Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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théâtre (suite)

Influencé par les Meininger et leur metteur en scène Ludwig Chronegk (1837-1891), le programme général du théâtre d’Art ne diffère guère de celui du Théâtre-Libre. Condamnation de l’ancienne manière de jouer, du cabotinage, du mensonge de la mise en scène ou des décors, des vedettes qui nuisent à l’harmonie de l’ensemble, de toute l’ancienne ordonnance du spectacle et de la médiocrité du répertoire. « Nous déclarions la guerre à la routine théâtrale, écrira Stanislavski, en quelque domaine qu’elle se manifestât. »

Stanislavski, retraçant l’histoire du théâtre d’Art, distingue une première période, qui s’étend de 1898 à 1905, période de recherches vouée à ce qu’il appela lui-même le « réalisme historique » : « Je me suis mis à haïr le théâtre au théâtre, déclare-t-il ; j’y cherchais la vie authentique, aspiration vers la vérité artistique surtout extérieure. Vérité des objets [...], de l’aspect physique des personnages se substituant à l’habituel mensonge théâtral. »

Montant Jules César, il transforme le théâtre en un véritable institut scientifique. Différentes sections sont constituées, ayant chacune un programme déterminé. Des conservateurs de musées et de bibliothèques deviennent collaborateurs du spectacle. Devise du théâtre : Pravda, vérité, fidélité.

Dans le Tsar Fédor, de Tolstoï, les assistants de Stanislavski mesurent les longueurs des manches des costumes portés par les boyards de Fédor, copient les dessins des dentelles, se préoccupent de retrouver comment, au xvie s., on dressait des meules de foin.

Les recherches, les répétitions, par leur nombre, traduisent un goût approfondi du travail.

L’acteur est considéré comme l’élément capital. Dès le début, Stanislavski se préoccupera de sa formation et élaborera son « système », dont les principes connaissent la faveur d’écoles de théâtre dans les pays socialistes et aux États-Unis. Mais le naturalisme qui concernera les accessoires, les costumes, le jeu n’empêcheront pas un goût russe ancestral de se manifester pour la couleur, un sens poussé de la simplification, de la synthétisation.

Puis, dans une seconde période, le réalisme tant recherché par Stanislavski n’est plus que celui de la vie intérieure.

Comme il le dira lui-même, sous une autre forme, Stanislavski prend conscience de la vérité théâtrale en face de la vérité tout court.

Son travail personnel et le mouvement de réaction antiréaliste déclenché par le théâtre d’Art, puis par le théâtre de l’Œuvre, sur le plan pratique, sur le plan théorique, par un Gordon Craig (interprétation simplifiée en correspondance avec l’évolution du mouvement pictural), le déterminent à orienter sa production vers un réalisme symbolique et, finalement, vers le symbolisme tout court. La multiplication des indications réalistes fait place à la traduction de la tonalité prédominante de l’œuvre à interpréter. Stanislavski parvient, par cette voie, à des ensembles remarquables. C’est à cette époque que fut créé le Théâtre-Studio (1905), scène expérimentale du théâtre d’Art, qui, animé par Meyerhold, sous la direction de Stanislavski, poussa l’évolution ainsi engagée jusqu’à prendre le contre-pied des idées qui présidèrent aux premières réalisations du théâtre d’Art. Meyerhold, en effet, considéra, comme l’observera Stanislavski, que « le réalisme a vécu, et que ce qu’il importait de porter à la scène, c’était l’irréel ».


Jacques Copeau (1879-1949)

La fondation à Paris par Jacques Copeau du Vieux-Colombier en 1913, son transfert aux États-Unis pendant une partie de la Première Guerre mondiale, puis sa reprise de 1920 à 1924 apparaissent, donc, à la fois comme un aboutissement de la réforme et un départ en ce qu’elle opère, en effet, une nouvelle révision critique et contient un programme original de propositions constructives dont ont vécu et vivent encore les théâtres français, italiens et anglais notamment.

Pour répéter les propres termes employés par Copeau, les faits qui motivent la continuation de la réforme entreprise par ses prédécesseurs sont : l’abandon du théâtre aux spéculations des exploiteurs, l’éviction de l’auteur, le maintien dans la routine du patrimoine classique, le règne du désordre, de la cupidité personnelle, de la virtuosité poussée jusqu’à la grimace et de la prodigalité barbare.

Après l’énoncé des motifs de réaction, les mobiles de rénovation conduisent à distinguer nettement les principes des moyens permettant de réaliser leur mise en œuvre.

Les principes sont simples et ne sont pas particuliers à Copeau : à la suite d’Antoine, d’Appia et de Gordon Craig, en qui il reconnaît ses maîtres, Copeau entend « faire régner la discipline, le désintéressement, l’esprit de corps, l’économie des moyens et l’unité par l’harmonie ».

À ces principes généraux s’ajoutent quelques autres : redonner au poète dramatique la première place, « lui rendre un culte absolu » ; par une permanence, une continuité de l’entreprise, en assurer la réussite, différenciant ainsi son effort de celui d’un théâtre d’avant-garde « ordinairement reconnaissable aux traits d’une originalité très voyante, d’un caractère très accusé et facile à saisir ». Et Copeau d’observer encore : « On combat, on défend les tendances révolutionnaires d’un théâtre d’avant-garde avec le même sentiment d’avoir affaire à une crise singulière, inévitable et de courte durée. »

Les quelques principes qui viennent d’être exposés semblent bien constituer les bases de l’ordre que Copeau, ainsi qu’il l’annonce lui-même dans le premier Cahier du Vieux-Colombier, entend instaurer : « Nous voulons [...], pose-t-il avec force, instituer un ordre, c’est-à-dire une chose qui se puisse comprendre, à quoi l’on puisse adhérer, un ordre stable pour un renouvellement illimité, un ordre de commandement et d’abnégation [...]. »

Un tréteau nu, ou un dispositif architecture permettant d’utiliser l’espace dans les trois dimensions, synthétique, c’est-à-dire stable dans sa structure, mais adaptable aux œuvres les plus variées, un rapport plus direct entre acteurs et spectateurs par la suppression de la rampe et du rideau, telles furent les révélations du théâtre du Vieux-Colombier, dont la salle, transformée avec le concours de Louis Jouvet, accueillit des œuvres de Shakespeare et de Molière ainsi que d’auteurs contemporains comme Roger Martin du Gard, Paul Claudel et Charles Vildrac, tout en groupant, dans une école, autour d’un programme qui contenait les principes d’une réforme globale du théâtre, nombre d’élèves qui allaient devenir les maîtres du théâtre français contemporain.