Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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théologie orthodoxe (suite)

Une anthropologie et une cosmologie de transfiguration du créé

La théologie orthodoxe s’est toujours refusée à considérer la nature humaine autrement que dans son ordination à Dieu et dans sa vocation à une divinisation qui n’en demeure pas moins un don entièrement gratuit. Plutôt que de « péché originel », elle parle d’oubli coupable de cet appel de la part d’une humanité qui cède à l’attrait des sens, préférant à la charité (agapê) le plaisir (hêdonê) qui engendre la douleur (odunê) et à l’amour de Dieu (philotheia) l’amour de soi (philautia) ; la « Parole organisatrice » (Logos) qui est en Dieu a assumé dans le Christ notre humanité afin de la rectifier. « Par sa mort il, a vaincu la mort, à ceux qui étaient dans les tombeaux il a donné la vie » (tropaire de la liturgie pascale). En lui, la création se trouve déjà mystérieusement réconciliée avec Dieu et transfigurée. Les icônes projettent dans le monde sensible le reflet de cette transfiguration qui éclatera lors de la manifestation du Christ (parousie) que l’Église annonce et anticipe dans ses sacrements. Aussi, comme il est chanté au début de la liturgie eucharistique : « Déposons toutes les sollicitudes de notre vie, afin de recevoir le Roi de l’univers, escorté invisiblement de ses anges » (Cherubikon).

I. H. D.

➙ Églises orientales / Orthodoxes / Palamisme.

 M. Jugie, Theologia dogmatica christianorum orientalium ab Ecclesia catholica dissidentium (Letouzey et Ané, 1926-1934 ; 5 vol.). / M. Gordillo, Compendium theologiae orientalis (Rome, 1950). / O. Clément, l’Église orthodoxe (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1961 ; 2e éd., 1965). / M. J. Le Guillou, l’Esprit de l’orthodoxie grecque et russe (Fayard, 1961). / J. Meyendorff, le Christ dans la théologie byzantine (Éd. du Cerf, 1969). / E. von Ivanca, J. Tyciak et P. Wiertz, Handbuch der Ostkirchenkunde (Düsseldorf, 1971).

théologie protestante

« Il ne suffit pas de croire, il faut comprendre ce que l’on croit. » Cette vieille parole de saint Anselme unit dans une même intention théologiens protestants et catholiques. Mais, aux origines de la Réforme, au moins, les démarches et les résultats de leurs recherches sont fort différents.



La référence à l’Écriture

Certes, dans un premier temps, lorsque Luther* rédige le Grand Catéchisme (1529) et son ami Melanchthon* l’Apologie de la confession d’Augsbourg (1530), lorsque Calvin* publie à Bâle la première édition complète de l’Institution de la religion chrétienne (1536), il s’agit, dans une démarche très classique, d’exposer systématiquement, en un ensemble cohérent et logique, les éléments essentiels de la foi des communautés luthériennes et réformées citées à comparaître devant l’empereur, les rois et leurs conseillers ecclésiastiques. La prétention de ces « protestants » (= témoins inconditionnels d’une vérité qui leur a été confiée, dans la mesure même où ils ont été saisis par elle) est de ne rien donner d’autre qu’une droite et simple exposition de la vraie foi catholique ; ils n’entendent pas innover, mais retrouver dans sa pureté l’évangile originel.

C’est par là même qu’ils introduisent un principe critique qui va, petit à petit, donner son visage proprement irréductible à la théologie protestante : c’est la volonté d’une exclusive référence à l’Écriture sainte, considérée comme seul témoignage authentique de l’espérance d’Israël et du message apostolique, l’une et l’autre convergeant vers Jésus de Nazareth, confessé comme le Christ, qui est le « principe formel » de cette théologie. L’autorité souveraine de l’Écriture, considérée comme inspirée et pleinement suffisante, fait passer au second plan toutes les autres : les Pères, les docteurs, l’ensemble de la tradition sont connus, aimés, cités comme d’indispensables références, certes, mais uniquement dans la mesure où ils sont en accord patent avec l’Écriture. C’est le témoignage de celle-ci qui est l’instance souveraine, le crible auquel est passée toute théologie reçue ou en voie d’élaboration. Du coup, la théologie reçoit un statut bien particulier : elle n’a pas à justifier ce qui est ou ce que l’on voudrait voir advenir dans la vie de l’Église ; bien au contraire, elle a cette fonction décisive d’examen critique de la prédication comme des structures, de la catéchèse comme de la diaconie de l’Église, à toutes les époques, certes, mais en particulier pour le temps présent. Sans doute, l’Église, dans ses conseils et synodes, délibère-t-elle ; sans doute invoque-t-elle l’assistance du Saint-Esprit, mais l’Écriture, traduite à l’infini dans les langues les plus populaires et mise entre toutes les mains, est toujours susceptible d’interprétations personnelles et communautaires, remettant en cause et à leur juste place les décrets et décisions des autorités et les traités des théologiens. En ce sens, il est juste de dire que, dès le départ, la théologie protestante est potentiellement une théologie laïque, c’est-à-dire du peuple de Dieu, chacun étant pour sa part responsable de l’interprétation de l’Écriture et de son intervention critique à tous les niveaux de la vie ecclésiale. Le plus grand spécialiste de la théologie ne remplit donc sa tâche que s’il se garde, de façon permanente, de décrocher de la base, de perdre l’enracinement et l’écoute, l’échange et l’obéissance qui caractérisent la vie du peuple de Dieu.

Cela étant, il importe de savoir, à toutes les époques, ce que ce dernier considère comme étant le « milieu de l’Écriture », c’est-à-dire ce centre décisif autour de quoi tout s’organise, ce pôle de regroupement en vue d’une dynamique de signification et de communication de l’Évangile. Au principe formel, l’autorité de l’Écriture, c’est un principe matériel qui vient, dès la Réforme, s’adjoindre : la justification par grâce, par le moyen de la foi. Autrement dit, il se dégage du consensus des croyants ou, du moins, de certains groupes de communautés un principe herméneutique, sorte de « canon dans le canon des Écritures » comme on le dira plus tard à la suite de Rudolf Bultmann*, véritable règle conjoncturelle pour l’interprétation de la norme scripturaire.