Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Théodoric Ier l’Amale (suite)

À l’ombre de Byzance

Issu de la famille sacrée des Amales, Théodoric Ier l’Amale, dit le Jeune ou le Grand, est le fils bâtard du roi Thiudimer (469-473 ou 474) et de sa concubine Erelieva. Il réside comme otage pendant dix ans à Constantinople, où il subit une lente imprégnation de la culture gréco-romaine et où il apprend à connaître l’étendue des ressources de l’Empire, qu’il entendra exploiter plus tard au profit de son peuple.

Libéré en 471, il occupe avec 6 000 partisans Singidunum (Belgrade) au nom de son père, puis entreprend à ses côtés de transférer en Mésie inférieure, autour de Novae (Svištov), son peuple, qui a épuisé les ressources de la Pannonie. Thiudimer étant décédé en 473 ou 474 à Cyrrhus après la prise de Naissus (Niš), Théodoric Ier obtient de l’empereur Zénon le droit d’établir son peuple dans la province convoitée.

Théodoric est nommé patrice par Zénon, — qui l’adopte même comme fils d’armes en 476 afin de bénéficier de son appui contre un autre roi ostrogoth, Théodoric le Louche (473-484), établi en Thrace —, mais il reproche bientôt au souverain byzantin d’avoir traité avec leur adversaire commun. Il massacre alors les habitants de Stobes (Stobi), assiège Thessalonique, dévaste la Thessalie, se fait livrer Durazzo et ne se réconcilie avec Zénon qu’après la mort de Strabon, en 484.

Appelé à Constantinople, proclamé en 483 magister militum in praesenti (généralissime), désigné comme consul pour 484, il est aussitôt envoyé réprimer une révolte en Isaurie. En fait, il ne dépasse pas la Bithynie et regagne la capitale, où le souverain lui accorde les honneurs du triomphe et lui fait dresser une statue équestre devant le palais impérial afin d’apaiser son mécontentement. Après avoir repoussé en 485 une invasion des Bulgares sur le Danube, il séjourne de nouveau auprès du souverain jusqu’en 488.

Théodoric est appelé alors à Novae par son peuple, qui réclame de nouveaux cantonnements, les possibilités agricoles de la Mésie inférieure ayant été épuisées. Il marche à la tête de son peuple vers la capitale impériale et obtient la concession du « pays d’Hespérie », occupé par Odoacre, c’est-à-dire le gouvernement de l’Italie, par une « pragmatique » du consistoire dont le brevet lui est remis solennellement, en présence du Sénat, de l’armée et du peuple, par Zénon, qui place sur sa tête le voile sacré, carré de pourpre symbole de son investiture.


Le conquérant de l’Italie

À l’automne de 488, Théodoric Ier abandonne une partie de son peuple dans les Balkans et prend la tête d’une armée composite d’environ 12 000 guerriers qui comprend notamment des Ostrogoths et des Ruges qui, fuyant Odoacre, se sont réfugiés à la fin de 487 à Novae avec Frédéric, le fils du roi Feva. Renforçant son armée d’éléments romains, il traverse Serdica (Sofia), Naissus (Niš), écrase les Gépides devant l’Ulca à l’ouest de Singidunum (Belgrade), atteint Sirmium (Sremska Mitrovica), franchit les Alpes Juliennes au printemps de 489, bat Odoacre le 28 août au pont de l’Isonzo, puis le 28, le 29 ou le 30 septembre 489 il est sous les murs de Vérone. Il entreprend alors la conquête de l’Italie du Nord, occupe sans difficulté Milan, obtient la soumission de la majeure partie des troupes d’Odoacre et le ralliement de Tufa, magister militum d’Odoacre. Mais, trahi par ce dernier — ainsi que par le prince ruge, Frédéric —, Théodoric Ier doit s’enfermer avec tout son peuple dans la place forte de Ticinum (Pavie), où l’entassement fut prodigieux selon saint Épiphane (438-496).

Mieux secouru par les Wisigoths d’Alaric II que son adversaire par les Burgondes de Gondebaud († 516), Théodoric Ier sort de Ticinum au milieu de l’été de 490, bat le 11 août Odoacre et tue le chef de sa garde, Pierius, sur les bords de l’Adda.

Le chef des Ostrogoths, assiégeant à son tour le roi des nations dans Ravenne, contraint celui-ci à capituler le 25 février 493 et le fait assassiner ainsi que tous les siens au cours d’un banquet, le 15 mars. Dès lors, l’Italie lui appartient sans partage.


Le maître de l’Italie


La nature du pouvoir de Théodoric

Proclamé roi par son armée au lendemain de la chute de Ravenne en 493, Théodoric Ier ne parvient pas à se faire reconnaître par l’empereur byzantin la qualité de régent et le droit à la pourpre malgré l’appui que le Sénat romain et son chef, le consul Faustus Niger, lui ont accordé dès 490. Obtenant pourtant d’Anastase Ier en 492 le droit de nommer le consul romain pour l’Occident, il se fait finalement attribuer en 497 par ce souverain l’autorisation de porter la pourpre et le diadème. Et, pour assurer sa succession à son gendre Eutharic Cilliga († 522), il le fait adopter par l’empereur comme fils d’armes avant de lui attribuer le consulat en 519. Ainsi se trouve instauré un régime dualiste. Assumant le titre de rex sans déterminant ethnique, mais portant en même temps le gentilice Flavius, qui l’apparente à la dynastie impériale, Théodoric Ier apparaît à la fois comme le chef du peuple ostrogoth en armes et comme le vice-empereur responsable à la fois du gouvernement des Italo-Romains et de celui des Barbares de la péninsule, dont les monnaies portent toujours au droit le nom de l’empereur, dans l’esprit duquel l’autorité qu’il lui a déléguée s’étend sans doute à l’ensemble de l’Occident romain.


Théodoric Ier et l’Occident barbare

À l’intérieur de l’Occident barbare, le maître de l’Italie tente d’introduire une certaine unité en pratiquant une habile politique matrimoniale. Se remariant vers 493 avec une sœur de Clovis, Audoflède, il donne en mariage deux de ses filles. Theudigothe et Ostrogothe, à Alaric II, roi des Wisigoths, et à Sigismond, roi des Burgondes, et unit en 496 sa sœur Amalafride à Thrasamund, roi des Vandales, auquel elle apporte en dot la Sicile orientale autour de Lilybée (auj. Marsala) en échange de l’appui naval accordé par ce dernier à son frère. En même temps, il marie l’une de ses nièces à Hermanfried, roi des Thuringiens, et adopte comme fils d’armes le roi des Hérules.

Théodoric Ier, qui apparaît dès lors comme le président d’une sorte de fédération des royaumes barbares établis dans l’Empire, tente de maintenir entre eux le fragile équilibre existant au début du vie s. tout en renforçant ses propres positions à leurs frontières.