Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

théâtre (suite)

Les théâtres à l’italienne

En fait, les observations présentées mettent en question un certain type d’architecture selon les principes essentiels adoptés en Italie, il y a trois siècles, et repris à l’occasion de la construction de la majorité des salles utilisées dans la plupart des pays.

Schématiquement, chaque édifice s’inscrit dans un rectangle composé de deux parties séparées : la scène et la salle. La scène est fermée verticalement par un rideau. Un cadre et une rampe entourant ce rideau contribuent à dissimuler aux yeux du public les agencements techniques. Des toiles peintes disposées sur les parois du cube scénique et plantées verticalement sur le plancher figurent en perspective et en trompe l’œil le lieu et certains des accessoires de jeu.

L’espace réservé aux spectateurs est constitué de plusieurs étages en partie divisés en loges, donnant ainsi lieu à une disposition hiérarchisée reflétant les divisions et ségrégations sociales, économiques, historiques et contemporaines. Dans le meilleur des cas, seule la moitié des spectateurs a une perception visuelle et auditive satisfaisante. Dans certains édifices, une fosse d’orchestre accentue la rupture entre la scène et la salle.

Des exemples caractéristiques de ce type d’architecture nous sont offerts en Italie par le teatro della Fortuna à Fano (Giacomo Torelli [1608-1678], architecte), le teatro Falcone de Gênes (Giovanni Angelo Falcone [† 1657], architecte), deux théâtres construits au xviie s.

Au xviiie s., deux autres exemples sont fournis par le teatro delli Quatro Cavalieri à Pavie (Antonio Galli Bibiena, 1700-1774) et le théâtre communal de Bologne (même architecte).

En France, le Grand-Théâtre de Lyon (1754-1756, J. G. Soufflot*, architecte) et le Grand-Théâtre de Bordeaux (1773-1780, Victor Louis, architecte) apparaissent comme particulièrement caractéristiques.

Un traité, paru en 1812, l’Art de la charpente de Jean-Charles Krafft, donne les cotes idéales du théâtre à l’italienne : 15 m de profondeur pour la salle, 20 m de profondeur pour la scène. Dessous sur trois étages, des dégagements entourent la scène. La variété et l’abondance des équipements techniques justifieront le terme de « boîte à miracles » appliqué à cette forme architecturale avec des nuances diverses.


Texte, partition et espace

• Première observation. Les œuvres dramatiques et lyriques appartenant au répertoire occidental des xviie et xviiie s. paraissent seules trouver — les conditions défectueuses de réception pour une partie de l’assistance mises à part — leur espace et leur lieu appropriés.

Les grandes œuvres antérieures étaient représentées dans des structures spatiales constantes très différentes : celles du théâtre grec, celles du théâtre élisabéthain, notamment.

• Deuxième observation. Les mêmes édifices accueillent indistinctement toutes les œuvres appartenant au répertoire moderne.

• Troisième observation. Nombre d’analyses dramaturgiques récentes dues à des metteurs en scène, à des dramaturges ou à des théoriciens, les exigences d’une mise en forme plus rigoureuse des suggestions vocales, gestuelles et spatiales, incluses dans certains textes ou dans certaines partitions, confirment, indirectement pour les œuvres anciennes, le rapport nécessaire entre des œuvres et les structures spatiales (scène, salle) qui leur furent contemporaines et affirment, à propos des œuvres nouvelles, la nécessité de composer, pour chacune d’elle, l’espace et le front de contact acteurs-spectateurs qu’elles requièrent.


Acteur et espace

• Première observation. Que praticiens et théoriciens considèrent l’acteur comme l’instrument principal du jeu dramatique ou, simplement, comme l’un de ses éléments, ce dernier apparaît avec son corps à trois dimensions, comme une architecture mobile, ses déplacements et ses mouvements dessinant et suggérant un certain espace.

Cette suggestion risque d’être limitée par l’univers angulaire et cloisonné que constitue la scène du théâtre à l’italienne.

• Deuxième observation. En harmonie avec le corps de l’acteur, l’espace qui le porte et l’environne ne peut être que tridimensionnel. Un dispositif architecture, praticable, des plans inclinés et des escaliers permettent à l’acteur de mettre pleinement en valeur ses moyens d’expression gestuels et corporels en utilisant les qualités proprement dramaturgiques de l’architecture même du dispositif.

• Troisième observation. Selon la place que l’acteur occupe sur scène, par rapport à ses partenaires, aux accessoires et par rapport au public, ses mouvements d’un point à un autre lui confèrent par eux-mêmes une forme dramatique de communication variable, mais d’autant plus accentuée que l’acteur sera dégagé des attitudes et des mouvements que l’espace traditionnel à l’italienne risque de rendre stéréotypés et conventionnels.


Décors, dispositifs et espace

• Première observation. Au cube scénique de l’architecture à l’italienne est lié l’emploi de décors, de toiles peintes, le « décor-tableau » sur deux dimensions, en contradiction avec le volume que constitue le corps de l’acteur. Le lieu de l’action, estime-t-on, ne peut être exclusivement figuré : il doit constituer un lieu et, pour cela, être construit en fonction du corps de l’acteur, de son évolution dans les trois dimensions et de la projection des signes dont il est l’émetteur.

• Deuxième observation. L’enveloppe du cube éclate, le « décor » architecture, praticable, force à substituer au cadre à images un dispositif architecture dans une enveloppe dont les angles disparaissent, ou en dehors de toute enveloppe : édifices sphériques ou lieux de plein air.