Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Thaïlande (suite)

Les écoles thaïes

Si l’unité artistique n’est pas immédiatement réalisée, les diverses écoles qui coexistent ou se succèdent à partir de la seconde moitié du xiiie s. puisent du moins dans le bouddhisme theravādin leur commune inspiration.


L’école de Sukhothai

En dépit de son existence éphémère et du rôle important joué par le bouddhisme singhalais, le royaume élabore un art aussi nouveau dans le domaine de l’architecture que dans celui de la sculpture, dont l’influence sera profonde et durable. Mettant à profit les apports les plus divers, utilisant avec un rare bonheur les techniques traditionnelles du bronze et du stuc comme celle, chinoise, de la céramique (Sukhothai, Sawankalok), épris de la beauté des lignes, les artistes de Sukhothai ont créé une image du Bouddha d’une spiritualité inégalée. Uniques dans l’art bouddhique, les Bouddha marchant de Sukhothai, avec une anatomie suprahumaine et une démarche aérienne, représentent l’un des sommets de l’art religieux... Il ne reste que des traces des peintures murales de la période de Sukhothai, mais d’assez nombreuses gravures sur schiste (Jātaka de Wat Si Chum) ou sur bronze permettent de juger de la qualité du graphisme et de l’équilibre des compositions.


L’art du Lan Na ou de Chieng Sèn

Le nom de Chieng Sèn, retenu par les historiens thaïlandais en fonction d’une tradition non vérifiée tendant à faire du site un foyer bouddhique important bien avant la fondation de la cité (1327), présente quelque ambiguïté et tend à restreindre le rôle de Chieng Mai, capitale du Lan Na (1296). En fait, dans la région où allait être fondée Chieng Mai à ses dépens, subsistait le royaume mon de Haripuñjaya, instauré au viie ou au viiie s. ; à Lamphun (Wat Kukut) se maintenaient une tradition « Dvāravatī » abâtardie et des apports de l’art pāla, véhiculés grâce aux contacts avec les Môns de Birmanie. Sans doute, ce fond et les influences que les Thaïs du Nord avaient pu recevoir directement ont-ils joué un rôle déterminant pour la formation de l’école. Marquée d’influences pāla, la sculpture se signale d’abord par un idéal très classique, fort différent de celui de Sukhothai, dont l’influence, dès la seconde moitié du xive s., tendra à lui faire perdre ses qualités premières dans une production parfois inégale. L’architecture témoigne toujours, en dépit de toutes les influences reçues, de beaucoup d’originalité, qu’il s’agisse d’édifices reliquaires ou de bâtiments monastiques, où la sculpture sur bois joue un rôle important. Édifié à Chieng Mai vers 1455, Wat Chedi Chet Yot, copie assez libre du célèbre Mahābodhi de Bodh-Gayā*, se signale par la qualité de ses stucs.


L’école d’Ayuthia*

Née avec la fondation de la capitale en 1350, postérieure de plus d’un siècle à la fin de la prépondérance khmère dans le bassin du Ménam, elle est précédée d’une école dite « d’U Thong » (sans rapport avec le site archéologique du même nom, antérieur au xiie s.), connue surtout par sa sculpture. Celle-ci, qui allie d’abord à la tradition de Lopburi des réminiscences de Dvāravatī et des influences de Haripuñjaya (Lamphun), s’est perpétuée jusqu’au début du xve s., mais profondément modifiée par l’influence de Sukhothai. C’est elle qui prévaudra dans la sculpture d’Ayuthia, pourtant préoccupée plus de perfection un peu froide que de véritable spiritualité. L’architecture se signale par l’importance du prang, héritage de Lopburi, et par l’évolution de la silhouette du stūpa. Si le sac d’Ayuthia par les Birmans (1767) a amené la ruine des ensembles de la capitale, nombre de monastères provinciaux (Phetburi, Nakhon Si Thammarat...) préservent l’art des xviie-xviiie s. et révèlent sa qualité et sa distinction. Dans Ayuthia et Lopburi, divers vestiges du règne de Phra Narai (fin du xviie s.) sont marqués de l’influence des ingénieurs français. C’est surtout à partir du xviie s. que la peinture de la Thaïlande (peinture murale, manuscrits à figures, laques « noir et or ») peut être étudiée. Associant étroitement le réel et le merveilleux, éprise de la pureté du graphisme et de stylisations décoratives, son originalité et sa distinction suffiraient à résumer les tendances de l’art de la Thaïlande.


