Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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technologie (art et) (suite)

En quelques années, après que des informaticiens, vers 1965, se furent intéressés aux graphismes apparus sur les écrans cathodiques, les centres informatiques ont ouvert leurs portes aux plasticiens : celui du Massachusetts Institute of Technology, puis les firmes IBM et Honeywell et les centres d’universités telles que Vincennes ou Madrid. Les cinétistes, les premiers, afin de programmer un flux d’images lumineuses, firent appel à l’ordinateur. Celui-ci, maintenant, est beaucoup plus sollicité, puisqu’il intervient dans le processus même de création. L’artiste assemble des signes ou des « supersignes », tels que taches de couleurs ou formes élémentaires, en respectant des règles de composition qu’il s’est imposées, puis recherche un maximum de variantes de ces structures par évolution progressive systématique ou aléatoire. Il conserve les résultats qui satisfont son sentiment esthétique et qui constitueront son œuvre. Mais les espoirs placés en ses recherches ont été largement déçus ; les résultats recueillis sont peu encourageants. Serait-on dans une phase préliminaire où seuls quelques artistes-informaticiens, comme l’Allemand Manfred Mohr (né en 1938), se distinguent ? Peu d’artistes dominent les techniques de programmation, et l’utilisation de l’ordinateur est encore très limitée.

Dans ces manipulations d’outils perfectionnés, l’artiste ne s’approprie que le produit de la technologie, filtré selon sa méthode et sa pensée. À cet engouement pour la machine esthétique, pour le « folklore technologique » s’opposent les défenseurs d’un art scientifique et objectif.


La technologie, support d’un art scientifique

Tout un courant artistique contemporain tente de mettre en évidence les différents processus et concepts qui régissent le monde, renouant avec l’ère préscientifique où art et science reflétaient le même besoin humain d’une domination du monde par son interprétation.

Une théorie de l’esthétique informationnelle ou numérique est notamment défendue par Abraham Moles, Max Bense et Siegfried Moser. Abraham Moles développe dans ses écrits une théorie informationnelle de la perception esthétique, l’esthétique devenant une science de la découverte et le phénomène artistique étant considéré comme une somme de messages codés par un émetteur, l’artiste, à l’intention d’un récepteur, le spectateur. C’est dans cette voie que se sont engagés des plasticiens comme le Néerlandais Peter Struycken (né en 1939) et l’Espagnol Eusebio Sempere, dont les travaux portent sur les rapports entre les diverses perceptions sensorielles.

Des chercheurs artistiques explorent d’autres domaines hier encore étrangers à l’art. Certains se penchent sur la linguistique, tel le groupe britannique Art-Language, sur la science de l’environnement et l’urbanisme, tel le Français Jean-Michel Sanejouand (né en 1934) avec ses occupations d’espace, ou encore sur la mécanique, tel le Belge Panamarenko (né en 1940), qui tente de mettre au point des machines volantes fondées sur la notion d’« unité force/homme ».

Les concepts énergétiques retiennent l’attention d’un plus grand nombre. Faisant appel à la technologie, ils démythifient les processus physiques de la nature, nimbés jusqu’alors de leur auréole scientifique. L’essence de l’art serait-elle de plus en plus, comme l’affirme le critique Jack Burnham, l’énergie pure et l’information ? Toutes ces œuvres cherchent, en effet, à visualiser des phénomènes cachés, à signaler des ordres occultés. Le caractère didactique est souvent renforcé, et la participation du spectateur sollicitée.

Véritable « palais de la découverte », l’œuvre du Français d’origine polonaise Piotr Kowalski (né en 1927) est un modèle du genre. Depuis le début des années 1960, selon une méthode parfaitement systématique et objective, il a élaboré un « vocabulaire » apte à visualiser des concepts scientifiques, variant à l’extrême les techniques employées : structures de tubes de néon, sculpture de gazon, sculpture à la dynamite, objets manipulables, cubes électroniques... Il conçoit plusieurs « machines pseudo-didactiques », telle celle qui montre qu’à partir de deux éléments on peut obtenir une multitude de situations (1961) : sur une feuille de caoutchouc, disposée entre deux points dont l’un est fixe, l’autre mobile, joue un liquide doré. La plus simple des démonstrations de Kowalski, la « sculpture » de gazon en forme de cône (1967), obtenue en semant le gazon sur la surface d’un plateau animé d’un mouvement rotatif, image sa « leçon » : les limites de la matière soumise à la pression de l’énergie.

Le Grec de Paris Takis (Panayotis Vassilakis, né en 1925), pour sa part, s’est intéressé au magnétisme. Ses « Télésculptures », ses sculptures électromagnétiques révèlent le principe d’équilibre d’un système, suspendu ou en mouvement. Boule arrêtée dans sa course vers l’aimant par la tension d’un fil, masse oscillant sous l’effet de deux champs magnétiques sont autant de configurations d’énergies que l’esprit enregistre sans qu’elles aient été perçues par le regard. « Ils produisent des forces qui ne peuvent se mesurer qu’à leur effet sur ce qui les entoure », a noté le critique Dennis Young à propos de Takis et de Hans Haacke. L’Allemand Haacke (né en 1936) s’est plus particulièrement intéressé aux forces de la nature telles que les éléments atmosphériques. Lorsqu’il érige une sculpture de glace formée par la condensation de l’humidité de l’air ambiant, il crée artificiellement un phénomène naturel : le froid.

Le corps humain, avec tous ses rouages « mystérieux », attire certains de ces démystificateurs, comme l’Américain Thomas Shannon (né en 1947) ou le Français Jean Dupuy (né en 1925). Avec Squat (1966), Shannon visualise le potentiel électrique de deux corps vivants mis en contact. Le visiteur frôle une plante : s’activent des moteurs qui, à leur tour, font danser un automate trébuchant et des miroirs pivotants. Jean Dupuy, quant à lui, sonorise et visualise les vibrations organiques : des stéthoscopes appliqués en différents endroits du corps communiquent des sons ultérieurement amplifiés, qui mettent en mouvement de la poussière déposée sur les membranes de haut-parleurs.