Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Templiers ou Chevaliers du Temple (suite)

L’attrait de l’ordre réside dans l’union qu’il opère entre les deux formes de vie les plus hautement prisées par la société médiévale, la vie religieuse et la vie chevaleresque. Les Templiers sont divisés en quatre classes : les chevaliers, les frères lais, les chapelains et les prêtres. Un grand maître, élu par les chevaliers, exerce l’autorité suprême, mais il doit consulter le chapitre de l’ordre pour toutes les décisions importantes, et le vote de la majorité est nécessaire pour sanctionner celles-ci.


L’essor des Templiers

Les ducs de Lorraine, après la première croisade, favorisent l’établissement des commanderies dans leurs États, si bien qu’à la fin du xiie s. douze commanderies du Temple existent en Lorraine ; on en comptera vingt-cinq lors de leur disparition, un siècle plus tard.

De 300 membres à la fin du xiie s., sans compter les frères lais, les Templiers passent à 15 000 à la fin du siècle suivant. Leur puissance économique provient de leurs possessions territoriales, des dons qu’ils reçoivent et de leur activité bancaire. Celle-ci, grâce aux privilèges que leur ont conférés les papes, est particulièrement fructueuse ; les Templiers deviennent les banquiers des papes et des princes comme des particuliers.

Tous ces avantages trouvent leur justification dans le rôle militaire qu’ils jouent en Orient. L’ordre du Temple avec les Chevaliers de l’Hôpital (Hospitaliers de Saint-Jean) y forment en effet l’avant-garde des armées chrétiennes. Le corps de cavalerie des Templiers, la première armée permanente du Moyen Âge, est un corps d’élite qui se couvre de gloire en de nombreuses occasions et notamment au siège de Damiette en 1218. Les Templiers mettent leurs richesses au service des plus nobles causes, tel le rachat des chrétiens captifs des infidèles. Ils dotent la Palestine d’une série d’ouvrages fortifiés, dont il existe encore de superbes vestiges : Arima, Tortose, Toron des Chevaliers, Chastel Blanc (Bordj Sāfītā), Château Pèlerin.


Les Templiers en accusation

La puissance militaire et politique des Templiers, leurs richesses aussi engendrent inévitablement la jalousie et la crainte des puissants. Après les croisades (1291), les papes et les rois cherchent à les affaiblir.

On propose d’abord de les obliger à résider en Palestine, de transformer leurs commanderies en établissements d’enseignement, d’affermer leurs terres, etc. On s’efforce aussi de les fondre avec les Chevaliers de l’Hôpital, mais le grand maître, Jacques de Molay, en 1306, s’oppose à cette initiative.

Le conseiller de Philippe IV* le Bel, Guillaume de Nogaret, l’auteur de l’attentat d’Anagni, est le véritable artisan du procès et de la chute des Templiers. On discerne mal cependant les raisons qui poussent le roi de France à mener l’affaire jusqu’à ses plus tragiques et plus iniques conséquences. Le Temple est puissant, mais bien moins que l’Hôpital, dont les biens sont encore plus considérables ; d’ailleurs, les richesses des Templiers seront données aux Chevaliers de l’Hôpital, et le roi n’en profitera pas.

Quoi qu’il en soit, le procès est instruit rapidement. Le dossier d’accusation, préparé dès 1305 grâce aux dénonciations d’un certain Esquin de Floyran, est présenté au pape Clément V, tout dévoué à Philippe le Bel, à qui il doit son élection, et une enquête est ordonnée.

Le 13 octobre 1307, le roi fait arrêter tous les Templiers résidant en France (2 000) et ordonne la saisie de leurs biens. Les accusations lancées par le roi imputent aux chevaliers les crimes les plus odieux : hérésie, blasphèmes, débauches, sodomie, etc. L’opinion publique, irritée par leurs richesses et leur orgueil, inquiète du secret dont s’entourent leurs chapitres et leurs cérémonies d’initiation, se montre satisfaite et appuie le pouvoir royal. Les expressions populaires « jurer comme un templier », « boire comme un templier » illustrent bien l’état de l’opinion à leur égard.

Les prisonniers, séquestrés et torturés, finissent par avouer. Le faible Clément V les défend mollement ; en février 1308, toutefois, il se réserve la poursuite exclusive de l’affaire. Entre-temps, les Templiers se sont ressaisis et ils rétractent solennellement les aveux passés sous la torture.

Philippe le Bel fait approuver sa conduite par une assemblée de notables réunis à Tours (mai 1308) ; il attaque alors le pape ; lors de l’entrevue de Poitiers, Clément V cède et confie le procès des chevaliers aux évêques du royaume (juill. 1308).

Au concile provincial de Sens (mai 1310), ville dont l’archevêque est le propre frère du légiste Enguerrand de Marigny, des prélats dévoués au roi condamnent 54 chevaliers au bûcher, comme relaps. Ils sont brûlés à Paris près de la porte Saint-Antoine. Nogaret exige ensuite de Clément V la réunion d’un concile à Vienne (oct. 1311) chargé de la condamnation de l’ordre tout entier. Mais, à l’étranger, les enquêtes ont tourné en faveur des chevaliers ; aussi le concile se montre-t-il réticent.

Philippe le Bel use alors de nouvelles violences contre le pape et se rend à Vienne avec son armée. Devant ces menaces, Clément V, le 3 avril 1312, par la bulle Vox in excelso, proclame, sans attendre la décision du concile, la dissolution de l’ordre du Temple, le procès des personnes devant se continuer comme précédemment. Le 3 mai, le pape transfère les richesses de l’ordre aux Hospitaliers, le roi de France recevant une indemnité de 200 000 livres tournois.

Le roi charge ensuite trois cardinaux français de juger les grands dignitaires de l’ordre, qui ne cessent de proclamer leur innocence. Le 18 mars 1314, Jacques de Molay, le grand maître de l’ordre, et ses compagnons, après avoir refusé de reconnaître publiquement les crimes dont on les accuse, sont brûlés vifs dans l’île aux Juifs, près de l’île de la Cité. Avant de mourir, Jacques de Molay assigne ses bourreaux, le pape et le roi de France, devant le tribunal de Dieu. Les historiens ont confirmé l’innocence des Templiers, que Dante, leur contemporain, avait déjà proclamée dans sa Divine Comédie.

P. R.

➙ Latins du Levant (États) / Philippe IV le Bel.