Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tchécoslovaquie (suite)

Durant plus d’un siècle, la Bohême, que l’historien Charles Burney qualifie alors à bon droit de « conservatoire de l’Europe », enverra compositeurs et instrumentistes aux quatre coins de l’Europe, le pays lui-même, réduit à l’état de simple province autrichienne, ne pouvant les nourrir tous. Privé du droit même de parler ou d’écrire sa langue, le peuple tchèque s’en inventa une autre : la musique.

Parmi ces émigrés, les plus illustres furent ceux de l’école de Mannheim*, qui tracèrent un chapitre essentiel dans le développement de l’orchestre et des formes symphoniques, tels Jan Václav Stamic (germanisé en Johann Stamitz, 1717-1757), Antonín Fils (Anton Filtz, v. 1730-1760) et František Xaver Richter (1709-1789), suivis d’une seconde génération, dominée par Karel Stamic (Carl Stamitz, 1745-1801), fils de Jan Václav. Leur influence décisive sur Mozart a été maintes fois soulignée.

La dynastie des Benda choisit le nord de l’Allemagne : František (1709-1786) fut violoniste à la cour de Frédéric II, cependant que Jiří (1722-1795) s’affirma par ses concertos pour clavier, ses symphonies et surtout ses quatre remarquables mélodrames scéniques, tout nouveaux en leur genre.

L’Italie accueillit Josef Mysliveček (1737-1781), qui y fit une carrière triomphale de compositeur d’opéras sous le nom de Venatorini (traduction de son nom) ou, tout simplement, d’« Il Divino Boemo », avant de mourir seul et abandonné à Rome. Mozart, qui le connut et l’admira, subit son influence.

Cependant, le gros de l’émigration musicale tchèque choisit Vienne, d’ailleurs plus proche de Prague : on y vit Jan Křtitel Vaňhal (1739-1813), pionnier de la symphonie, Leopold Koželuh (1747-1818), successeur de Mozart à la cour, les deux frères Vranický, Pavel (1756-1808), qui écrivit un Obéron avant Weber et célébra la Révolution française par des symphonies de circonstance, et son cadet Antonín (1761-1820), enfin František Kramář (Franz Krommer [1759-1831]), auteur fécond et original de concertos, de symphonies et de quatuors. Ces noms nous mènent déjà à l’orée du xixe s., qui vit la présence à Vienne de Vojtěch Jírovec (1763-1850) et surtout de Jan Hugo Voříšek (1791-1825), musicien de génie fauché à la fleur de l’âge, qui fraya la voie à Schubert dans ses Impromptus et dont les trop rares œuvres de grande envergure (Symphonie en « ré », Sonate pour violon) soutiennent la comparaison avec Beethoven.

Durant l’Empire et la Restauration, Paris accueillit à son tour quelques musiciens tchèques de premier ordre, tels Jan Ladislav Dusík (1760-1812), connu chez nous sous le nom de Dussek, pianiste virtuose et pionnier du style romantique dans ses sonates et concertos, qui annoncent fréquemment Chopin, et Antonín Rejcha (Anton Reicha, 1770-1836), illustre pédagogue, dont l’enseignement, aux vues très audacieuses, forma des natures aussi diverses que celles de Berlioz, de Liszt, de Gounod et de César Franck, qui furent tous ses élèves au Conservatoire.

Les compositeurs restés en Bohême, enfin, furent relativement rares, mais on citera tout de même František Xaver Brixi (1732-1771), František Xaver Dušek (1731-1799), ami et hôte de Mozart à Prague, puis Jakub Jan Ryba (1765-1815) et Václav Jan Tomášek (1774-1850), éminent pianiste et pédagogue.

Cette extraordinaire floraison de talents mit la Bohême à l’avant-garde de l’Europe musicale et explique que Mozart trouva d’emblée à Prague la compréhension que Vienne lui refusait.

La première moitié du xixe s. vit l’éveil du sentiment national, dont une des premières manifestations musicales fut le Raccommodeur de porcelaine, petit opéra comique en langue tchèque, représenté en 1826, de František Škroup (1801-1862), qui écrivit également la mélodie du futur hymne national. Mais Škroup ne fit que modestement préparer le terrain au véritable père fondateur de la nouvelle école nationale, Bedřich Smetana* (1824-1884), le premier en date des quatre grands « classiques » qui dominent, génération après génération, la musique tchèque jusqu’à nos jours. Le deuxième d’entre eux, Antonín Dvořák* (1841-1904), compléta dans le domaine des grandes formes instrumentales ce que Smetana avait accompli dans celui de l’opéra. À côté d’eux, il faut mentionner au moins le fécond et très romantique Zdeněk Fibich (1850-1900), peu connu hors de son pays, où ses opéras, ses symphonies, ses poèmes symphoniques et ses mélodrames demeurent au répertoire.

