objets de style tiahuanacoïde abondent à partir du viiie s. de notre ère.


L’expansion de Tiahuanaco

À partir de 700-750 apr. J.-C. apparaissent en effet en divers points des Andes péruviennes, et surtout sur la côte, des objets — céramiques, tissus, pièces d’orfèvrerie — où se retrouvent les décors typiques de la Porte du Soleil ou des keros de Tiahuanaco. Cette influence, qui s’étend progressivement à travers tout le pays jusqu’à atteindre le désert d’Atacama, au Chili, va se prolonger jusqu’aux environs du xiie s. Pendant longtemps, on a supposé que cette expansion artistique était la conséquence d’une conquête militaire et qu’il avait existé, entre le viiie et le xiie s., un puissant « Empire » tiahuanaco. Cependant, aucune trace d’une action guerrière n’a été retrouvée, et il semble plus logique d’attribuer cette floraison de motifs tiahuanacoïdes à une propagation pacifique d’idées religieuses, à des mouvements d’échanges de marchandises (des hautes terres vers la côte, mais également dans l’autre sens), voire, à la rigueur, à l’installation de petites colonies venues de l’Altiplano. Il semble d’ailleurs qu’au Pérou la pénétration des éléments tiahuanacoïdes se soit faite plutôt à partir de la grande cité de Huari (département d’Ayacucho), qui aurait servi de relais. Certains archéologues attribuent même le rôle principal à Huari — cependant dépourvue de monuments importants — plutôt qu’à Tiahuanaco.

Les études récentes de Luis Lumbreras, dans les Andes, et de Dorothy Menzel, sur la côte sud du Pérou, ont permis de diviser la période d’expansion tiahuanacoïde — qui porte le nom d’« horizon moyen » dans la terminologie chronologique péruvienne — en quatre époques, caractérisées par l’évolution stylistique de la céramique.

Vers le xiie s. commence la décadence. Les villes cessent d’être florissantes, l’influence artistique s’estompe et les peuples côtiers retrouvent leur indépendance culturelle, faisant revivre les traditions et les techniques locales en honneur quatre siècles plus tôt. Ce brusque déclin peut être attribué à plusieurs causes : des actions militaires menées par certains peuples des Andes (comme les Chankas du centre), des rivalités entre les cités ou, plus simplement, des causes économiques, comme le suppose E. Lanning. Toujours est-il que l’abandon des grandes cités (Huari, Tiahuanaco) inaugure une nouvelle période de la protohistoire andine, celle des États et des confédérations guerrières indépendants, qui ne disparaîtront qu’après leur conquête par les Incas au xve s.

D. L.

➙ Amérique précolombienne.

 W. C. Bennett, Ancient Arts of the Andes (New York, 1954). / A. R. Sawyer, Tiahuanaco Tapestry Design (New York, 1963). / S. Waisbard, Tiahuanaco. Dix mille ans d’énigmes incas (Laffont, 1971).

Tibère

En lat. Tiberius Julius Caesar (Rome v. 42 av. J.-C. - Misène 37 apr. J.-C.), empereur romain (14-37 apr. J.-C.).



Les débuts

Fils de Tiberius Claudius Nero, dont les anciens sont unanimes à vanter les hautes qualités, et de Livie, issue de la famille Claudia, il entre en 38 av. J.-C. dans la famille d’Octave lorsque sa mère se remarie avec ce dernier. Son enfance est mal connue. Auguste*, qui n’aime pas son beau-fils, apprécie néanmoins son intelligence et son efficacité. Tout au long de son règne, il confie à Tibère différentes tâches diplomatiques et militaires, dont celui-ci s’acquitte avec succès : en 20 et en 6 av. J.-C., Tibère a la charge de régler les affaires d’Arménie ; en 15, il est à la tête de l’armée qui, conjointement avec celle de son frère Drusus, se rend maître des Alpes centrales ; de 12 à 9, il obtient la soumission de la Pannonie ; en 8 et en 7, il consolide les conquêtes de Drusus en Germanie. Préteur en 19, consul en 13, puis en 7, il reçoit en 9 l’imperium proconsulaire et en 6 sa première puissance tribunicienne. En 11, Auguste l’oblige à répudier sa femme Vipsania Agrippina, née d’un premier mariage d’Agrippa, et à épouser Julie. Union malheureuse à cause de débordements de la fille d’Auguste : Tibère s’exile alors volontairement à Rhodes (6 av. J.-C.), jaloux par ailleurs de la préférence marquée d’Auguste pour ses petits-fils, les jeunes césars Lucius et Caius. La mort de ces deux derniers en 2 et en 4 apr. J.-C. pousse Auguste à adopter Tibère, rentré à Rome, en même temps qu’Agrippa Postumus, frère des césars disparus (en 7 apr. J.-C., les intrigues de Livie feront exiler ce dernier, à vrai dire notoirement anormal). Bien que Tibère ait déjà de son premier mariage un fils de quatorze ans, Drusus le Jeune, il se voit, de son côté, contraint par l’empereur d’adopter son neveu Germanicus. En 4 apr. J.-C., il reçoit sa seconde puissance tribunicienne et, la même année, fait une campagne victorieuse en Germanie, parvenant en 5 jusqu’à l’Elbe et réduisant de 6 à 9 l’insurrection dalmato-pannonienne. Nommé commandant en chef de l’armée du Rhin, il prépare en 9 et en 10 avec Germanicus, qui lui est adjoint avec le pouvoir proconsulaire, les campagnes de 11 et de 12. Les chemins qui mènent à l’Empire semblent lui être ouverts quand il reçoit en 12 l’imperium majus et en 13 sa troisième puissance tribunicienne.