Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

automate (suite)

Le Moyen Âge merveilleux

L’imagination des conteurs peuple d’automates merveilleux la littérature médiévale courtoise et chevaleresque : statues de cuivre en forme de guerriers tout armés et montés, hommes d’armes mus par des dispositifs artificiels, enfants de bronze sonnant du cor, cerf façonné en or rouge portant 24 oiseaux siffleurs dans sa ramure se trouvent successivement dans les Enfances et les amours de Lancelot du Lac, Huon de Bordeaux, le Pèlerinage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople et dans le Poème de Salomon et de Morolt. Le chef-d’œuvre de cet automatisme idéal serait alors cette statue animée d’Iseut la blonde, commandée par Tristan aux meilleurs mécaniciens du temps. Les délicates enluminures du Traité des automates arabe d’al-Djazarī (1206) et les miniatures européennes représentant des automates ne sont que les illustrations artistiques de ces rêves impossibles.

En fait de réalisations effectives, il existe à cette époque un exemple certain, c’est le jaquemart, homme de bronze qui, dès le xive s., est substitué au sonneur, en haut des beffrois, pour piquer les deux fois 78 coups des heures sur la cloche, libérant ainsi l’homme d’une tâche éprouvante. D’autre part, il reste dans les archives des contrats, des mémoires, des factures qui évoquent la machinerie théâtrale compliquée, nécessaire à la mise en scène des « miracles », des « mystères » et des « passions » qui se jouent sur les parvis, ou les « feinctes » des automatistes de Robert II d’Artois pour le château de Hesdin (1295), ou encore les merveilles des résidences princières de Philippe III le Bon, inventées et réalisées entre 1433 et 1453 par Colard le Voleur, c’est-à-dire l’Illusionniste. Le Moyen Âge a illustré par la pratique un grand principe de l’automatisme moderne, celui de la rétroaction, en vertu duquel l’automate régularise et contrôle lui-même son action. C’est sur ce principe qu’est construite l’éolienne, dont le mouvement de rotation s’arrêterait par suite d’un changement de direction du vent, si son gouvernail, en la replaçant dans le lit du vent, ne lui faisait retrouver son régime. Les constructeurs des moulins à vent et à eau ont aussi résolu le problème de la régulation automatique de l’apport du grain en fonction de la vitesse de rotation de la meule. L’entonnoir distributeur du grain, le baille-blé, est secoué par simple frottement contre l’axe de la meule.


Les automates de pratique et de démonstration


Le xvie siècle rationnel

Continuant la tradition des automates sur la table des festins princiers, les ingénieurs de la Renaissance se surpassent en présentant des « entremets » mécaniques. L’un de ceux-ci est une grande pièce d’orfèvrerie figurant la « nef de Charles Quint ». L’Église, qui avait déjà eu recours aux automates pour la représentation des « mystères », demande aux mécaniciens de la Renaissance, le plus souvent des horlogers, des crucifix à bouche et yeux mobiles, aux plaies saignantes (le sang qui paraît jaillir du côté gauche est simulé par une tige de bois très mince et teinte de rouge qui descend et remonte dans la blessure béante), et des marionnettes animées mécaniquement (exemple : l’ânesse rétive du traître Balaam) pour illustrer les très longs sermons de l’époque. L’Europe de la Renaissance raffole des grottes et des fontaines où des automates distribuent l’eau (cf. Montaigne, Journal de voyage, lundi 3 avril 1581, Villa d’Este à Tivoli). Pour faire mouvoir ses automates hydrauliques et pneumatiques, et leur faire reproduire des sons, Salomon de Caus (v. 1576-1626) imagine la roue musicale, à laquelle aucun mécanicien de l’Antiquité n’avait jamais pensé. Cette roue est constituée par un cylindre garni de chevilles, ou picots, de cuivre ou de bois dur qui appuient successivement sur les touches d’un clavier, lesquelles libèrent des jets d’air comprimé dans des tuyaux d’orgue. Ce système animera tous les grands automates de la musique mécanique pendant trois siècles. On le retrouvera en 1951 sous la forme d’un tambour magnétique au nickel-cobalt portant un millier de pistes d’informations traduites par des têtes de lecture : c’est la mémoire de la machine UNIVAC (Universal Automatic Computer) fabriquée par Remington-Rand aux États-Unis. Cette roue musicale est divisée selon une méthode mathématique propre à Salomon de Caus, celle du notage à l’échelle, qui consiste à diviser la circonférence du cylindre en parties égales, pour placer sur les divisions des clous chargés de déclencher le passage de l’air dans les tuyaux sonores. Tandis que les ingénieurs du génie militaire Agostino Ramelli (1531-v. 1600) et Thomas Francini (1572-1651) construisent des machines de guerre, Salomon de Caus travaille pour la reine Anne d’Angleterre, le prince Charles, Frédéric l’Électeur palatin et Richelieu.


Le xviie siècle mécaniste

La traduction et l’étude du livre de Vitruve (ier s. av. J.-C.) De architectura par Claude Perrault (1613-1688) remet à la mode les automates oubliés de Ktêsibios d’Alexandrie. En même temps se perpétue la race des automates traditionnels, améliorée certes par l’application à leur mécanique des progrès réalisés dans la construction de savantes machines à calcul. En 1660, le magistrat Jacques Le Royer présente au roi un carrosse automoteur ainsi que des projets de galère sans voiles ni avirons, et d’aigle facteur de messages. En 1688, le capitaine de vaisseau Jean-Baptiste de Gennes (mort en 1704) réalise un paon artificiel qui marche et mange. En 1722, le Lorrain François-Joseph de Camus (1672-apr. 1732), s’adressant à Louis XV, lui rappelle le jouet mécanique, automate roulant, qu’il avait fait jadis pour amuser le dauphin ; machine rendue intelligente en apparence grâce à un programme de gestes et de mouvements prévus, matérialisé par des encoches inégales d’une roue de compte semblable à celle qui déclenche encore la sonnerie de nos horloges. Quoique moins prestigieux que les boîtes à calcul du xviiie s., les automates de tradition ouvrent la voie aux chariots endomécaniques et aux automates roulants des pionniers de la cybernétique. C’est avec Descartes que commence l’époque des automates modernes. En 1649, dans son Traité des passions de l’âme, celui-ci assimile l’animal d’abord, puis l’homme, à une machine automatique. Blaise Pascal lui-même fait une comparaison célèbre entre l’homme et l’orgue : « On croit toucher des orgues ordinaires en touchant l’homme. » (Pensées, CXI.) Cette philosophie mécaniste des animaux-machines fera naître une génération d’automates ; celle des « machines à raisonner », des machines arithmétiques : horloge à calcul (1623) de Wilhelm Schickard (1592-1635), machines à additionner et à soustraire (1642 et 1645) de Blaise Pascal, machine à multiplier et à diviser de Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716), machines à calcul (1670) de Robert Hooke (1635-1703) et, en 1673, celles de sir Samuel Morland (1625-1695), boîte à calcul de Kaspar Schott (1606-1666), etc. Au point de vue mécanique, la nouveauté apportée par leurs constructeurs était la roue à report automatique des dizaines.