Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tchang Kaï-chek

Homme politique chinois (Qikou [Ts’i-k’eou], près de Ningbo [Ning-po], province du Zhejiang [Tchö-kiang], 1887 - Taibei [T’ai-pei ou Taipeh] 1975). Tchang Kaï-chek est la forme coutumière cantonaise d’un nom dont la forme pékinoise est Jiang Jieshi (Tsiang Kiai-che).


Né dans une famille de négociants, Jiang Jieshi choisit la carrière des armes après des études classiques. Très tôt porté vers le nationalisme antimandchou, il part étudier à l’Académie militaire de Tōkyō, où il fait connaissance de Sun Yat-sen* et de son organisation d’alors, la Ligue d’union jurée (Tongmenghui [T’ong-mong-houei]), d’obédience républicaine. La révolution de 1911 voit Jiang retourner en Chine, où il participe, avec l’appui de sociétés secrètes antimandchoues, à la rébellion républicaine. Il obtient alors le commandement d’un régiment.

Pendant quelques années, il se consacre aux affaires et noue de précieux contacts parmi les sociétés secrètes qui mêlent politique et gangstérisme, en particulier celle de la « Bande verte ». Il est alors courtier à la bourse de Shanghai (Chang-hai) et s’assure de nombreux contacts avec le milieu des banquiers du grand port.

Mais il reprend bientôt du service et commande au début des années 20 l’armée du Guangdong (Kouang-tong), la seule force sur laquelle le parti de Sun Yat-sen, le Guomindang (Kouo-min-tang), puisse compter. À partir de ce moment, le « père de la révolution chinoise » lui accorde toute sa confiance. En 1923-24, grâce au rapprochement de Sun Yat-sen avec l’U. R. S. S., Jiang Jieshi se rend à Moscou, où il suit un stage d’études militaires. Il y rencontre Trotski, l’organisateur de l’armée rouge, G. V. Tchitcherine et les agents de l’Internationale communiste, Abram Ioffe et Henrikus Sneevliet (Maring). Il se dit très impressionné par les méthodes soviétiques de stratégie, comme par la notion de parti unique et celle de l’armée d’un parti. C’est l’époque où, en Chine, le Guomindang est réorganisé par des conseillers soviétiques (Mikhaïl Borodine, Galen) et où commence l’alliance avec le parti communiste chinois (P. C. C.), dont la création date de 1921.

À son retour à Canton, Jiang devient directeur de l’Académie militaire de Whampoa (en chin. Huangpu [Houang-p’ou]) et contrôle personnellement l’instruction et la propagande ainsi que la nouvelle orientation du Guomindang. Il a auprès de lui des conseillers russes et un communiste chinois, Zhou Enlai (Tcheou Ngen-lai* ou Chou En-lai). Le jeune général fait alors figure de « radical ».

La mort de Sun Yat-sen, en mars 1925, va considérablement accélérer son ascension vers le pouvoir. En moins de trois ans, en effet, Jiang réussit à dominer non seulement le Guomindang, mais aussi la plus grande partie du territoire et aboutit presque au vieux rêve de Sun Yat-sen : la réunification de la Chine. Pour parvenir à ses fins, il emploie tous les moyens. Son premier souci est de contrôler la machine militaire mise en place pour venir à bout des féodaux militaristes qui tiennent le nord du pays. Jiang aura pratiquement tous les pouvoirs, tant civils que militaires — il sera président du conseil de gouvernement et commandant en chef des armées nationales —, pour mener la grande « expédition vers le Nord ». En second lieu, il se rapproche de plus en plus de la droite du Guomindang — son concurrent le plus sérieux au pouvoir, Wang Jingwei (Wang Tsing-wei, 1883-1944), représente, lui, la gauche de leur parti — et, le 20 mars 1926, feignant de croire que les communistes en veulent à sa personne, il fait arrêter un certain nombre de ceux-ci et renvoie plusieurs conseillers soviétiques. Par ailleurs, Wang Jingwei quitte la Chine pour la France. L’alliance entre le Guomindang et le parti communiste chinois ne se défait pas, mais le rôle dévolu aux communistes est notablement réduit. Malgré cet avertissement et sur l’avis de Moscou, qui souhaite voir la collaboration se prolonger contre toute évidence, la réaction des communistes est purement formelle. Cette réserve s’explique sans doute par la volonté du parti communiste chinois de ne pas être exclu de l’« expédition vers le Nord », qu’il avait déjà commencé de préparer dans les campagnes et dans les villes du centre de la Chine. Le 1er juillet 1926, le nouveau généralissime de l’« armée révolutionnaire » annonce que l’expédition est lancée. Désormais, et jusqu’à sa fuite vers Taiwan (T’ai-wan) en 1949, le destin du nouveau leader du Guomindang devient national. En moins d’un an, l’armée, partie de Canton et forte de 100 000 hommes, s’empare du sud et de la vallée du Yangzijiang (Yang-tseu-kiang). Les succès sont dus à l’énorme propagande menée par les communistes et le Guomindang de gauche auprès des masses chinoises, à la diplomatie des « sudistes », à l’organisation et à l’unité de leurs troupes. Cependant, dès cette époque, Jiang Jieshi tente de freiner l’ardeur révolutionnaire ainsi que les nouvelles formes d’organisation et les réformes qui voient le jour. Il défend de plus en plus ouvertement la droite de son parti. Au début de 1927, des ressortissants étrangers ayant été molestés par des troupes sudistes, Jiang prend des sanctions exemplaires contre celles-ci et rassure les puissances occidentales. Le Guomindang est alors un parti coupé en deux camps bien distincts qui se partagent deux territoires : d’une part, les éléments de gauche, où se retrouvent la veuve et le fils de Sun Yat-sen, puis Wang Jingwei, que soutiennent les communistes ; d’autre part, le généralissime, qui possède l’essentiel du pouvoir militaire et a de plus en plus les faveurs du milieu financier chinois et celles de la colonie étrangère. Cette scission progressive ne va pas sans ambiguïtés. Ainsi, ce sont les militants syndicaux et politiques de Shanghai, organisés par des propagandistes — et parmi eux Zhou Enlai —, qui préparent la venue de Jiang en lançant à la fin du mois de mars 1927 une grève insurrectionnelle. Le 12 avril, les troupes de Jiang entrent dans la ville et commencent le massacre systématique de leurs anciens alliés. Il en sera de même à Canton et dans d’autres villes du sud et du centre de la Chine. Deux gouvernements nationalistes sont alors créés : celui de Nankin, sous la présidence de Jiang Jieshi, et celui de Wuhan (Wou-han), dirigé par Wang Jingwei et où siègent des communistes. Mais les dissensions qui naissent rapidement entre communistes et nationalistes au sein du gouvernement de Wuhan affaiblissent le pouvoir de celui-ci, et les communistes se voient bientôt abandonnés par la plupart des membres du Guomindang de gauche, qui vont grossir les rangs du gouvernement de Nankin.