Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Thessalonique (suite)

La plus célèbre, la plus belle sans doute avant que l’incendie de 1917 ne vienne détruire en grande partie ses magnifiques mosaïques, est la basilique dédiée à saint Démétrios, le protecteur de la ville. Construite au ve s. sur d’anciens thermes romains où fut martyrisé le saint au début du ive s., elle se dressait, avec ses cinq nefs et son transept, au cœur de la ville. Endommagée une première fois par le feu sous Héraclius (610-640), elle fut rebâtie avec quelques modifications architecturales. Aujourd’hui, après la restauration commencée en 1926, elle conserve les décors de mosaïques des intrados de la colonnade sud de la grande nef et, comme par miracle, un panneau du viie s., placé sur un pilier, représentant le saint entre deux dignitaires. Tous les vestiges retrouvés dans les décombres ont été soigneusement recueillis et placés dans la crypte (piliers de chancels, plaques sculptées dans le beau marbre de Prokonnêssos), tandis que les colonnes monolithes antiques réemployées ont retrouvé leur place d’origine dans la haute construction aux murs trop neufs.

De la même époque date la basilique de la Vierge, qui prit plus tard le qualificatif de l’icône qui s’y trouvait : l’« akheiropoietos », « non faite par la main de l’homme ». Construite en commémoration du concile d’Éphèse de 431, qui confirmait la maternité divine de la Vierge, elle est dans le plus pur style paléochrétien* avec ses trois nefs, son narthex, ses tribunes, son abside saillante et sa couverture en charpente.

Entre la mer et l’Odhós Egnatia, Sainte-Sophie (Aghía Sofia) surprend par la lourdeur de sa construction. Énorme cube aux petites ouvertures, surmonté d’une gaine quadrangulaire d’où émerge à peine la calotte de la coupole, elle constitue un témoignage intéressant de révolution architecturale du viiie s. C’est un compromis entre la basilique* et le plan cruciforme. De la première, elle a le narthex, les trois nefs et les galeries ; au second, elle a pris le plan carré, la coupole et la voûte au-dessus du chœur. À l’intérieur rutilent des mosaïques à fond d’or qui ont conservé leur fraîcheur d’origine. Au fond de la conque de l’abside, une Vierge à l’Enfant, toute petite, sur un trône dépouillé, lourdement drapée dans son vêtement bleu sombre gansé d’or, semble assister, immobile, à la progression des rayons lumineux filtrés par les petites fenêtres de la coupole. Elle est plus massive que la Vierge de Sainte-Sophie de Constantinople, avec d’immenses yeux fixes qui lui mangent le visage, un visage impassible où le modelé, lisse, est rendu par de fines rangées de cubes de verre allant du blanc au rose foncé, qui épousent la courbure des joues, presque enfantines.

Dans la coupole à l’arrondi malhabile, le Christ de l’Ascension, assis sur un arc-en-ciel multicolore, entouré d’une mandorle que portent deux anges en déséquilibre, constitue le noyau central d’une composition autour de laquelle semble tournoyer la ronde des apôtres, entourant la Vierge et les deux anges dont la tradition mentionne la présence. Les apôtres, singularisés par leur position — l’un d’entre eux est même représenté de dos — et leur attitude — émus, surpris, inquiets, figés d’effroi —, sont placés dans un cadre luxuriant. La beauté d’un sol mi-rocheux, mi-végétal, la richesse des arbres disposés entre les personnages créent une alternance chromatique qui renforce la composition circulaire de l’espace sphérique : bruns et verts du sol, blanc des vêtements des apôtres, verts denses des feuillages, or des vêtements du Christ se détachant sur un fond blanc.

De la période suivante, marquée pour la ville par les attaques extérieures les plus dangereuses de son histoire, peu de monuments nous sont parvenus. L’église la mieux connue date de 1028 : c’est l’église de la Vierge-des-Chaudronniers, la Panaghía Khalkéon. Elle constitue le terme de l’évolution architecturale constatée à Sainte-Sophie. Le plan en croix grecque, très sobre, est lisible de l’extérieur. Au-dessous de trois arcatures couronnées par deux hautes coupoles, trois portes ouvrent sur le narthex ; de part et d’autre de la coupole centrale, plus haute que les précédentes, les bras latéraux de la croix sont indiqués par des toits à double pente terminés en frontons triangulaires. Plus de murs rectilignes couverts d’un épais crépi, comme à Sainte-Sophie, mais une construction en assises de briques régulières, des murs ourlés de deux rangs de briques posées en dents de scie, creusés de grandes arcatures à multiples arcs en retrait et scandés par des demi-colonnes engagées. De la date de construction de l’édifice subsistent de belles fresques, en particulier l’Ascension dans la coupole centrale et, dans le narthex, un Jugement dernier qui est la première représentation intégrale de ce thème.

Pourtant, ce sont les monuments de la « dernière heure », ceux qui devaient rester les ultimes manifestations de l’art chrétien d’Orient dans cette ville, qui, par leur qualité, leur richesse touchent le plus aujourd’hui le visiteur. À l’achèvement architectural, marqué par une nette tendance à la miniaturisation des volumes, s’ajoutent le raffinement, le précieux du décor. Prenons par exemple l’église des Saints-Apôtres, nichée, comme les autres églises de cette période, à proximité des remparts, dans la ville haute, et qui fut construite à l’initiative du patriarche de Constantinople, Niphon, de 1312 à 1315. Au-dessus de murs à décor céramoplastique très recherché, quatre coupoles à tambour octogonal et à pans festonnés encadrent celle du carré central, dont les côtés se terminent en arcs de cercle. Les mosaïques allient réalisme et vigueur maniérée. Au-dessous du Christ Pantocrator qui bénit de la coupole centrale, les scènes de la vie du Christ, dans les voûtes nord et sud, sont prétexte aux contrastes des bleus et des ors, des verts et des roses. Ces oppositions de couleur, la justesse de l’observation des détails, la vigueur expressive, la tendance de cet art à se débarrasser de la copie quelque peu servile du vieil idéal esthétique constantinopolitain font sentir l’originalité de ce qu’on appelle, à juste titre, l’école macédonienne. En particulier, la représentation de la transfiguration du Christ témoigne de l’impact des théories hésychastes concernant la lumière divine. Témoin aussi de ce recul pris par rapport à l’idéologie imposée par la capitale, les fresques de Saint-Nicolas-l’Orphelin, datées de la même époque, rappellent les peintures murales des églises de Serbie. Ici, sur un fond bleu intense, s’étalent en registres le cycle des Douze Fêtes, celui des miracles du Christ, l’hymne acathiste en l’honneur de la Vierge et du ménologe des saints ainsi que des épisodes de la vie de saint Nicolas et de celle de saint Gérasime, anachorète qui vécut au ve s. en Palestine.

A. P.

➙ Byzantin (Empire) [l’art byzantin].

 O. Tafrali, Thessalonique au xive siècle (Geuthner, 1913). / A. Xyngopoulos, Thessalonique et la peinture macédonienne (Athènes, 1955). / Thessalonique (Klincksiek, 1960). / M. Cranaki, Grèce byzantine (Clairefontaine, Lausanne, 1962).