Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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textiles (industries) (suite)

L’avantage des vieux pays industriels n’est, cependant, pas près de disparaître : il est entretenu par le jeu de la mode, dont ils contrôlent les mouvements. Il est difficile, pour des industries naissantes, de fournir les qualités et les impressions que désire une clientèle aux goûts divers et aux revenus élevés. L’invention des textiles artificiels favorise également les nations industrielles : la soie artificielle du comte Hilaire de Chardonnet de Grange (1839-1924) donne le départ à des innovations qui permettent de fabriquer à partir de la cellulose des produits qui remplacent la laine ou le coton dans certains de leurs usages ou servent dans des fabrications industrielles où ils conviennent bien. La rayonne et la fibranne doivent une partie de leur succès à la facilité avec laquelle il est possible de se procurer la matière première qui permet de les fabriquer : les nations qui ont de la peine à acheter la laine et le coton, alors produits par des pays à monnaie forte, sont particulièrement sensibles à cette facilité. Le souci stratégique d’autarcie pousse dans le même sens : à la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne, l’Italie et le Japon sont lancés plus avant dans l’exploitation des nouveaux produits que la France, la Grande-Bretagne ou les États-Unis. Au total, les fibres naturelles dominent toujours le secteur : en 1938, sur une consommation qui excède légèrement 10 Mt pour les produits essentiels, la laine représente 1,8 Mt, le coton 7,6 Mt et les fibres artificielles 0,9 Mt.


L’évolution récente

La Seconde Guerre mondiale ralentit considérablement la croissance du secteur : celle-ci ne reprend de manière sensible qu’à partir de 1955 ; on produit alors, pour les fibres principales, 14,5 Mt. En 1974, toujours pour les fibres essentielles, le tonnage dépasse 30 Mt. La croissance durant la première période de dix-sept ans a été de 40 p. 100 environ, de 100 p. 100 durant la seconde. La situation est donc, dans l’ensemble, assez bonne, puisque le tonnage obtenu est en expansion plus rapide que la population mondiale. Cette évolution a été possible grâce à l’apparition des fibres synthétiques. Celles-ci ne jouaient qu’un rôle tout à fait secondaire en 1955, avec moins de 300 000 t pour l’ensemble du monde. En 1975, avec 7,5 Mt, elles représentent environ le quart du total. Entre les deux dates, elles ont assuré près de 40 p. 100 de l’augmentation des productions globales. À l’heure actuelle, textiles artificiels et synthétiques représentent le tiers du total.

La production de laine brute a augmenté de moitié par rapport à l’avant-guerre : le progrès est dû presque tout entier aux pays de l’hémisphère Sud, Australie et Nouvelle-Zélande en particulier, et à l’U. R. S. S. La production de coton est de l’ordre de 14 Mt : les États-Unis (2 Mt), autrefois les premiers producteurs, sont aujourd’hui devancés par l’Union soviétique (2,5), dont la production s’est développée rapidement (elle a triplé) ; celles de l’Inde et de la Chine ont connu un essor notable, mais moins rapide. Le nombre des producteurs moyens ne cesse de s’accroître : Égypte et Soudan en Afrique ; Syrie et Turquie au Moyen-Orient ; Brésil et Mexique en Amérique ; Pākistān en Asie méridionale.


La situation actuelle

Les fibres artificielles proviennent toujours des grands pays industriels : les États-Unis y tiennent une large place, mais le Japon les talonne, cependant que la place des pays européens est plus modeste. L’U. R. S. S. et les démocraties populaires (la République démocratique allemande en particulier) sont des producteurs notables. Les fibres synthétiques sont fournies par les nations qui possèdent une industrie pétrochimique puissante : cela explique la place dominante des États-Unis (un tiers du total), celle du Japon (un sixième), celle, enfin, de l’Europe occidentale, qui talonne les États-Unis. L’Europe de l’Est est moins bien représentée : elle n’a pas joué autant que l’Ouest son développement sur le pétrole importé.

Dans le domaine de la fabrication des étoffes et des industries dérivées, la situation mondiale est en train de se modifier très rapidement : les grandes nations ne peuvent plus exporter de tissus dans les pays du tiers monde : leurs coûts de fabrication sont devenus prohibitifs. Elles ne peuvent plus écouler que certains articles de confection, des modèles d’impression, des dessins, certaines fibres synthétiques que les nations sous-développées sont incapables de fournir.

La situation de la Grande-Bretagne est révélatrice de l’ampleur de cette évolution : en 1972, l’industrie cotonnière n’y travaille plus que 119 000 t de fibres, contre 115 000 t à Hongkong, dont les articles envahissent, avec ceux d’autres pays du tiers monde, le marché britannique. À la veille de la Première Guerre mondiale, le même secteur d’activité employait près d’un million de salariés et utilisait 800 000 t de fibres.

L’évolution qui fait glisser l’industrie textile des nations de développement ancien à celles qui commencent à se moderniser se fait à des rythmes inégaux. Le Marché commun (d’avant 1973) y a été moins sensible que la Grande-Bretagne, dont l’économie est plus ouverte. Aux États-Unis, la production ne régresse guère ; au Japon, elle se maintient. Dans les pays de l’Est, le glissement vers les zones les moins développées, celles, précisément, qui fournissent le coton et la laine, n’est qu’à peine esquissé, et l’essentiel de la production demeure le fait des foyers mis en place dans le courant du xixe s. Depuis le milieu des années 60, cependant, l’évolution s’accélère partout. Elle est plus rapide dans les activités où le coût de la main-d’œuvre est relativement le plus fort : la confection française se fait de plus en plus en Tunisie ou au Maroc, comme la confection des États-Unis, dans certains pays de l’Amérique du Sud.

Jusqu’à présent, l’évolution a été limitée par l’apparition des textiles nouveaux : mis au point dans les pays développés, ils y sont fabriqués dans la mesure où leur production est liée à la pétrochimie, qui s’installe en aval des raffineries puissantes. Mais cette situation risque de ne pas durer. Déjà depuis quelques années, les États-Unis envisagent favorablement l’installation de raffineries et d’usines pétrochimiques dans des terres sous-développées, où les problèmes de pollution sont moins aigus que chez eux. La crise du pétrole risque de donner à cette évolution une ampleur imprévue. Les pays producteurs de brut n’ont-ils pas intérêt à développer sur leur propre territoire une bonne part du raffinage pour bénéficier ainsi des activités induites, celles de la production des fibres synthétiques par exemple ?

Cette transformation est inquiétante pour les pays industrialisés : au moment où ils ont besoin de développer leurs exportations, ils voient sans plaisir la menace de cette concurrence nouvelle. Il n’y a guère qu’un domaine dans lequel ils gardent l’initiative, celui de la mode, qu’ils continuent à façonner, mais pour combien de temps ?