Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tchécoslovaquie (suite)

La littérature moderne d’expression tchèque

En poésie, Jan Neruda (1834-1891) continue d’abord la tradition du romantisme et s’inspire d’Erben. Mais il appartient bientôt à la pléiade de jeunes poètes groupés autour de l’almanach Máj (1858) et tentés par le cosmopolitisme. Le meilleur recueil de Neruda, chef incontesté du groupe, est son livre posthume Zpěvy páteční (Chants du vendredi saint, 1896), où son patriotisme tourne à la mystique.

À partir de 1870, la vie littéraire va se concentrer pour une vingtaine d’années autour des deux périodiques, Lumír, qui cherche à européaniser la littérature tchèque, et Ruch, plus patriotique et slavophile. Jaroslav Vrchlický (1853-1912) représente la première tendance. C’est un écrivain étonnamment fécond, auteur de grandioses épopées inspirées de Hugo et de Leconte de Lisle. Il a enrichi le langage poétique tant par son œuvre originale que par son activité de traducteur. Svatopluk Čech (1846-1908), véritable héros national, passionné de liberté pour son peuple, est représentatif de la seconde tendance.

La fin du siècle est surtout illustrée par Antonín Sova (1864-1928), Otakar Březina (1868-1929) et Petr Bezruč (1867-1958). Les deux premiers renouvellent complètement la technique du vers. Sova utilise un registre extrêmement varié, tour à tour réaliste, impressionniste, révolutionnaire, intimiste, patriotique. La poésie altière de Březina ne quitte jamais les sommets de la mystique. Bezruč, poète social, est le chantre de la Silésie tchèque opprimée (Slezské písně [Chants Silésiens] 1899-1900). Le sensualisme révolutionnaire de Fráňa Šrámek (1877-1952) et de Stanislav Kostka Neumann (1875-1947) réagit contre la culture bourgeoise.

Après 1918, la poésie prolétarienne inspire à Jiři Wolker (1900-1924) des accents pleins de fraîcheur et de chaleur humaine portés par une langue riche en contrastes et en hyperboles. La même veine est exploitée par Josef Hora (1891-1945) dans sa seconde période. Poétisme et surréalisme marquent les productions de Vitězslav Nezval* (1900-1958), de František Halas (1901-1949), de Jaroslav Seifert (né en 1901) et de Vilém Závada (né en 1905), dont les noms et les œuvres méritent une place de choix dans une anthologie de la poésie européenne.

Quant à la prose, deux auteurs contribuent à créer un instrument proche de la langue du peuple et bien adapté au roman (Němcová) ainsi qu’au style journalistique (Havlícěk). Le chef-d’œuvre de Božena Němcová (1820-1862), Babička (la Grand-Mère, 1855), décrit en traits qui annoncent le réalisme de la vie rurale. Karel Havlíček Borovský (1821-1856) fonde le journalisme moderne. C’est un polémiste de très grand talent, qui ne dédaigne pas le pamphlet satirique en vers. Karolina Světlá (1830-1899) est la romancière la plus douée du groupe Máj. Elle annonce le féminisme. Quant à Jan Neruda, c’est sa prose qui se lit surtout de nos jours, en particulier son immortel chef-d’œuvre, Povídky malostranské (Récits de Malá Strana, 1878), où sont campés avec humour et réalisme des types pris dans le petit peuple de Prague. Julius Zeyer (1841-1901), fin psychologue, excelle dans le roman exotique. Le roman historique est illustré par Alois Jirásek (1851-1930) et par Zikmund Winter (1846-1912). Réalisme et naturalisme inspirent une foule de bons prosateurs à la fin du siècle. L’influence du positivisme est sensible sur l’œuvre philosophico-politique de Tomáš Masaryk* (1850-1937), qui contribue à démontrer la fausseté des manuscrits « découverts » par le groupe Hanka, et sur celle du grand critique littéraire František Xaver Šalda (1867-1937).

Le roman, la nouvelle et le théâtre atteignent leur perfection entre les deux guerres avec Karel Čapek* et Jaroslav Hašek*. À côté des très grands, citons Marie Majerová (1882-1967) et Milan Kundera (né en 1929), l’un des espoirs de la prose tchèque contemporaine avec, entre autres, Žert (la Plaisanterie, 1967).


La littérature slovaque

Lorsque L’udovít Štúr (1815-1856) eut créé la langue littéraire slovaque sur la base du dialecte central, secondé dans ce travail par Michal Mihoslav Hodža (1811-1870) et par Jozef Mihoslav Hurban (1817-1888), le premier à utiliser le slovaque dans le second volume de l’almanach Nitra en 1844, on vit immédiatement fleurir une poésie nationale de très haute qualité. Deux épopées patriotiques, Marína (1846) et Detvan (1847), ont immortalisé Andrej Sládkovič (1820-1872), qui s’inspire de Pouchkine et de Kollár, non sans originalité. Janko Král’ (1822-1876) fait figure de héros national du fait de sa participation aux luttes révolutionnaires de 1848. Personnalité farouche et énigmatique, il se sent proche du peuple des montagnards et des forestiers slovaques, dont il utilise les chants et les légendes dans des vers d’une grande beauté. Jan Botto (1829-1881) s’inspire de Mácha lorsqu’il décrit la mort du brigand Jánošík dans son fameux poème lyrico-épique Smrt’ Jánošíkova (1862). Mais le véritable créateur de la langue poétique, Pavol Hviezdoslav (1849-1921), n’appartient déjà plus à la génération romantique. Admirateur et émule de Sládkovič, il écrit ses deux œuvres épiques majeures, Hájnikova žena (la Femme du garde-chasse, 1886) et Ežo Vlkolinský (1890), dans un style réaliste auquel se mêlent des échos du chant populaire. Ses emprunts à plusieurs dialectes slovaques ont définitivement enrichi le vocabulaire poétique. Son contemporain Svetozár Vajanský Hurban (1847-1916) décrit en romantique attardé la nature slovaque et les souffrances de son peuple.

La génération symboliste a donné à la Slovaquie son plus grand poète lyrique avec Ivan Krasko (1876-1958), mais les talents sont si nombreux dans cette jeune littérature qu’on hésite à dresser un palmarès : citons cependant Janko Jesenský (1874-1945) et Martin Rázus (1888-1937).

Le fondateur du roman est Jan Kalinčiak (1882-1871), dont le chef-d’œuvre, Reštavrácia (1860), est une peinture réaliste du milieu des hobereaux slovaques. Mais le plus grand prosateur est assurément Martin Kukučín (1860-1928), qui vécut surtout en Yougoslavie et en Amérique. On lui doit le premier roman slovaque de quelque dimension et de quelque profondeur psychologique avec Dom v stráni (la Maison sur la pente, 1904). Les prosateurs contemporains les plus remarquables sont Timrava (Božena Slančíková, 1867-1951) et Milo Urban (né en 1904), dont le roman Živý bič (le Fouet vivant, 1927), sur la Première Guerre mondiale, est sans doute la meilleure œuvre slovaque en prose d’entre les deux guerres.

Le théâtre slovaque n’a guère produit d’œuvres vraiment brillantes. Les meilleures productions restent les comédies écrites entre 1850 et 1860 par Jan Palarík (1822-1870).

Y. M.