Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

tapisserie (suite)

Bruxelles, Oudenaarde et Enghien, qui réaliseront notamment de belles verdures, travaillent à basse lisse, métier qui sera celui des centres de la Marche, Aubusson et Felletin. (V. Limousin.) Le métier à basse lisse comporte un châssis horizontal dans lequel sont tendus les fils de chaîne, chacun d’eux attaché par une lisse aux pédales commandant, l’une, l’ensemble des fils pairs, l’autre les impairs. Sous la nappe se loge le modèle, dont le praticien distingue une faible partie entre les fils de chaîne qu’il écarte. Il suffit donc de la légère erreur dimensionnelle d’un fil pour faire grimacer la figure qu’on reproduit. Pour contrôler l’exécution de l’ouvrage, il faut, en effet, démonter le métier, puis replacer le modèle exactement au bon endroit, opération délicate et longue que l’artisan n’entreprend qu’exceptionnellement. D’autre part, alors que le haute-lissier reproduit son modèle dans son sens, le basse-lissier le reproduit inversé : de là la minoration de valeur que dans le passé subissait la tapisserie de basse lisse. Au milieu du xviiie s., un chef d’atelier des Gobelins*, Jacques Neilson, fit créer par Jacques de Vaucanson le métier basculant qui permet à l’exécutant de vérifier l’exactitude de son travail sans démontage. Depuis cette époque, tous les métiers à basse lisse des manufactures nationales comportent ce perfectionnement essentiel. Par contre, les Flandres et la Marche opèrent sur l’ancien système. Pour pallier l’inconvénient résultant de l’inversion du dessin, l’atelier des Gobelins avait au xviie s. fourni aux « basse-lissiers » des modèles eux-mêmes inversés : plusieurs tentures de l’Histoire du Roy, sans fils d’or et de dimensions réduites, répètent leurs modèles sans que la différence d’exécution soit sensible.

Un trait beaucoup plus important, véritable mutation du système de composition, marque l’évolution de la tapisserie dès le début du xvie s. C’est au maître bruxellois Pierre Van Aelst (actif depuis 1497) qu’en 1515 le Saint-Siège commanda l’exécution de la célèbre tenture des Actes des Apôtres, exposée au Vatican et dont les modèles, dus à Raphaël*, sont conservés à Hampton Court. Raphaël composa ses modèles comme des tableaux, centrés sur un pôle d’attraction et comportant de vastes horizons. Le respect qu’on portait à l’art de Raphaël eut une autre conséquence : le lissier, qui prenait avec le « carton » les libertés qui lui paraissaient heureuses, obéit désormais au peintre. Si Le Brun*, produisant pour les Gobelins ses modèles, laisse aux lissiers le choix des couleurs « solides et franches », il les compose en tableaux. La tapisserie, d’ailleurs, avait cessé d’être une clôture intérieure : elle révélait les parois des appartements, devenue un élément du luxe exclusivement somptueux. C’est dans ce sens qu’elle évoluera, s’appli-quant à rivaliser avec la peinture — malgré la mode des grotesques que reflète un Audran*. Dès la mort de Le Brun, en 1690, et la surintendance de Louvois, zélateur de Pierre Mignard*, la révolution sera consommée. Bientôt, Jean-Baptiste Oudry*, devenu surinspecteur des Gobelins en 1736, commande à Boucher*, à Charles Parrocel et à leurs émules des modèles, composant lui-même la tenture des Chasses de Louis XV. Il exige des lissiers une reproduction fidèle de peintures délicates et claires : d’où la réforme de l’ordonnance des teinturiers de 1671 et l’introduction dans le répertoire des couleurs de tonalités nouvelles, créées par le chimiste Charles Du Fay. Mais les « petits teints » étaient fragiles. Les uns ont complètement disparu, les autres, combinés avec des couleurs solides traditionnelles, ont viré au bénéfice de celles-ci, désaccordant la composition.

La société du xviiie s. n’en réclamait pas moins ces tentures claires dont elle ne pouvait prévoir la future altération. Aubusson et Felletin tissaient des verdures dont les parties de paysage ont cessé depuis longtemps d’être vertes : le jaune de gaude s’en est évanoui, laissant subsister son dessous bleu de guède, qui est solide. Il en va de même de certaines verdures flamandes, encore que les ghildes soient, en thèse générale, demeurées fidèles à la technicité tinctoriale traditionnelle. Ce sont des lissiers flamands qui, au xvie s., fuyant les bourreaux du duc d’Albe, ont porté en Italie leur métier. Sienne la première, puis Ferrare, Mantoue et Florence ont accueilli des praticiens qui, pendant la durée généralement brève des règnes qui les protégeaient, ont produit, d’après les maîtres italiens, des chefs-d’œuvre qui subsistent : la Vie de saint Georges et saint Maurelins et l’Histoire de la Vierge, tissées par l’atelier de Jean Karcher et de Jan Kost († 1564), et les Douze Mois d’après le Bachiacca. Il en va de même en Espagne : deux manufactures, l’une opérant à basse lisse, l’autre à haute lisse, sont réunies en 1746 et se partagent l’exécution de plusieurs tentures qui subsistent, dont la Conquête de Tunis, et les 45 tapices d’après Goya*. L’Angleterre avait, sous les Stuarts, procédé à haute lisse : outre leurs admirables Actes des Apôtres, les ateliers de Philippe de Maecht, à Mortlake, ont produit une Histoire de Vulcain et d’exquises marines. À la fin du xviiie s. s’établit à Soho, faubourg de Londres, un atelier éphémère, mais qui a laissé des pièces à fond bleu de nuit semé de motifs isolés, d’un goût original. L’Allemagne avait pratiqué la tapisserie, ses manufacturiers venant des Flandres ; seul de ses ateliers, celui de Laningen, en Bavière, peut rivaliser avec les plus habiles : il travaillait au xvie s. Les artisans protestants qui se réfugièrent en Allemagne en 1685 n’ont pas fondé d’établissement durable.

G. J.


La tapisserie contemporaine

Dès le troisième tiers du xixe s., les administrateurs successifs des Gobelins se préoccupent — contre la tendance à une simple reproduction de la peinture — d’un retour aux qualités décoratives de la tapisserie.