Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Tertullien (suite)

En marge de son œuvre d’apologiste et de contreversiste, Tertullien demeure un témoin privilégié des mœurs chrétiennes de son temps. Son exhortation Aux martyrs, écrite peut-être en 202, est révélatrice du climat d’héroïsme au sein de l’Église carthaginoise persécutée. La célèbre Passion de Perpétue et de Félicité, dont Tertullien pourrait également être l’auteur, daterait de la même année. Peut-être dès 197, Tertullien avait publié le pamphlet Sur les spectacles, où il s’efforce de décourager toute velléité des catéchumènes chrétiens à assister aux jeux du cirque, du stade ou de l’amphithéâtre. Sur la toilette des femmes, bien que publié avant la période montaniste, est un écrit sévère, d’une austérité qui ne manque ni de pittoresque ni d’exagérations moralisatrices. Sur la prière (De oratione), composé vers 200, présente le plus ancien commentaire connu du Notre Père. On y trouve aussi de nombreux conseils pratiques et une évocation fort concrète du rôle de la prière au sein de la communauté chrétienne. Aussi révélateurs de la vie quotidienne, de la discipline commune et de l’atmosphère spirituelle, caractéristiques de l’Église carthaginoise, sont les traités de Tertullien intitulés Sur la patience, Sur la pénitence, À l’épouse, Exhortation à la chasteté, Sur la monogamie, Sur le voile des vierges, Sur la couronne, Sur la fuite dans la persécution, Sur l’idolâtrie, Sur le jeûne, Sur la modestie, Sur le pallium. Pour huit autres traités de Tertullien, nous devons nous contenter des énoncés de leurs titres, transmis par différents auteurs de l’Église ancienne.

Innovateur, s’il en fut, aux origines du christianisme occidental, Tertullien demeure un pionnier paradoxal. Il prit ses distances à l’égard des milieux judéo-chrétiens d’une époque antérieure, tels qu’il put en prendre connaissance à Rome ou à Carthage même. Il exploita les ressources de la philosophie et de l’art oratoire, développés chez les Latins sur la base de l’hellénisme impérial, mais pour exalter le caractère non systématique et, à première vue, absurde du dogme chrétien. Défenseur passionné de la grande tradition ecclésiale, il s’en sépara néanmoins pour fonder sa propre secte. Jamais il ne songea à produire un corps doctrinal équilibré et cohérent à la manière d’un Irénée de Lyon, mais ses intuitions fulgurantes influencèrent les énoncés du dogme trinitaire de Nicée. En introduisant les notions de persona et de trinitas dans la doctrine sur Dieu, Tertullien fournit à la foi nouvelle des concepts qui devaient traverser les millénaires. De même, son affirmation vigoureuse de deux natures dans l’unique personne du Christ anticipait de plusieurs siècles, au moins par sa formule, l’énoncé du concile de Chalcédoine (en 451). Enfin, son style tourmenté ne cesse d’illustrer le drame, toujours actuel, d’une conviction religieuse obligée de se donner une voix dans des langages culturels étrangers à sa tradition native, qui est celle de la Bible hébraïque.

C. K.

➙ Chrétiennes (littératures).

 R. Braun, Deus christianorum. Recherches sur le vocabulaire doctrinal de Tertullien (P. U. F., 1962). / J. Moingt, Théologie trinitaire de Tertullien (Aubier, 1966-1969 ; 4 vol.). / M. Spanneut, Tertullien et les premiers moralistes africains (Lethielleux et Duculot, 1969). / J. C. Fredouille, Tertullien et la conversion de la culture antique (Études augustiniennes, 1972).

Tessai

Peintre japonais (Kyōto 1836 - id. 1924).


En 1858, le brusque passage du Japon* au rang de « pays moderne », après trois siècles d’isolement, provoque, entre autres phénomènes, un engouement pour les arts occidentaux. Dans le domaine de la peinture, on distingue alors deux courants principaux : l’un occidental et l’autre japonais. En fait, cette dernière tendance, plus traditionnelle, est elle-même touchée par l’occidentalisation et donne naissance au « néo-classicisme », qui dominera la peinture de style japonais pendant la première moitié du xxe s. Réagissant contre cela, plusieurs artistes d’une indéniable originalité adoptent de nouveaux thèmes et une nouvelle pratique du pinceau. Parmi eux se situe Tomioka Tessai.

Si l’on voit en lui l’un des plus grands peintres du Japon moderne, il s’est toujours considéré lui-même plus comme un lettré que comme un peintre, travaillant pour se divertir, à l’écart des milieux artistiques et mû par une profonde individualité. Né à Kyōto dans une famille de marchands aisés, il est atteint dès son enfance d’une légère surdité, qui ne fait qu’accentuer son amour des livres. Très jeune, il se tourne vers les classiques confucéens, le taoïsme, le bouddhisme, l’histoire et la littérature nippones. Sa rencontre avec la nonne poétesse Otagaki Rengetsu est un événement déterminant. Tandis qu’il calligraphie les poèmes de la religieuse, celle-ci l’initie à l’art poétique et aux classiques chinois et japonais. Tessai peint dès cette époque, mais il s’adonne surtout à ses deux passions : la lecture et les voyages. De 1873 à 1881, il travaille pour le gouvernement à la restauration de sanctuaires shintō dans tout le pays. Puis il revient vivre à Kyōto, où il commence à être connu et apprécié. En 1917, devenu, bien que ne participant à aucune exposition, une personnalité éminente du monde artistique, il est élu membre de l’Académie impériale de peinture. Et, ne pouvant plus, avec l’âge, satisfaire son goût des voyages, il y remédie en créant au travers de ses œuvres tout un monde imaginaire, dont le mysticisme révèle la vigueur de sa vie spirituelle.

La subtilité des valeurs encrées de Tessai, souvent combinées à des couleurs brillantes, s’explique par sa technique. Le papier japonais lui permet de rendre une large gamme de tons d’encre, allant des effets voilés, dus à un pinceau très humecté, à des effets plus rudes, dus à un pinceau presque sec, qui attaque la surface du papier avec vélocité. De la même façon, les pigments minéraux que l’artiste utilise sont appliqués sur le papier très absorbant avec une rapidité et une habileté extrêmes, ce qui leur confère leur pureté et leur limpidité.