Tertullien (suite)
En marge de son œuvre d’apologiste et de contreversiste, Tertullien demeure un témoin privilégié des mœurs chrétiennes de son temps. Son exhortation Aux martyrs, écrite peut-être en 202, est révélatrice du climat d’héroïsme au sein de l’Église carthaginoise persécutée. La célèbre Passion de Perpétue et de Félicité, dont Tertullien pourrait également être l’auteur, daterait de la même année. Peut-être dès 197, Tertullien avait publié le pamphlet Sur les spectacles, où il s’efforce de décourager toute velléité des catéchumènes chrétiens à assister aux jeux du cirque, du stade ou de l’amphithéâtre. Sur la toilette des femmes, bien que publié avant la période montaniste, est un écrit sévère, d’une austérité qui ne manque ni de pittoresque ni d’exagérations moralisatrices. Sur la prière (De oratione), composé vers 200, présente le plus ancien commentaire connu du Notre Père. On y trouve aussi de nombreux conseils pratiques et une évocation fort concrète du rôle de la prière au sein de la communauté chrétienne. Aussi révélateurs de la vie quotidienne, de la discipline commune et de l’atmosphère spirituelle, caractéristiques de l’Église carthaginoise, sont les traités de Tertullien intitulés Sur la patience, Sur la pénitence, À l’épouse, Exhortation à la chasteté, Sur la monogamie, Sur le voile des vierges, Sur la couronne, Sur la fuite dans la persécution, Sur l’idolâtrie, Sur le jeûne, Sur la modestie, Sur le pallium. Pour huit autres traités de Tertullien, nous devons nous contenter des énoncés de leurs titres, transmis par différents auteurs de l’Église ancienne.
Innovateur, s’il en fut, aux origines du christianisme occidental, Tertullien demeure un pionnier paradoxal. Il prit ses distances à l’égard des milieux judéo-chrétiens d’une époque antérieure, tels qu’il put en prendre connaissance à Rome ou à Carthage même. Il exploita les ressources de la philosophie et de l’art oratoire, développés chez les Latins sur la base de l’hellénisme impérial, mais pour exalter le caractère non systématique et, à première vue, absurde du dogme chrétien. Défenseur passionné de la grande tradition ecclésiale, il s’en sépara néanmoins pour fonder sa propre secte. Jamais il ne songea à produire un corps doctrinal équilibré et cohérent à la manière d’un Irénée de Lyon, mais ses intuitions fulgurantes influencèrent les énoncés du dogme trinitaire de Nicée. En introduisant les notions de persona et de trinitas dans la doctrine sur Dieu, Tertullien fournit à la foi nouvelle des concepts qui devaient traverser les millénaires. De même, son affirmation vigoureuse de deux natures dans l’unique personne du Christ anticipait de plusieurs siècles, au moins par sa formule, l’énoncé du concile de Chalcédoine (en 451). Enfin, son style tourmenté ne cesse d’illustrer le drame, toujours actuel, d’une conviction religieuse obligée de se donner une voix dans des langages culturels étrangers à sa tradition native, qui est celle de la Bible hébraïque.
C. K.
➙ Chrétiennes (littératures).
R. Braun, Deus christianorum. Recherches sur le vocabulaire doctrinal de Tertullien (P. U. F., 1962). / J. Moingt, Théologie trinitaire de Tertullien (Aubier, 1966-1969 ; 4 vol.). / M. Spanneut, Tertullien et les premiers moralistes africains (Lethielleux et Duculot, 1969). / J. C. Fredouille, Tertullien et la conversion de la culture antique (Études augustiniennes, 1972).