Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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théâtre (suite)

En marge des contingences commerciales et syndicales, les tentatives nombreuses de créations collectives révélées à partir des années 65, en particulier par le Festival international de Nancy, se trouvent liées le plus souvent aux productions de troupes universitaires se libérant des lieux et des méthodes traditionnels de travail, tendant à vivre d’une vie physique, artistique et idéologique communautaire, favorisant la créativité de chacun, le texte et la mise en scène constituant l’œuvre collective de la troupe. En fait, au cours des quinze dernières années, les troupes les plus marquantes ne parviennent pas à dissimuler, derrière leurs réalisations, de fortes personnalités ; auteurs, metteurs en scène ou directeurs déclarés ou inspirateurs reconnus, quoique anonymes, du travail : Julian Beck et Judith Melina (née en 1927) avec le Living Theatre (1951-1970), Peter Schumann avec le Bread and Puppet Theatre aux États-Unis, Luca Ronconi avec le Théâtre-Libre de Rome en Italie, en France Ariane Mnouchkine avec le Théâtre du Soleil, Jacques Nichet avec l’Aquarium. L’apport créatif largement compris de chacun n’empêche que l’efficacité d’ordre social ou politique, particulièrement recherchée par ces troupes, exige une unité de conception et de réalisation d’autant plus rigoureuse.

Avec les positions adoptées par les praticiens en ce qui concerne les rapports du metteur en scène et de l’auteur, nous touchions au problème général de l’interprétation dramatique. Nous allons aborder l’exposé des solutions données à des problèmes intéressant plus directement la mise en œuvre scénique : il s’agit de décor, de dispositif spatial de jeu.

Aux questions relatives au décor ou au dispositif sont encore étroitement liées celles qui sont relatives au mobilier, aux accessoires, à l’éclairage, enfin à l’architecture du lieu.

En matière de décor, nous retrouvons les deux grands courants naturaliste et antinaturaliste qui ont marqué l’évolution du théâtre contemporain.

Faute de mieux, nous attribuerons au second, de loin le plus important et le plus varié, l’étiquette de décor stylisé. Ce courant antinaturaliste est marqué par une simplification, une abstraction, une schématisation des lignes et des formes, une substitution du signe à la chose ou à la copie exacte de la chose. Il se subdivise lui-même en deux autres : d’une part, le courant pictural, où se concilient la préoccupation de servir l’action dramatique avec celle d’orner le lieu scénique de lignes et de couleurs ; d’autre part, le courant constructiviste, où prédomine la préoccupation de mettre le corps de l’acteur et le jeu en valeur par l’utilisation de l’espace scénique dans les trois dimensions. Ce courant empruntera à la peinture et à la littérature ses appellations, et l’on aura des décors symbolistes, constructivistes, expressionnistes, futuristes, cubistes, etc.

Afin de délimiter le cadre historique de chacun de ces courants, commençons par rappeler ce que fut la contribution d’Antoine en matière de décor.

À la fin du siècle dernier, nombre de théâtres ne disposaient que de décors à toutes fins, ne comprenant que peu de modifications à l’occasion de chaque œuvre représentée. Décors en toile peinte utilisant le trompe-l’œil, arbres peints sur la toile ou mobiliers et accessoires également peints ; utilisation, dans quelques théâtres privilégiés, de décors peints destinés à opérer une reconstitution conventionnelle de la nature : ce souci réaliste s’accommodait des pires conventions du théâtre.

En face d’un tel réalisme, qui cessait de paraître réaliste à force de conventions, l’effort d’Antoine consista, précisément, à tenter de conserver le réalisme en supprimant le conventionnel. D’autre part, dans son désir de reconstituer le milieu et de le faire jouer, apparaît la valeur fonctionnelle du décor, du mobilier et des accessoires, c’est-à-dire leur valeur de signification propre et la nécessité de réaliser leur accord avec les autres éléments scéniques.

Or, les deux tendances constructiviste et picturale, si l’on veut délimiter leur cadre historique respectif, se manifestent dès l’origine de la réaction antiréaliste.

Le courant pictural apparaît au cours de l’existence éphémère du théâtre d’Art de Paul Fort, puis du théâtre de l’Œuvre. Il est alors marqué par l’intervention de nombreux peintres — alors impressionnistes — au théâtre. Mais c’est à partir de 1909, avec les Ballets russes, et de 1910, avec le théâtre des Arts et Jacques Rouché (1862-1957), que le mouvement prend toute son ampleur.

L’origine du courant constructiviste (ce terme est employé ici avec son sens général de « construction praticable ») se trouve formulée et mise en œuvre dans les ouvrages et les maquettes d’Appia : la Mise, en scène dans le drame wagnérien, la Musique et la mise en scène.

Il se poursuit parallèlement au courant pictural, avec de fréquents points de rencontre, plus particulièrement à l’époque contemporaine, ces points de rencontre étant marqués soit par l’utilisation, dans un même décor, des ressources du constructivisme et de la peinture (et Appia n’a jamais exclu totalement la peinture), soit par le recours de certains metteurs en scène, alternativement, à l’un ou à l’autre de ces deux procédés.

Essayons de différencier ces deux courants par quelques considérations générales ; nous montrerons ensuite quelques-unes des principales réalisations auxquelles ils ont donné lieu.

Le constructivisme paraît marquer une rupture brusque avec le passé. Sans doute peut-il être rattaché aux dispositifs du théâtre grec et du théâtre élisabéthain, et le romantisme lui-même ainsi que les propres mises en scène de Wagner contiennent quelques détails de plantation qui seront repris par nombre de constructivistes.

Mais il s’agit en fait, beaucoup plus proche du théâtre grec, d’une économie, d’une sobriété de ligne, d’un goût du dépouillement et, issue du théâtre élisabéthain, de la conception d’une scène avancée et d’une construction permettant l’utilisation verticale de l’espace. Remarquons que ces dernières formes répondent plus à un désir de multiplier les lieux, d’introduire la « répétition » dans l’espace, qu’au souci de mettre en valeur les évolutions de l’acteur.

Avec le courant pictural, c’est la tradition des xviie, xviiie et xixe s. qui se poursuit dans le cadre architectural à l’italienne et subsiste avec quelques modifications secondaires. Mais le fait nouveau est le nombre étendu de peintres se substituant aux décorateurs professionnels.