Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tchang Kaï-chek (suite)

En août 1927, Jiang Jieshi se retire momentanément de la vie politique et s’en va au Japon, en raison probablement des menaces militaires qui pèsent sur Nankin. Après son départ, les discordes sont telles entre ses subordonnés qu’il est rappelé et rentre du Japon au début de 1928. Il épouse la même année la belle-sœur de Sun Yat-sen, Song Meiling, fille d’un grand banquier chinois, et se convertit au christianisme méthodique. En 1928 s’ouvre ce que l’on a appelé la « décennie de Nankin », c’est-à-dire le moment où l’unification du pays est presque réalisée. Le généralissime reprend en effet réexpédition ves le Nord » et vient à bout des derniers « seigneurs de guerre » soit par les armes, soit par la négociation. Il lui est beaucoup plus difficile de conjurer une autre menace intérieure, celle des bases rouges, que créent les communistes dans les campagnes du sud de la Chine. Le plus important de ces « soviets » est dirigé par Mao Zedong (Mao Tsö-tong*). Jiang lance cinq « campagnes d’anéantissement contre les communistes ». Il perd les quatre premières (de 1930 à 1933) et engage près d’un million d’hommes et des conseillers allemands pour écraser l’armée communiste. Les débris de celle-ci iront se réfugier au Shănxi (Chen-si) après une Longue Marche de plus de 10 000 km. Un autre élément vient contrecarrer les projets d’unification de la Chine de Jiang : la présence du Japon en Mandchourie dès 1931 et bientôt en Chine du Nord.

La lutte contre l’« ennemi intérieur » va considérablement grever le budget du gouvernement de Nankin.

Malgré les déclarations de Jiang Jieshi, qui soulignent la filiation de son régime par rapport aux principes de Sun Yat-sen, le gouvernement nationaliste est incapable de se dégager du conservatisme qui l’a aidé à s’installer. Le meilleur exemple en est le mouvement de la « Nouvelle Vie », patronné par Jiang, dont l’ambition est de fournir une idéologie nationale fondée sur un amalgame de vertus antiques, essentiellement confucianistes, et de christianisme primitif. Cette idéologie reflète le nationalisme conservateur du chef de l’État comme son relus de la démocratie et du libéralisme. Dans les faits, la politique menée par Jiang Jieshi traduit ses options : la réforme agraire tant vantée sera progressivement écartée, les innovations en matière économique profiteront aux seuls proches du régime et aux notables, le système ira de plus en plus vers une dictature politique qui cache mal ses faiblesses.

À partir de 1935, l’opinion publique marque de plus en plus ses préférences pour un front uni antijaponais, que réclament les communistes. En décembre 1936 a lieu à Xi’an (Si-ngan) un coup de théâtre : Jiang Jieshi, capturé par son second, Zhang Xueliang (Tchang Hiue-leang), est invité à conclure avec Zhou Enlai un accord de front commun. Il devient alors paradoxalement le vivant symbole de la politique qu’il combat depuis des années et l’incarnation de la Chine. Mais il continue de penser que le destin de son pays repose sur le Guomindang. C’est la raison pour laquelle il refuse d’engager franchement ses forces contre l’envahisseur japonais après le début de la guerre sino-japonaise en 1937 et tente de contenir les communistes, qui mènent une action de guérilla contre l’envahisseur avec l’appui des masses chinoises.

Paradoxalement, alors que le pouvoir de Jiang Jieshi, dont le gouvernement doit se replier à Chongqing (Tch’ong-k’ing), se réduit de plus en plus à l’intérieur du pays, son importance au niveau international ne cesse de s’amplifier. Jiang Jieshi devient « commandant suprême des opérations asiatiques » et assiste aux conférences de Téhéran et du Caire aux côtés de Churchill, de Roosevelt et de Staline. Cependant, sur le territoire chinois, l’influence communiste se fait de plus en plus sensible, et, lorsque la défaite nippone est consommée en août 1945, le rapport entre les deux forces se situe entre un en faveur des communistes et trois en faveur des nationalistes. Malgré l’entremise américaine et de longues négociations au cours desquelles Mao Zedong et Jiang Jieshi s’accordent pour reconstruire la Chine dans une perspective pacifique, la rupture entre les deux camps se révèle inévitable et la guerre civile éclate. Affaibli par les dissensions entre ses lieutenants, l’impopularité de son régime concussionnaire et les méthodes réactionnaires qu’il utilise, Jiang Jieshi trouve en face de lui une armée remarquablement organisée, qui bénéficie du soutien populaire. Après des victoires initiales, l’armée nationaliste perd les grandes batailles qui l’opposent à l’armée rouge. En janvier 1949, Jiang Jieshi abandonne la présidence de la République, à laquelle il avait été élu en mai 1948 en vertu de la Constitution promulguée en janvier 1947, et, après un court séjour à Chongqing (Tch’ong-k’ing), se réfugie en décembre 1949 à Taiwan (T’aiwan).

Mal accueilli par la population, abandonné par Washington, qui voit en lui une cause perdue, il instaure cependant un gouvernement à Taibei [T’ai-pei] et reprend ses fonctions de président de la République. Mais il ne doit sa relative remontée qu’à la guerre de Corée et à la « guerre froide ». Élu zongzai (tsong-tsai, « leader ») en 1952, il opère un redressement grâce à l’aide des États-Unis, progrès terni par des méthodes de pouvoir dictatorial et une caporalisation permanente motivée par une « reconquête du continent » à venir. La maladie et son âge avancé vont peu à peu l’obliger à remettre ses pouvoirs entre les mains de son fils Jiang Jingguo (Tsiang King-kouo, né en 1906), qui lui succède après sa mort en avril 1975.

Nationaliste conservateur, Jiang Jieshi reste surtout un soldat et un manœuvrier intrigant, marqué par une éthique étroite. Il a su hisser son pays sur la scène internationale tout en instaurant un régime archaïque qui ne pouvait que le mener à la faillite.

C. H.

➙ Chine / T’ai-wan.