L’école de Bangkok*

Véritable continuatrice, sans le moindre hiatus, de l’école d’Ayuthia, elle est celle qui permet le mieux de juger des qualités, du raffinement et de la vitalité de l’art thaïlandais, d’imaginer aussi ce que pouvait être la beauté d’Ayuthia, célébrée par les voyageurs européens du xviie s. Les grands monastères de Bangkok et de Thonburi, édifiés de la fin du xviiie s. au milieu du xixe, révèlent les tendances profondes d’une architecture où la construction mixte joue un rôle important et où stucs dorés, porcelaines polychromes et toitures de tuiles vernissées ajoutent à la beauté des proportions le chatoiement des couleurs. Comme les arts décoratifs (laque, marqueterie de nacre, céramique Bencharong « cinq couleurs »...), la peinture perpétue les tendances d’Ayuthia, et la mode sinisante qui se développe dans le deuxième quart du xixe s. ne nuit pas plus que les influences occidentales à la stabilité des traditions et à la qualité des techniques. Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du xixe s. qu’un souci de vérité et l’emprise de l’optique occidentale, heureusement longtemps tempérés par une naturelle sûreté de goût, ont amené le recul progressif du seul art de l’Asie méridionale ayant su résister à la décadence.

J. B.

➙ Angkor / Ayuthia / Bangkok / Birmanie / Bodh-Gayā / Cambodge / Ceylan / Champa / Inde / Indonésie.

 L. Fournereau, le Siam ancien. Archéologie, épigraphie, géographie (Leroux, 1896-1908 ; 2 vol.). / E. Lunet de Lajonquière, le Domaine archéologique du Siam (Leroux, 1909) ; Essai d’inventaire archéologique du Siam (Leroux, 1912). / K. Döhring, Kunst und Kunstgewerbe in Siam (Berlin, 1919 ; 2e éd., 1925) ; Siam (Darmstadt, 1923). / A. Salmony, Die Plastik in Siam (Helleran, 1926 ; trad. fr. la Sculpture au Siam, Van Oest, 1925). / G. Coedès, les Collections archéologiques du Musée national de Bangkok (Van Oest, 1928). / J. Y. Claeys, l’Archéologie du Siam (Van Oest, 1931). / R. Le May, A Concise History of Buddhist Art in Siam (Cambridge, 1938). / S. Bhirasri, Thai Architecture and Painting (Bangkok, 1953 ; 2e éd., 1955) ; Thai Buddhist Sculpture (Bangkok, 1956) ; Thai Laquer Works (Bangkok, 1960) ; Thai Wood Carvings (Bangkok, 1961). / E. Chand et K. Yimsiri, Thai Monumental Bronzes (Bangkok, 1957). / A. B. Griswold, Dated Buddha Images of Northern Siam (Ascona, 1957) ; Towards a History of Sukhodaya Art (Bangkok, 1967). / P. Dupont, l’Archéologie mône de Dvāravatī (A. Maisonneuve, 1960). / M. C. S. Diskul, G. Coedès et J. Boisselier, Catalogue de l’exposition : trésors de l’art de Thaïlande (musée Cernuschi, 1964). / C. N. Spinks, The Ceramic Wares of Siam (Bangkok, 1965). / H. G. Q. Wales, Dvāravatī. The Earliest Kingdom of Siam, 6th to 11th Century AD (Londres, 1969). / M. C. S. Diskul, Art in Thailand. A Brief History (Bangkok, 1970). / T. Bowie, M. C. S. Diskul et A. B. Griswold, The Sculpture of Thailand (New York, 1972). / S. J. O’Connor, Hindu Gods in Peninsutar Siam (Ascona, 1972). / J. Boisselier, la Sculpture en Thaïlande (Office du livre, Fribourg, 1974) ; la Peinture en Thaïlande (Office du Livre, ibid., 1976).