Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Thaïlande (suite)

L’essor sous la dynastie Chakri

Les règnes de Rāma Ier (1782-1809) et de Rāma II (1809-1824) sont tout entiers consacrés à la restauration matérielle et culturelle du royaume ainsi qu’à la consolidation de ses frontières, tandis que se renouent les relations commerciales avec l’Occident. La tendance se confirme sous Rāma III (1824-1851) avec la signature de traités de commerce et le début de la modernisation (introduction de l’imprimerie, 1835). Au milieu du xixe s., le Siam est à l’apogée de sa puissance : possédant les provinces septentrionales du Cambodge et le royaume de Vientiane, suzerain des royaumes du Lan Na, de Luang Prabang et de Champassak, des sultanats du nord de la Malaisie, il partage avec le Viêt-nam, depuis 1847, la suzeraineté du Cambodge, qu’il a perdue en 1813. Rāma IV Mongkut (1851-1868), frère et successeur de Rāma III, monarque éclairé et authentique savant, tout en multipliant les traités avec l’Europe, sait préserver l’indépendance du Siam, le faire prudemment bénéficier des idées nouvelles et réformer la religion bouddhique (secte Thammayut). Son fils, Rāma V Chulalongkorn (1868-1910), est, dans tous les domaines, un novateur : abolition de l’esclavage (1905) accompagnée de la réforme de la justice, création des chemins de fer, des postes et télégraphes... Les rectifications de frontières avec l’Indochine française (1893, 1907) puis avec la « fédération de Malaisie » (Federated Malay States) [1909] entraînent des pertes territoriales, mais s’effectuent, grâce aux rivalités franco-britanniques, dans des conditions qui préservent la paix. Rāma VI Vajiravudh (1910-1925), d’éducation très occidentale, mais profondément attaché aux traditions, range le Siam aux côtés des Alliés dans la Première Guerre mondiale (1917) et entreprend d’obtenir la renonciation des nations européennes au privilège d’exterritorialité qui leur a été accordé sous Rāma IV. Son frère Rāma VII Prajadhipok (1925-1935) lui succède : il sera le dernier souverain absolu du Siam.

Aux prises avec des difficultés financières et économiques, tentant d’ébaucher un régime représentatif, il ne peut empêcher le mécontentement, et, en 1932, durant un séjour aux États-Unis, le coup d’État de Pridi Phanomyong, juriste formé en France, l’oblige à octroyer une Constitution instituant le régime parlementaire.


La période contemporaine

Le coup d’État de 1932 n’a pas été inspiré par un mouvement populaire, mais seulement par les cadres de l’Administration et de l’armée, qui, pratiquement, ont continué à occuper le devant de la scène politique jusqu’à nos jours. Imposée au roi, une Constitution provisoire (27 juin 1932) confie le pouvoir exécutif à un comité issu du Parti du peuple (c’est-à-dire les promoteurs du coup d’État) et le pouvoir législatif à un Sénat désigné par le Parti. « Octroyée » par le roi le 10 décembre 1932, la Constitution permanente s’inspire des mêmes principes et prévoyait une accession progressive au suffrage universel. La réforme, d’inspiration socialiste, rencontre l’opposition des conservateurs et conduit à de nouveaux coups d’État (1933), puis à l’abdication du roi (1935). Son successeur, Ananda Mahidol (1935-1946), étant âgé de dix ans, un Conseil de régence est institué. En 1938, sous le gouvernement du major Phibul Songkhram (1887-1964), le rôle de l’armée devient prépondérant et une politique nationaliste se développe (adoption de la désignation Thaïlande). La Seconde Guerre mondiale amène une scission : après avoir proclamé la neutralité, Phibul se range aux côtés du Japon (déc. 1941), tandis qu’à Washington et à Londres des mouvements Free Thai refusent les ordres de Bangkok. À l’intérieur, l’opposition (Pridi Phanomyong, régent, et Luang Adul, vice-Premier ministre) entre en contact avec les Alliés en 1944. La chute de Phibul et la capitulation du Japon (août 1945) ramènent Pridi au pouvoir. En attendant une nouvelle Constitution, les partis sont autorisés : « progressiste » (royaliste) de Kukrit Pramoj, « coopératif » de Pridi. Les élections (janv. 1946) donnent un léger avantage au dernier, mais l’assassinat du roi (juin 1946), la liquidation des séquelles de la guerre, la dégradation de l’économie amènent la chute de Pridi (août 1946) et le retour de Phibul (1948).

La Constitution permanente de 1949, élaborée par le parti démocrate (de Khuang Aphaiwong), libérale, est abolie par un coup d’État de Phibul (1951) rétablissant la Constitution de 1932, juste avant le retour en Thaïlande du roi Bhumibol Adulyadej, couronné en 1950. Menant une politique anticommuniste et antichinoise, Phibul se rapproche des États-Unis, et, en 1954, la Thaïlande devient un actif membre de l’O. T. A. S. E. (Organisation du Traité de l’Asie du Sud-Est), qui établit son siège à Bangkok. Une tentative de libéralisation (1955) se heurte à l’opposition du Front socialiste. Le coup d’État du général Sarit Thanarat (1957) met fin à la carrière de Phibul. Exerçant le pouvoir de 1958 à 1963, Sarit Thanarat tente d’élaborer une nouvelle constitution monarchique en s’appuyant sur le parti révolutionnaire. À sa mort, le général Thanom Kittikachorn devient Premier ministre. Complots et guérilla communiste dans les zones frontières le poussent à accepter l’aide des États-Unis, à favoriser l’implantation des Américains dans le pays et à prendre une part plus active au conflit viêtnamien. Après la promulgation, en 1969, de la Constitution permanente, l’Assemblée des représentants élue est remplacée (nov. 1971) par un Conseil exécutif national. Une nouvelle Constitution provisoire, promulguée en décembre 1972, donne le pouvoir à une assemblée nommée et interdit toutes activités jugées « nuisibles ». En octobre 1973, de sanglantes émeutes estudiantines à Bangkok amènent la chute et l’exil du maréchal Thanom Kittikachorn, puis la formation d’un gouvernement à dominante civile présidé par Sanya Dharmasakti, recteur de l’université. En 1974, le nouveau gouvernement doit affronter une crise économique, sociale et politique, tandis que la guérilla menée par le parti communiste thaïlandais se développe. La nouvelle Constitution, promulguée en octobre 1974, accroît les pouvoirs du roi et du Parlement et limite ceux du gouvernement. Les élections de janvier 1975 sont remportées par le parti démocrate de Seni Pramoj (71 sièges) et le taux d’abstentions est très élevé, dépassant 60 p. 100. Élu Premier ministre par la nouvelle Assemblée en février, Seni Pramoj est remplacé dès mars par son frère, Kukrit Pramoj, chef du parti d’action sociale, puis revient au pouvoir à la faveur des élections d’avril 1976. Mais, en octobre de la même année, un coup d’État militaire met fin à cette expérience de gouvernement démocratique, instaurant un régime autoritaire et anticommuniste.

J. B.