Le début du xxe s. fut entièrement dominé par le génie de Leoš Janáček* (1854-1928), troisième des quatre « grands », dont la personnalité flamboyante éclipsa des talents pourtant remarquables, comme ceux de Josef Bohuslav Foerster (1859-1951), lyrique méditatif et serein dans une immense production, comprenant notamment six opéras et cinq symphonies, de Vítězslav Novák (1870-1949), élève de Dvořák, tempérament panthéiste, impressionniste et sensuel, dont certaines œuvres des années 10 (la Tempête, Pan), audacieuses pour l’époque, révèlent l’influence de Debussy, de Josef Suk (1874-1935), élève et gendre de Dvořák, dont les grandes pages symphoniques inspirées par la mort prématurée de sa femme (Asraël, Conte d’été, Maturation, Épilogue) poussent l’expression de la douleur aux limites de l’expressionnisme et de la tonalité, d’Otakar Ostračil (1879-1935), enfin, élève de Fibich, mais influencé par Mahler et dont le style tourmenté et hardi culmine dans les opéras et surtout dans le Chemin de Croix pour orchestre.

Le rayonnant génie de Bohuslav Martinů* (1890-1959) domine toute l’école tchèque contemporaine. Ce quatrième « grand » a relégué dans l’ombre ses aînés et contemporains immédiats, comme Rudolf Karel (1880-1945), dernier élève de Dvořák, Ladislav Vycpálek (1882-1970), auteur de grandes fresques religieuses, Jaroslav Křička (1882-1969) et Otakar Jeremiáš (1892-1962).

Il est évidemment impossible de citer tous les compositeurs tchèques contemporains, dont le nombre, selon un récent dictionnaire publié à Prague, avoisine les cinq cents ! Alois Hába (1893-1973) fut le pionnier intrépide de la musique en quarts et sixièmes de ton dès le lendemain de la Première Guerre mondiale. Pavel Bořkovec (1894-1974) fut un vigoureux symphoniste dans la manière de Roussel, et cette génération comprend encore Karel Boleslav Jirák, Ervin Schulhoff (1894-1942) et Jaroslav Řídký (1897-1956). Deux noms dominent la génération suivante : celui de Miloslav Kabeláč (né en 1908), puissant symphoniste qui a su assimiler intelligemment certains procédés d’avant-garde et dont les sept symphonies dominent la riche production, et celui de Klement Slavický (né en 1910), auteur surtout d’admirables pages pour piano et de musique de chambre. Iša Krejčí (1904-1968), Jaroslav Ježek (1906-1962), Jaroslav Doubrava (1909-1960) et Václav Dobiáš (né en 1909) sont leurs contemporains les plus marquants. Parmi les compositeurs nés entre 1913 et 1919, il faut relever Miloš Sokola (né en 1913), Jan Kapr (né en 1914), qui s’est rallié à l’avant-garde et même aux modes d’écriture aléatoire, Jan Hanuš (né en 1915), Vítězslava Kaprálová (1915-1940), élève très douée de Martinů, morte à la fleur de l’âge, Jan Rychlík (1916-1964) et Jiří Pauer (né en 1919). Zbyněk Vostřák (né en 1920), chef et animateur de l’ensemble Musica Viva Pragensis, et Jarmil Burghauser (né en 1921) se sont orientés depuis une douzaine d’années vers les techniques d’avant-garde, tandis que leurs contemporains sont restés plus attachés au langage traditionnel, romantique dans le cas de Vladimír Sommer (né en 1921), de Jiří Jaroch (né en 1920) ou d’Otmar Mácha (né en 1922), néo-classique dans celui d’Ilja Hurník (né en 1922), de Viktor Kalabis (né en 1923) ou de Jan Novák (né en 1921). Ce dernier, élève de Martinů, était, avant son exil à la suite des événements de 1968, l’animateur d’un remarquable groupe de compositeurs de Brno (Moravie), comprenant Josef Berg (1927-1971), Miloslav Ištván (né en 1928), Alois Piňos (né en 1925) et Zdeněk Pololánik (né en 1935). Jindřich Feld (né en 1925) et Svatopluk Havelka (né en 1925) sont les compositeurs les plus en vue de la génération moyenne, suivis de Lubor Bárta (né en 1928) et de Petr Eben (né en 1929). Ce sont des musiciens traditionalistes au meilleur sens du terme. L’avant-garde est représentée par Václav Kučera (né en 1929), Marek Kopelent (né en 1932), sans doute le plus connu internationalement, Jan Klusák (né en 1934), Luboš Fišer (né en 1935) et Petr Kotík (né en 1942).