Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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technologie (art et)

La technologie, cette reine omniprésente du xxe s., souvent ressentie comme provocatrice et destructrice, agrandit sans cesse son champ d’action. Les arts plastiques font dorénavant partie de son territoire de chasse. « Artiste-informaticien », « ingénieur-plasticien », « chercheur artistique »... ont fait leur entrée dans le vocabulaire des arts, autant d’associations de mots qui, hier encore, auraient fait frémir d’indignation !



Historique

Si le répertoire des réactions des artistes face à l’univers technique, dressé par Pontus Hultén (né en 1924) dans son exposition new-yorkaise « The Machine » (1968), mettait en évidence deux attitudes opposées, la mise au pinacle et la dérision, il présentait aussi les recherches avant-gardistes d’utilisation des techniques les plus avancées. Les expositions consacrées à ces recherches, d’abord intégrées aux grandes manifestations cinétiques*, se sont multipliées depuis la fin des années 1960 : en Grande-Bretagne, « Cybernetic Serendipity » (Institute of Contemporary Arts, Londres, 1968) ou « Computer Arts Society » (Brunel University, près de Londres, 1970) ; aux États-Unis, « Art and Technology » (Los Angeles, 1971) ; en France, « Nature et Technologie » à la manifestation « Sigma 7 » de Bordeaux (1971). Des éclairs électroniques, une fleur géante aux antennes hydro-électriques, un robot attiré par les ondes sonores, Rosa Bonson, accueillaient le visiteur de « Cybernetic Serendipity », tandis que des oscillogrammes l’accompagnaient à travers un labyrinthe planifié...

L’unicité grecque de la tekhnê, à la fois art et technique, serait-elle retrouvée ? L’art d’aujourd’hui renouerait-il avec la tradition de l’art de la Renaissance, qui cherchait à maîtriser et intégrer l’anatomie et la perspective, acquisitions de l’époque ? Le fossé creusé par l’ère mécanique et rationnelle entre la science et l’art serait-il comblé à l’âge de l’irrationnel et de l’aléatoire ? L’idée hégélienne de la sujétion de l’art à l’« esprit de la science » semble battue en brèche, les entités du sociologue sir Charles Percy Snow — culture littéraire, culture scientifique —, réfutées. Certains théoriciens croient même à l’absence de différences fondamentales entre la création scientifique et la création artistique.

Mais, en fait, l’utilisation de la technologie dans l’œuvre d’art relève de deux démarches totalement différentes. L’une renouvelle les moyens de l’expression artistique ; elle cherche à transposer les techniques de l’ère cybernétique dans des styles formels d’un nouvel ordre. L’autre parle un langage scientifique à l’aide de la technologie, remettant en cause la nature et le but de l’art. Ces deux attitudes sont issues des mouvements qui ébranlèrent les fondements de l’art au début du siècle. Sur le champ de ruines laissé par dada*, il fallait reconstruire. La brosse et le ciseau allaient être bannis par certains, le socle et le mur détrônés, de nouveaux instruments se présenteraient, et parmi ceux-ci les fruits de la technologie. Notons que les premières machines introduites dans le sanctuaire artistique, certes animées d’un esprit de dérision, sont filles de Marcel Duchamp* et de Francis Picabia*. Les constructivistes (Pevsner* et Gabo, Tatline*...) et les partisans d’un art « concret » (Max Bill...) se laisseront quant à eux envoûter par la magie des mathématiques, de la géométrie, des nombres, et donneront naissance à un art qui se développera dans le champ magnétique de la science.


La technologie, nouvel outil plastique

« Les arts plastiques se servaient récemment encore des moyens que les hommes préhistoriques utilisaient dans leurs cavernes, moyens manuels tels le dessin, le grattage, le modelage, la peinture appliquée par pinceau ou vaporisation. L’ordinateur* contraint maintenant l’art à effectuer le saut de l’âge de pierre à l’ère cybernétique », affirme Herbert W. Franke.

L’art inspiré par l’environnement mécanique et technologique s’en est approprié certaines composantes. Apparu avec les œuvres cinétiques en mouvement réel, l’emploi de ces techniques s’est de plus en plus diversifié : du simple moteur animant des sculptures mobiles à la machine créant des combinaisons d’images lumineuses selon un cycle de programmation complexe. Du mobile suspendu à un fil de Nylon à l’œuvre à rotation programmée, l’itinéraire parcouru par Yaacov Agam (né en 1928) dans le maniement des effets physiques est caractéristique du cheminement de beaucoup de cinétistes. Ainsi, délaissant la lumière diffuse, certains utilisent le rayon lumineux parfaitement contrôlé du laser : Joël Stein, du Groupe* de recherche d’art visuel, réalise depuis 1968 des structures en mouvement dans l’espace, et le Suédois Carl Frederik Reuterswärd (né en 1934), des hologrammes. Les « sculptures cybernétiques » de l’Américain d’origine chinoise Wen-Ying Tsai (né en 1928) bénéficient de sa double formation d’artiste et d’ingénieur. Ces élégantes tiges d’acier en vibrations sous une lumière stroboscopique, qui réagissent à la proximité physique du spectateur et aux sons, se veulent démonstrations esthétiques d’une « réalité » : le volume virtuel.

D’autres se sont tournés vers la lumière et l’écran cathodiques. Nicolas Schöffer* semble avoir été le premier à expérimenter les possibilités offertes par les appareils de télévision avec ses « Variations luminodynamiques » (1961). Mais les travaux les plus systématiques et les plus intéressants en la matière sont dus au Coréen de New York Nam June Paik (né en 1932). Plus communément, la vidéo devient le support de certaines intentions artistiques de mouvements comme le land art ou l’art conceptuel*. Elle est l’outil idéal des artistes qui se préoccupent de la communication et d’un art sociologique, tels l’Allemand Wolf Vostell (né en 1932) ou le Français Fred Forest (né en 1933).

Le problème de la communication inspire à certains des robots agissant en fonction du spectateur. Ainsi Rosa Bonson (1968), déjà citée, du Britannique Bruce Lacey (né en 1927), qui marche à la rencontre du visiteur. Ainsi le Cinétone (1970) de l’Égypto-Français Roland Baladi (né en 1942), idole électronique qui réagit aux gestes du spectateur-acteur situé dans son champ de vision en émettant sons et faisceaux de lumière. Ces œuvres nécessitent la participation d’ingénieurs et de techniciens. Elles réclament aussi, le plus souvent, l’intervention de l’industrie, et plus particulièrement là où intervient l’ordinateur.