Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Thiers (Adolphe)

Homme d’État français (Marseille 1797 - Saint-Germain-en-Laye 1877).



Le journaliste libéral

Élève boursier au lycée de Marseille (1806), A. Thiers étudie le droit à Aix-en-Provence, où il se lie avec Mignet. Reçu avocat en 1820, il monte à Paris, où Mignet le protège. Il donne des articles de politique ou de critique historique au Constitutionnel, avant de passer au Globe. Dès 1823, il publie les deux premiers volumes de son Histoire de la Révolution, qui est achevée, avec dix volumes, en 1827 : c’est moins le récit historique qui fera le succès du livre que l’éloge que l’auteur y fait de la monarchie constitutionnelle. L’ouvrage, remarquablement documenté, fondé sur de sérieuses recherches d’archives et sur des enquêtes faites auprès des survivants de la Révolution, connaîtra seize rééditions jusqu’en 1866. Il pose Thiers comme l’un des maîtres de l’école narrative en histoire.

La constitution, en 1829, du ministère ultra présidé par Polignac jette Thiers dans l’action. Celui-ci fonde le National avec Armand Carrel (1800-1836) et Auguste Mignet (1796-1884), chacun des trois devant prendre la direction du journal pendant un an : l’année 1830 ayant échu à Thiers, celui-ci se fait le défenseur de la Charte et préconise la candidature au trône de Louis-Philippe d’Orléans. Quand paraissent les quatre ordonnances de Charles X (25 juill. 1830), il rédige dans le National la protestation des journalistes libéraux (v. Restauration). Menacé d’arrestation, il se cache durant les journées révolutionnaires, puis se rend à Neuilly, où il emporte l’adhésion de Louis-Philippe, qui accepte la lieutenance générale (31 juill.), puis le trône (9 août).


Le ministre de la monarchie bourgeoise

Élu député des Bouches-du-Rhône (21 oct.), Thiers devient conseiller d’État, secrétaire général du ministère des Finances, puis sous-secrétaire d’État de Jacques Laffitte (1767-1844) et ministre des Finances (nov. 1830 - mars 1831). Partisan de la « résistance », il soutient le ministère Casimir Perier (mars 1831 - mai 1832) avant d’entrer, comme ministre de l’Intérieur, dans le cabinet Soult : il gardera ce portefeuille jusqu’au 22 février 1836, sauf un passage à l’Agriculture et au Commerce (janv. 1833 - avr. 1834). Le 13 décembre 1834, il est reçu à l’Académie française. Ministre de l’Intérieur, il défend la monarchie bourgeoise aussi bien contre les menées légitimistes (arrestation de la duchesse de Berry, 1832) que contre le parti républicain : toutes les insurrections libérales et ouvrières, à Paris (rue Transnonain) et à Lyon (Croix-Rousse), sont par lui impitoyablement écrasées.

Thiers préside, comme ministre des Affaires étrangères, le cabinet du 22 février 1836. Se fondant sur le traité de la Quadruple-Alliance, il veut intervenir en Espagne : le roi s’y opposant, il démissionne (sept.). Réélu député d’Aix (nov. 1837), il mène campagne contre Louis Mathieu Molé (1781-1855), jugé trop pacifiste ; le 1er mars 1840, il revient au pouvoir comme ministre des Affaires étrangères et président du Conseil. Partisan d’une politique de prestige, il obtient de l’Angleterre le retour des cendres de Napoléon ; mais, ayant voulu soutenir Méhémet Ali contre la Porte et l’Angleterre, il doit s’incliner devant le parti de la paix (Guizot) et démissionner (29 oct. 1840).

Chef du centre gauche, allié à Odilon Barrot (1791-1873), il mène, durant sept ans, campagne contre Guizot*, se déclarant du « parti de la Révolution en Europe ». En même temps, il commence (1843) sa magistrale Histoire du Consulat et de l’Empire, qui, achevée en 1862, comptera vingt volumes. Dans la nuit du 23 au 24 février 1848, alors que le régime, aux abois, vient de remercier Guizot, il forme avec Odilon Barrot un ministère de centre gauche. Mais les événements vont trop vite, et Louis-Philippe tombe presque aussitôt.


IIe République et second Empire

Thiers, élu à l’Assemblée constituante par quatre départements (4 juin 1848), opte pour la Seine-Inférieure. Il vote constamment avec la majorité conservatrice, combattant notamment les théories de Proudhon*. Persuadé de l’incapacité de Louis Napoléon Bonaparte, il appuie sa candidature à la présidence de la République contre celle de Cavaignac, jugée par lui dangereuse. Représentant de la Seine-Inférieure à la Législative (13 mai 1849), âme du Comité de la rue de Poitiers, il se pose en adversaire acharné du désordre et du socialisme, ce qui l’amène à appuyer toutes les propositions de la droite (loi Falloux, loi du 31 mai 1850 restreignant l’exercice du suffrage universel).

La révocation du général Nicolas Changarnier (1793-1877) lui ouvre les yeux : « l’Empire est fait », déclare-t-il. Trop tard. Bientôt, c’est le coup d’État du 2 décembre 1851. Incarcéré, puis expulsé, Thiers réside à l’étranger avant de rentrer en France (août 1852), où il s’enferme dans le silence et le travail historique. Il n’en sort qu’en 1863, lors des élections législatives : malgré les pressions officielles, il triomphe à Paris (2 circonscriptions) du candidat du gouvernement, Devinck.

Au Corps législatif, il intervient plusieurs fois, notamment en 1864 dans un discours célèbre où il se fait l’avocat des « libertés nécessaires ». Réélu en 1869, il se rapproche d’abord d’Émile Ollivier (1825-1913), puis, après le plébiscite de mai 1870, passe de nouveau au centre gauche. En juillet, alors que vient d’éclater l’affaire de la « dépêche d’Ems », il demande des explications, puis s’élève contre le vote des crédits militaires et la guerre.


Le maître du pays

Le 4 septembre, Thiers refuse de faire partie du gouvernement de la Défense* nationale, mais il accepte de se charger d’une mission diplomatique en Europe (Londres, Saint-Pétersbourg, Vienne, Florence) pour obtenir une alliance ou une médiation : il échoue ; une démarche semblable auprès de Bismarck, à Versailles, a le même sort (nov. 1870).

Du 1er novembre 1870 au 28 janvier 1871, Thiers suit la délégation à Tours, puis à Bordeaux.