Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

taoïsme (suite)

Le néo-taoïsme

Les premiers empereurs de la dynastie des Han (206 av. J.-C. - 8 apr. J.-C.) furent des admirateurs du taoïsme et pratiquèrent donc le laisser-faire.

À l’époque des Trois Royaumes (220-280), qui fait suite à la dynastie des Han, la Chine est partagée. La réunification fut réalisée par les Jin (Tsin), mais la paix devait être de courte durée. Dès 316 commencèrent les grandes invasions des peuples du Nord.

Il faudra plus de deux siècles et demi pour que la Chine du Nord assimile et sinise ses envahisseurs tartares et que l’unité de l’empire soit rétablie par la dynastie Sui (Souei) en 589. Pendant cette longue période de troubles où l’individu se sent impuissant et constamment menacé, l’évasion spirituelle que représente le taoïsme redevient une forte tentation pour les lettrés. Certains se consacrent à l’élaboration théorique de la philosophie taoïste et, souvent, expriment leurs idées sous forme de commentaires des auteurs anciens.

Wang Bi (Wang Pi, 226-249) écrit deux commentaires, l’un sur Laozi et l’autre sur le Livre des mutations (Yijing [Yi-king]). Xiang Xiu (Hsiang Sieou, v. 221-300) et Guo Xiang (Kouo Siang, † v. 312) commentent Zhuangzi. À ces écrits néo-taoïstes, on peut encore ajouter Liezi (Lie-tseu). Liezi est un livre ancien mentionné par les auteurs du ier s., mais perdu par la suite. Le livre du même nom qui existe aujourd’hui est une contrefaçon néo-taoïste du ive s. Il nous est précieux, car il nous renseigne sur la pensée de ces philosophes faussaires.

Wang Bi, Xiang Xiu et Guo Xiang précisent les idées de Laozi et de Zhuangzi ; ils les développent avec une logique plus rigoureuse.

Pour Laozi et Zhuangzi, le dao est l’être pur, sans essence, innommable, le néant. Sans être le vrai néant, il est une force par laquelle toutes les choses viennent à être. En portant plus loin l’analyse, Xiang Xiu et Guo Xiang parviennent à la conclusion que le dao est réellement néant. « Le dao n’est capable de rien. Dire qu’une chose est tirée du dao signifie qu’elle vient d’elle-même. »

Le mysticisme des anciens taoïstes devient ici une philosophie très proche d’un déterminisme mécanique.

Après l’apparition de la métaphysique taoïste, les confucianistes essaient d’incorporer celle-ci dans leur système. L’opposition des taoïstes oblige les confucianistes à approfondir leurs idées, à donner à leurs définitions un fondement philosophiquement plus solide. Au temps du néo-taoïsme, ce sont les philosophes taoïstes qui, à leur tour, influencés par le confucianisme, essaient de donner une nouvelle dimension à leur système. Leur désengagement vis-à-vis de la société fait place à un réengagement. Cependant, comme le sage taoïste obéit au principe du non-agir, « laissez chaque chose être ce qu’elle est », ce réengagement consiste tout simplement à éliminer l’idée de fuir la société et rien de plus. D’après Xiang Xiu et Guo Xiang, quand il y a changement dans les circonstances sociales, les nouvelles institutions et mœurs se produisent spontanément. Le déterminisme de ces philosophes et leur principe du « non-agir » les conduisent à une acceptation totale de la société telle qu’elle est et de son évolution inévitable.


Les contestataires de la société

Dans le système taoïste, la vraie valeur de l’homme réside dans son individualité, sa singularité. L’homme qui vit selon le dao vit selon lui-même et non selon les autres. À côté des théoriciens qui bâtissent le système, d’autres taoïstes tentent de le vivre. Tandis que ceux-là acceptent la société telle qu’elle est, ceux-ci sont des révoltés. Par l’ivresse, par des extravagances, par des propos qui surprennent ou scandalisent, ils se montrent non conformistes et contestataires de la société. Ils cultivent une personnalité libre de toute contrainte. Une telle personnalité est qualifiée de « yi », littéralement « fuir », c’est-à-dire « ce qui échappe à toute classification ». C’est une expression intraduisible qui désigne une spontanéité, une originalité qui va jusqu’à l’extravagance, l’outrage aux bonnes mœurs. Un tel esprit est aussi qualifié de « fengliu » (feng-lieou), qui signifie littéralement « vent et eau courante ». Chacun des mots, pris séparément, peut signifier « style ». La combinaison de ces deux mots suggère l’idée de liberté et d’aisance et aussi l’idée d’affinité entre l’homme et la nature. L’expression désigne surtout le charme qui se dégage d’une personne « yi ».

Parmi ces taoïstes, les plus célèbres sont les membres du groupe des Sept Sages de la Forêt des bambous : Xiang Xiu (Hiang Sieou, v. 221-300), Liu Ling (Lieou Ling, v. 220-300), Xi Kang (Hi K’ang, 223-262), Ruan Ji (Jouan Tsi, 210-263) et son neveu Ruan Xian (Jouan Hien, ?-?), Wang Rong (Wang Jong, 234-305), Shan Tao (Chan T’ao 205-283).


Le taoïsme dans la culture chinoise

Dans l’évolution des idées, le taoïsme représente l’esprit contestataire, s’opposant à la philosophie officielle du confucianisme*. Le confucianisme définit l’essence de l’homme, fixe les règles de conduite de l’homme dans la société ; le taoïsme réfute l’essence, ouvre l’horizon de l’homme vers l’univers, affirme la valeur de l’existence de l’individu. Cette opposition est à l’origine d’un long débat enrichissant pour les deux parties et qui se prolongera durant des siècles. Mais peu à peu cet antagonisme a fait place à une fusion.

Il ne faut évidemment pas oublier le rôle du bouddhisme*. Étant une philosophie de l’au-delà, il a des affinités avec le taoïsme. Beaucoup de néo-taoïstes se sont intéressés au bouddhisme et ont eu des moines pour amis. L’influence fut réciproque. La métaphysique du bouddhisme a beaucoup contribué à l’élaboration de la philosophie taoïste, et certains moines bouddhistes ont emprunté une forme de vie plus libertaire aux lettrés taoïstes.

L’esprit taoïste, puis l’esprit chan (tch’an*, plus connu sous le nom de zen, secte bouddhiste qui porte de fortes empreintes taoïstes) ont donné naissance à une littérature et à une peinture qui chantent le retour à la nature. Cette nature ne sert pas simplement de décor pour l’homme. L’homme y vit en communion interne avec les êtres jusqu’à l’oubli de soi. Ces paysages que les Chinois appellent « Montagnes et Eaux » décrivent un état d’âme. Baignés dans la brume, chaque cime, chaque arbre, chaque brin d’herbe, touchés par un regard contemplatif, devient vie et esprit.