Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tchécoslovaquie (suite)

Le « Château » ne représente pas la bourgeoisie, mais un groupe social d’origine très diverse. Intellectuel, professeur à l’université de Prague avant 1914, Masaryk aime choisir ses amis personnels et ses collaborateurs dans l’intelligentsia libérale. Le grand écrivain Karel Čapek est l’un de ses familiers. Son principal conseiller économique, Karel Engliš (1880-1961), un professeur de droit à l’université de Brno, sera à plusieurs reprises ministre des Finances.

• Les partis politiques et le Parlement détiennent un pouvoir réel. En Tchécoslovaquie, la liberté des élections est totale et les partis, y compris le parti communiste, peuvent librement développer leur activité publique. Le parti démocratique national, de Kramář, n’a pu s’adapter à la nouvelle situation politique. Il rassemble la droite traditionnelle, mais la rivalité personnelle qui oppose Kramář à Masaryk se termine très tôt par sa défaite. Le parti populiste (catholique), les Noirs, remporte une victoire électorale en 1925, mais il souffre de son conflit avec les populistes slovaques, les Lúdovci, de l’abbé Andrej Hlinka (1864-1938), qui sont la plupart du temps dans l’opposition. Le parti socialiste national est un rassemblement disparate d’anciens réalistes, partisans de Masaryk avant 1918, et d’éléments radicaux de la petite bourgeoisie. Beneš y adhère formellement en 1920, mais, malgré l’éviction de son adversaire Jiří Stříbrný (1880-1955) en 1926, il n’est jamais le véritable maître du parti. Le vrai centre de la coalition gouvernementale, c’est le bloc Rouges-Verts, sociaux-démocrates et agrariens. Le parti agrarien a largement profité du succès de la réforme agraire pour se créer une clientèle. Il contrôle en permanence trois ministères clés : l’Agriculture, l’Intérieur, la Défense nationale. La réforme administrative de 1927 lui donne un pouvoir étendu sur la haute administration. Le parti agrarien est fréquemment à la tête du gouvernement, notamment avec Antonín Švehla (1873-1933), président du Conseil de 1922 à 1929. Par son sens du compromis, Švehla maintient la cohésion de coalitions disparates. Dans les années 30, avec le Tchèque František Udržal (1866-1938) ou le Slovaque Milan Hodža (1878-1944), le parti agrarien est le centre de toute coalition gouvernementale. La social-démocratie est, depuis 1918, associée au pouvoir. Malgré une brève éclipse de 1925 à 1929, qui laisse la place à une coalition Noirs-Verts, elle est le partenaire des agrariens dans les gouvernements des années 30. Mais la vie intense des partis n’entraîne pas la dispersion et l’instabilité gouvernementale qui affaiblissent dans l’entre-deux-guerres les autres démocraties parlementaires. Les partis tchécoslovaques sont fortement structurés, et le pouvoir réel appartient aux directions nationales, qui imposent les candidats aux élections et maintiennent une forte discipline. Les états-majors des cinq partis au pouvoir ont créé une direction, la Pětka, qui prépare le travail de l’Assemblée et, en accord avec le « Château », dirige la vie politique tchécoslovaque.

Les partis des minorités nationales sont en général associés au pouvoir, comme les activistes allemands, qui, de 1926 à 1938, sont représentés au gouvernement. Les partis centralistes slovaques (agrariens, sociaux-démocrates) entrent dans la coalition gouvernementale, tandis que les populistes slovaques de l’abbé Hlinka se cantonnent en général dans l’opposition, malgré un bref passage dans le gouvernement Švehla de 1925 à 1929.

• La troisième source du pouvoir, ce sont les groupes d’intérêts économiques. Les intérêts agrariens sont fortement représentés. En 1934, ils font adopter le monopole d’État du blé. Surtout, leur poids dans la politique commerciale est prépondérant. Protectionnistes, les agrariens s’opposent à tout accord avec les pays agricoles, Roumanie et Yougoslavie, alliés de la Tchécoslovaquie, et ils pèsent donc indirectement sur la politique extérieure. Les intérêts bancaires et industriels forment un groupe de pression, l’Union des industriels. Mais les intérêts y sont souvent divergents. Le groupe de l’industrie lourde (largement exportatrice), soutenu par Jaroslav Preiss (1870-1946), directeur de la grande banque de Prague, la Živnostenská banka, est favorable à un certain libre-échangisme, tandis que les industries textiles ou alimentaires craignent la concurrence internationale. Mais la politique des industriels et des banques ne peut entrer en conflit avec le « Château ». Si Rašin, ministre des Finances au début des années 20, est favorable à leurs intérêts, Masaryk, avec l’aide d’Engliš, n’hésite pas à passer outre à leur opposition, en particulier lors de la dévaluation de 1934.


La crise économique et ses conséquences

La crise des années 30 touche durement la Tchécoslovaquie. Après la faillite de la Crédit anstalt-Bankverein de Vienne en mai 1931, elle gagne toute l’Europe centrale et orientale. La Tchécoslovaquie est vulnérable, car, largement exportatrice, elle dépend étroitement de son commerce extérieur. Le rétablissement du protectionnisme, le gel des avoirs tchécoslovaques dans les pays à clearing de l’Europe balkanique provoquent un effondrement brutal : de la base 100 en 1928, le commerce extérieur tombe à l’indice 35 en 1932 et en 1933. La production industrielle accuse un recul sensible, mais moins fort. En 1933, au creux de la vague, l’ensemble de l’industrie ne produit plus que 60 p. 100 de son niveau de 1929. Le chômage était presque nul en 1930, avec 47 000 chômeurs. En 1933, il touche 643 000 personnes, soit un tiers de la main-d’œuvre totale.

Mais le gouvernement de l’agrarien Jan Malypetr (1873-1947), qui obtient les pleins pouvoirs en juin 1933, prend des mesures décisives. Il ne se contente pas des remèdes classiques : aide aux chômeurs, grands travaux. En février 1934, le ministre des Finances Engliš impose, malgré l’opposition du grand capital, une dévaluation de la couronne. Ainsi se rétablit un certain équilibre avec le niveau mondial des prix. En octobre 1936, une seconde dévaluation suit de près la décision du gouvernement français de modifier la valeur de sa monnaie. Les résultats sont spectaculaires. Grâce aux mesures monétaires et à un effort de prospection systématique, le commerce extérieur se développe dans les pays riches, États-Unis et Europe de l’Ouest, tandis qu’il stagne dans les pays à clearing. En 1937, il est revenu à 67 p. 100 de son niveau d’avant la crise. La reprise de l’industrie est rapide après 1934, et l’année 1937 égale presque l’année 1929. Le nombre des chômeurs recule à 414 000 en 1937, mais il reste un point sensible de l’économie. Au total, la Tchécoslovaquie a assez bien surmonté la crise. Mais les différences régionales ont été considérables : la Slovaquie agricole, les régions allemandes des Sudètes, vouées aux industries de luxe ou aux industries lourdes, plus vulnérables, ont été très durement touchées. Les mouvements nationalistes des minorités en sortent renforcés.