Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Thiers (Adolphe) (suite)

Élu à l’Assemblée nationale par vingt-six départements, il opte pour la Seine : il apparaît tout de suite comme le seul homme capable d’assumer le sort du pays vaincu. Desservi par sa petite taille (on le surnomme Foutriquet ou Mirabeau-Mouche), il s’impose par son intelligence intuitive, son érudition, sa prodigieuse mémoire, son activité incessante. Son ambition, qu’il ne cache pas, lui est un ressort de plus. Dès le 17 février 1871, l’Assemblée le désigne comme « chef du pouvoir exécutif de la République française », titre qui le revêt, en fait, de pouvoirs considérables.

Thiers peut alors réaliser son idéal de 1849 : un républicanisme modéré. Le 19 février se constitue un ministère éclectique et décidé à la paix, qu’il préside. Thiers part avec Jules Favre (1809-1880) pour Versailles ; durant une semaine, il discute pied à pied avec Bismarck ; le 28 février, il expose devant l’Assemblée nationale, qui siège à Bordeaux, les conditions de paix : l’Alsace — sauf Belfort —, une bonne partie de la Lorraine, 5 milliards d’indemnité de guerre. Le 1er mars, les préliminaires de paix sont votés par 546 voix contre 107 ; l’opposition s’est groupée autour de Gambetta et des députés d’Alsace. Le 10 mars, Thiers fait voter la translation de l’Assemblée non pas à Paris — que craignent les conservateurs —, mais à Versailles : c’est de la « ville des rois » qu’il préside à l’étouffement de la Commune* (mars-mai, 1871) ; le 22 mai, devant l’Assemblée, il dit : « L’expiation sera complète » ; en effet, la répression est terrible.

Entre l’Assemblée, de majorité monarchiste et cléricale, et Thiers, très autoritaire et attaché à la République conservatrice, un conflit latent ne tarde pas à se manifester. Le « pacte de Bordeaux » du 10 mars a éliminé, pour le présent, toute discussion sur la forme à donner au gouvernement définitif de la France ; l’Assemblée compte sur Thiers uniquement pour « pacifier, réorganiser, ranimer le travail ». Or elle est amenée à reprocher au chef de l’exécutif de fausser le « pacte » au profit des républicains. Mais la restauration monarchique se révèle difficile du fait de l’échec de la « fusion » (juill. 1871), et les élections complémentaires de juillet amènent une centaine de républicains nouveaux à Versailles. Si bien que l’autorité considérable de Thiers — due à sa triple qualité de député, de président du Conseil des ministres et de chef de l’État — se trouve renforcée.

Un pas nouveau est franchi par le vote de la loi Rivet (31 août 1871), qui change son titre équivoque en celui de président de la République. Fort de cette caution, Thiers active la réorganisation de la France, dans un sens très conservateur d’ailleurs : charte des conseils généraux (10 août 1871) ; relèvement de l’armée par l’établissement d’un service militaire en principe universel, mais comportant tirage au sort et dispenses (27 juill. 1872) ; lancement et succès d’un emprunt qui permet de payer l’indemnité de guerre et d’accélérer l’évacuation des départements occupés (1871-1873) ; remaniement du système fiscal avec augmentation des impôts indirects, moins impopulaires que les impôts directs, etc.

Quand Thiers, après cet effort qui lui vaudra le titre de « libérateur du territoire », n’est plus indispensable, l’Assemblée s’emploie à se débarrasser de lui. Déjà, en janvier 1872, en conflit avec les députés sur les impôts, Thiers avait démissionné ; il était revenu sur sa décision à la demande des députés. Mais quand, par son message du 13 novembre 1872, il annonce à mots couverts sa conversion à une République conservatrice, il s’aliène la majorité royaliste, coalisée autour du duc de Broglie*.

Le 23 février 1872, l’Assemblée a voté la loi Tréveneuc, qui prévoit que, en cas de dissolution illégale de l’Assemblée ou si celle-ci était dans l’impossibilité de se réunir, le gouvernement serait assuré par des délégués des conseils généraux. Le 13 mars 1873, Thiers doit accepter sans réserve le pouvoir constituant de l’Assemblée et sa propre exclusion des séances parlementaires, sauf en cas exceptionnels et selon une procédure compliquée : la liaison entre le président et les députés ne pourra désormais se faire que par messages.


La chute

Le 15 mars, une nouvelle convention franco-allemande de libération du territoire est signée et Thiers est félicité. Mais, dès le début d’avril, Grévy (1807-1891) quitte la présidence de la Chambre au profit de l’orléaniste Louis Buffet (1818-1898), adversaire de Thiers ; le 28 avril, le candidat de Thiers, Charles de Rémusat (1831-1897), échoue à Paris, au cours d’une élection législative, contre le révolutionnaire Désiré Barodet (1823-1906) ; onze autres républicains — dont Arthur Ranc (1831-1908) — sont encore élus les 27 avril et 11 mai. Le 18 mai, Thiers remanie alors son cabinet au profit du centre gauche ; mais, le jour même, chez Broglie, sa perte est préparée et son successeur (Mac-Mahon*) désigné. Le 20, une demande d’interpellation sur la politique du cabinet, signée de 320 noms, est lue à l’Assemblée ; le 23, Broglie réclame le rétablissement de l’« ordre moral » ; Thiers se défend le 24 ; le monarchiste Edmond Ernoul (1829-1899) dépose un ordre du jour réclamant une « politique résolument conservatrice » : cet ordre du jour est voté par 368 voix contre 344. Thiers démissionne aussitôt.

Sous la présidence de Mac-Mahon, il reste en communication étroite avec les Républicains. Élu sénateur à Belfort, il préfère le mandat de député de la Seine (20 févr. 1876). Après le 16 mai 1877, il signe le manifeste des « 363 » ; la Chambre dissoute, il se prépare à se représenter aux élections du 14 octobre (Paris, IXe arrondissement) quand la mort l’emporte en quelques heures, le 3 septembre. Ses funérailles, qui ont lieu le 8 septembre, sont l’occasion d’un immense rassemblement républicain.

P. P.

➙ Commune (la) / Juillet (monarchie de) / République (IIe) / République (IIIe) / Restauration.

 C. Pomaret, Monsieur Thiers et sort siècle (Gallimard, 1948). / R. Christophe, le Siècle de Monsieur Thiers (Perrin, 1966). / H. Guillemin, l’Avènement de M. Thiers et réflexions sur la Commune (Gallimard, 1971).