Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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théologie orthodoxe (suite)

C’est précisément à partir de la seconde moitié du ve s. et surtout depuis le vie s. que tend à se généraliser, comme méthode théologique dans l’orthodoxie, la constitution de tels recueils d’extraits patristiques plus ou moins systématiquement organisés en fonction des problèmes et des controverses du moment. Mais on voit à la même époque s’élaborer une théologie de type scolastique, c’est-à-dire argumentant selon la méthode et les règles de la logique aristotélicienne, avec Jean Philopon d’Alexandrie (v. 490 - v. 566) et surtout Léonce (Leontios) de Byzance (v. 485 - v. 542) et Léonce de Jérusalem (v. 1100-1185). Une autre tentative de systématisation théologique dont l’influence devait être beaucoup plus grande — plus encore il est vrai parmi les théologiens latins, ou syriaques que dans l’orthodoxie byzantine — est constituée par le « Corpus aréopagitique », ensemble d’écrits rédigés, sans doute en Syrie, vers la fin du ve s. et fortement influencés par les théories néo-platoniciennes de Plotin et plus directement encore de Proclus. Leur auteur se présente sous le couvert de Denys l’Aréopagite d’Athènes, converti par saint Paul.

Ces divers courants confluent et se synthétisent dans l’œuvre géniale de saint Maxime le Confesseur (v. 580-662), haut fonctionnaire de Constantinople devenu moine, qui vécut longtemps en Afrique du Nord. La partie sans doute la plus ancienne de ses écrits se présente avant tout comme une rectification de thèses cosmologiques et anthropologiques aventureuses se réclamant d’Origène, des Cappadociens et du pseudo-Denys l’Aréopagite, dans les perspectives d’une théologie monastique orientée vers la « divinisation » de l’homme. Mais à partir de 634, engagé dans la défense de ce qu’il considère comme les ultimes conséquences de la christologie orthodoxe définie au concile de Chalcédoine, il élabore une doctrine extrêmement affinée de l’agir humain et de la « divinisation » comme participation au « mode d’exister » filial du Christ, librement soumis au vouloir du Père dans l’acceptation de la mort, étant sauvegardée l’irréductible distinction entre les « principes organisateurs » (logoi) des « essences divine et humaine ».

Cette doctrine, d’accès difficile, devait être intégrée dans un exposé systématique : Source de la connaissance, de saint Jean Damascène (v. 675-749), devenu moine au monastère palestinien de Saint-Sabas. Sur la doctrine orthodoxe, qui constitue l’élément le plus important de son encyclopédie doctrinale, représente, en fait, le seul traité systématique de théologie orthodoxe. Bien que ce manuel ait connu une large diffusion, son influence devait être plus importante dans l’Occident médiéval qu’elle ne le fut dans le monde byzantin. Outre Maxime le Confesseur, il s’inspire surtout de l’enseignement des Cappadociens et des théologiens « néo-chalcédoniens » de l’époque de Justinien.

L’élément le plus personnel de l’œuvre théologique de Jean Damascène est celui qui se rapporte à la « théologie de l’icône ». Il intègre et approfondit le fruit des premières controverses suscitées par le décret impérial de Léon III l’Isaurien (17 janv. 730) ordonnant la destruction de toutes les images du Christ et des saints (iconoclasme), dont la vénération se généralisait de plus en plus, excitant la réprobation violente des musulmans et des juifs. Face à ces attaques va se constituer une doctrine théologique fondant la légitimité du culte des images (iconodulie) sur la doctrine chrétienne de l’incarnation de Dieu dans le Christ, telle qu’elle s’était élaborée sur les bases posées au concile de Chalcédoine.

Désormais, ce qui était invisible du mystère de Dieu est devenu visible et peut donc être représenté et honoré ; la Transfiguration du Christ est déjà — avant même sa résurrection — le gage de cette « divinisation » mystérieuse du monde créé. On voit comment cette doctrine pouvait se présenter comme l’ultime conséquence de l’enseignement de Maxime le Confesseur, mais dans une ligne faisant davantage appel à des conceptions platoniciennes sur la réalité ultime et son icône dans le visible. C’est ainsi qu’elle devait être canonisée par les définitions du deuxième concile de Nicée (787), confirmées en 843 après une nouvelle période de controverses dans lesquelles les moines du monastère de Stoudios et leur hégoumène, saint Théodore le Studite (759-826), jouèrent un rôle important. On considérera par la suite que ces décisions mettent le sceau à la doctrine orthodoxe (théorie des « sept conciles », fête annuelle de l’Orthodoxie).

De fait, la nomination de Photios* au siège patriarcal de Constantinople (858), bientôt suivie de l’avènement au trône impérial de Basile Ier le Macédonien (867), devait ouvrir un nouvel âge de la théologie byzantine orthodoxe. Problèmes de pneumatologie et d’ecclésiologie. La systématisation ultérieure insistera sur le lien étroit qu’on peut reconnaître entre deux ordres de questions, apparemment fort différents, qui vont dominer ce qu’il est convenu d’appeler la « crise photienne ». Sa dominante est d’abord ecclésiologique. Elle porte sur les problèmes posés par l’intervention du pouvoir impérial, destituant un patriarche (Ignace) pour le remplacer par un fonctionnaire laïque (Photios), et sur la juridiction ecclésiastique suprême à l’égard des peuples slaves (Bulgares), disputée entre les patriarcats de Rome et de Constantinople. Mais elle s’alourdit d’un argument doctrinal dont les conséquences devaient être plus durables : l’origine (« procession ») du Saint-Esprit, que la théologie latine dit « du Père et du Fils » (Filioque) alors que Photios, durcissant les expressions traditionnelles de la théologie grecque, la disait « du Père seul, par le Fils ». Cette divergence d’expression et les interprétations qui en ont été proposées devaient dominer les controverses des siècles ultérieurs et être généralement considérées, aujourd’hui encore, comme constituant une opposition irréductible entre l’Occident latin et l’orthodoxie byzantine, à l’égal de la « monarchie pontificale romaine » qui s’affirmera à partir du xie s. (V. schisme d’Orient.)