Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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théâtre (suite)

Il est vrai que, parallèlement à l’activité des Ballets russes et deux ans après leur fondation (1911), Jacques Rouché, au théâtre des Arts, obtint des peintres, avec son collaborateur le metteur en scène Arsène Durec (1880-1930), une soumission plus effective aux exigences dramatiques. Ces peintres s’appelaient Maxime Dethomas, Jacques Drésa, René Piot, Dunoyer de Segonzac, Laprade, Charles Guérin.

Puis Jacques Rouché, quittant le théâtre des Arts pour prendre la direction de l’Opéra, réussit à imposer la collaboration de la plupart des peintres qui travaillèrent pour lui, auxquels vinrent s’ajouter un certain nombre d’autres : Maurice Denis, François Quelvée, Yves Alix, Maurice Brianchon, Paul Colin.

L’emploi de vastes espaces scéniques, le souci de mettre en valeur le jeu de l’acteur par des plans inclinés, de compenser l’absence de décors par des costumes aux lignes et aux couleurs riches de significations impliqueront, comme au Théâtre national populaire à Paris (direction Jean Vilar), le concours d’artistes authentiquement peintres comme Édouard Pignon.

Ces artistes vont retrouver la tentative précédemment signalée, visant à concilier le courant constructiviste et le courant du décor peint, selon les exigences de l’œuvre représentée et en tenant compte des possibilités offertes par l’architecture de chaque théâtre.

Ainsi, l’utilisation de l’espace scénique dans le sens de la hauteur s’est quelque peu assagie par rapport aux tentatives russes, allemandes ou polonaises.

La composition picturale ne fait que continuer les procédés utilisés depuis les xviie s. italien et français. On distinguera des décors composés selon soit une perspective axiale et symétrique (composition à l’italienne traditionnelle) [Jean Hugo pour Phèdre], soit une perspective désaxée, telle que Giovanni Niccolo Servandoni (1695-1766) et Ferdinando Bibiena (1657-1753) l’utilisèrent dès le xviiie s. (André Barsacq pour Volpone).

Après une mise en pratique des styles picturaux les plus divers — impressionnisme, cubisme, futurisme, etc. —, on assiste encore, sous l’effet conjugué des différentes tendances (influence du style de la commedia dell’arte, goût de la bouffonnerie parodique donnant l’impression de l’improvisation, désir de mêler à l’action, dans de petits cadres scéniques, des intermèdes inspirés de numéros de cabarets ou des sketches de cirque et de music-hall), à l’emploi de décors composés d’éléments légers. Tel fut l’apport très original à Paris, à partir de 1946, de la compagnie Grenier-Hussenot, avec le décorateur Jean-Denis Malclès (né en 1912), repris par quelques autres compagnies, notamment par le Centre dramatique de l’Ouest, dirigé par Hubert Gignoux, puis, plus récemment, à Paris, par le Grand Magic Circus (1970) ou certains spectacles des cabarets et de cafés-théâtres.

Les techniques renouvelées d’éclairages et de projections d’images permettent deux catégories de réalisations : l’une liée au courant pictural (décors projetés, emploi de la lumière noire), l’autre intervenant indifféremment dans les cadres architecturaux les plus variés, introduite par le film ou la projection sur différents écrans de montages de diapositives, reproduction de documents authentiques éclairant l’action de spectacle engagé. Les recherches d’un Josef Svoboda (né en 1920) en Tchécoslovaquie, d’un Jean-Marie Serreau ou d’un Michel Rafaëlli en France prolongent les réalisations déjà anciennes d’Erwin Piscator et de quelques autres.


Mise en scène et architecture théâtrale

Tel qu’il vient d’être schématiquement analysé, l’extraordinaire mouvement de rénovation du théâtre à travers la mise en scène devait entraîner des conséquences pratiques et théoriques importantes dans le domaine de l’architecture théâtrale, qu’il s’agisse des modifications apportées aux édifices existants ou de l’élaboration de projets ou de constructions nouvelles.

L’analyse des propositions ou des réalisations dues aux metteurs en scène eux-mêmes, Antoine, Appia, Craig, Meyerhold, Reinhardt, Copeau, Jouvet, Artaud, Polieri, Grotowski, Ronconi et d’autres, est développée dans la partie consacrée à l’« espace théâtral ».

A. V.


Le théâtre contemporain

Des origines jusqu’à la fin du xixe s., le théâtre évolue dans des cadres immuables pour l’essentiel. Dès l’Antiquité s’établit une communication audiovisuelle avec ce retentissement dialectique, cette communion en étoile si bien évoquée par Paul Claudel dans l’Échange :
« Ils m’écoutent et ils pensent ce que je dis ; ils me regardent et j’entre dans leur âme comme dans une maison vide.
C’est moi qui joue les femmes.
La jeune fille, et l’épouse vertueuse qui a une veine bleue sur la tempe et la courtisane trompée. Et quand je crie, j’entends toute la salle gémir. »

Si les nouvelles habitudes nées de la découverte de l’imprimerie semblent déformer une bonne partie de la critique qui valorisera indûment « Sire le Mot » (Gaston Baty) et le texte du dialogue, elles ne changeront guère le fait théâtral. Au xviie s., nos classiques publient leurs pièces après les représentations, si bien qu’elles sont jugées d’abord sur la scène. Les spectateurs qui applaudissent ou conspuent les drames romantiques, ceux du mélodrame où Margot pleurait, demeurent de la même pâte.


Une ère nouvelle

En décembre 1895, on appelle pour la première fois le public à une représentation non théâtrale. À Paris, au Grand Café, avec le cinématographe, les frères Lumière* amorcent une réaction en chaîne dont nous ne mesurons pas encore toutes les conséquences. Le progrès de certaines techniques prolonge nos sens, les investit, parfois les envahit et toujours les modifie. Dans le domaine du cinéma, d’abord le parlant (arrivé à Paris en 1930), puis, plus près de nous, la couleur, le grand écran et les essais d’illusion en relief. Ce septième art permet de dominer le temps (projections de vieux films dans les ciné-clubs et à la télévision), l’espace (films montrés simultanément dans diverses salles du monde entier) et la barrière des langues (doublage). Ainsi, les groupes les plus divers de spectateurs se réunissent pour vivre une émotion esthétique fixée en permanence dans son meilleur aspect, puisque la même séquence fait l’objet de plusieurs tournages. Ainsi, l’acteur — disons Louis Jouvet dans le film Knock (1923) — apparaîtra « tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change », alors que les représentations in vivo au théâtre de l’Athénée demeurent perdues à jamais.