Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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théâtre (suite)

Au cours des dix années qui suivent (1956-1965), ce mouvement s’étend : création de théâtres populaires à la suite de l’impulsion décisive donnée par Jean Vilar (1912-1971) à la tête du Théâtre national populaire et de sa lutte en faveur d’un « théâtre service public », de théâtres ambulants, de troupes régionales, de théâtres édifiés à la périphérie des villes. Mais ces entreprises subissent un demi-échec, compte tenu du faible indice de fréquentation d’un public appartenant aux couches les plus populaires, alors que cet effort lui était principalement destiné.

D’autre part, le metteur en scène doit compter avec une génération de jeunes auteurs qui s’affirment comme de véritables hommes de théâtre, prévoyant, par leur écriture même, les principes essentiels de la traduction scénique de leurs œuvres.

Mais, à partir de 1965, tout en conservant, dans l’ensemble, leurs prérogatives, les metteurs en scène vont se trouver en butte à trois menaces : la prise en main par les auteurs de la direction scénique ; l’arrivée d’un nouveau venu, le scénographe — technicien des moyens scéniques, issu de la décoration théâtrale, il tendra à supplanter le metteur en scène, à l’occasion, dans des spectacles conçus et réalisés par lui seul ; enfin la fondation de troupes — dont les membres, fréquemment issus du théâtre universitaire, rejettent toute autorité : auteur, vedette, metteur en scène — soucieuses, par une créativité enfin libérée, fondée le plus souvent sur une communauté d’aspirations sociales et idéologiques, de faire du texte et de la mise en scène une création collective.

La production dramatique et les réflexions qui se manifestent en marge de cette production au cours des quatre-vingts dernières années peuvent faire l’objet des observations suivantes.

Ainsi que nous l’avons déjà remarqué, l’un des apports les plus importants des metteurs en scène a été l’intense effort d’élucidation qu’ils ont fourni. Cet effort, attesté par la publication d’ouvrages, d’articles, de périodiques, a consisté tout d’abord à préciser les causes de la crise du théâtre. Ces causes se trouvent très clairement énoncées par Antoine dès 1887 dans les opuscules rédigés par lui et intitulés Théâtre libre ; par Lugné-Poe (1869-1940) dès 1893 dans l’Œuvre, revue publiée par le théâtre de l’Œuvre, dont il fut l’un des fondateurs ; par Edward Gordon Craig à partir de 1908 dans sa revue The Mask ; par Jacques Copeau encore en 1920 et en 1921 dans les Cahiers du Vieux-Colombier, et par bien d’autres encore. Selon ces réformateurs, les théâtres sont des entreprises exclusivement ou presque exclusivement commerciales. Les vedettes exercent une véritable tyrannie au détriment de l’ensemble ; le public ne considère plus le théâtre que comme un divertissement de second ordre.

L’apport théorique des metteurs en scène a permis de préciser les moyens de réhabiliter le théâtre et de lui redonner le prestige et le rayonnement d’un grand art : rupture avec les hommes d’argent ; restauration du théâtre dans son autonomie et dans son unité, tel qu’il se manifestait aux grandes époques. Ces préoccupations apparaissent comme prédominantes même chez les metteurs en scène les plus révolutionnaires : il ne s’agit pas, pour la plupart d’entre eux, d’innover pour innover, mais de retrouver les bases solides de l’art dramatique des grandes époques, et c’est chez Jacques Copeau que ce motif de réforme se trouve particulièrement bien formulé. Il écrit en 1921 : « Il n’est pas de renouvellement durable qui ne se rattache à la tradition continuée ou retrouvée, point de révolution même qui n’aille jeter ses racines dans les secrets les plus éloignés d’une tradition qu’on croyait morte. »

Ces principes se nuancent et se précisent avec les metteurs en scène des générations postérieures.

Un Charles Dullin (1885-1949), un Harley Granville-Barker (1877-1946), un Tyrone Guthrie (1900-1971) ou un Peter Brook (né en 1925) invoqueront la farce grecque et le théâtre élisabéthain* ; un Louis Jouvet (1887-1951), les xvie et xviie s. français et italiens ; un Gaston Baty (1885-1952), le théâtre grec, les mystères du Moyen Âge, le théâtre de la Foire ; un Artaud, certaines formes de théâtre oriental, qui constituera également une source d’inspiration pour un Brecht* ou un Bob Wilson. L’improvisation constituera la base de travail du jeune théâtre attaché à la création collective.

Les techniques de certaines formes de marionnettes orientales ou des poupées-mannequins des défilés populaires ou des carnavals réapparaîtront, sous forme de marionnettes géantes, au cours des représentations-données par les troupes d’Agit-Prop (Agitation-Propagande) ou de théâtre de rue.

À ces principes s’ajouteront le désir de former des acteurs et des techniciens, celui d’éduquer un public après l’avoir constitué et informé, de l’étendre à toutes les catégories sociales, de faire du théâtre le foyer vivant d’une entreprise d’animation culturelle, de réformer les conditions de la représentation, le jeu, le décor, l’architecture.

Adhésion aux grands enseignements du passé, mais libération des contraintes et des conventions attachées aux lieux, à l’impérialisme propre à la littérature dans le théâtre occidental, aux « systèmes » de formation professionnelle, aux fausses oppositions nées de la distinction stérile opérée entre créateurs et exécutants, aux conceptions privilégiant la recherche formaliste au détriment de la communication des idées et de la présentation objective des faits et des éléments d’information ou de leur interprétation critique (théâtre politique, « théâtre document »), — tels sont les motifs et les moyens de renouvellement mis en œuvre.

En même temps que s’instaure la souveraineté du metteur en scène sur l’ensemble de l’activité dramatique — choix de la pièce et élaboration de son interprétation — naît l’un des conflits les plus extraordinaires que l’art ait connus : le bien-fondé de la position prédominante prise par le metteur en scène est contesté, ainsi que la légitimité artistique de sa fonction, et cela d’autant plus que la mise en scène apparaît à certains comme une activité nouvelle et le metteur en scène comme un nouveau venu. Vue contredite par une information historique objective qui ne s’est développée, il est vrai, qu’au cours des vingt dernières années.

L’examen des polémiques qui marquent un conflit nullement dépassé échappe, en tant que tel, à la présente étude, mais il explique fréquemment les conceptions et même, pour une part, les réalisations des metteurs en scène modernes. Cette remarque gagne à rester présente à l’esprit du lecteur de l’exposé qui suit.