Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tanzanie (suite)

L’archéologie et les sources orales ne permettent de saisir l’histoire de l’intérieur qu’à partir du xvie s. au plus tôt. Peut-être les migrations nilotiques ont-elles alors perturbé le nord du pays : la ruine de l’agriculture en terrasses irriguées d’Engaruka au xviiie s. semble liée à l’irruption des Masais. Trois foyers de cristallisation politique se dessinent de 1500 à 1800. Au sud, les Nyakyusas s’appuient sur une structure de classes d’âge. Au nord-est, les monts Paré et l’Usambara sont organisés par des rois forgerons et faiseurs de pluie. Au nord-ouest, les royaumes des bords du lac Victoria adoptent un modèle de monarchie sacrée analogue à celui de l’Ouganda.

Au cours du xixe s., ces structures politiques se transforment sous l’influence du commerce à longue distance et de la menace militaire que représentent les raids ngonis (dernière vague du mouvement zoulou). Des potentats en profitent pour se constituer des troupes permanentes, pour centraliser leur pouvoir et pour se constituer des revenus supplémentaires (taxes sur les caravanes). Les Nyamwezis offrent le meilleur exemple d’innovation politique. Déjà renommés au xviiie s. pour leur activité caravanière (commerce du fer, du sel, de l’ivoire), ils facilitent d’abord l’implantation arabe dans l’intérieur (comptoirs de Tabora, d’Ujiji, etc.). Mais, entre 1871 et 1884, un de leurs chefs, Mirambo, se crée un empire à la fois militaire et commercial au centre du pays.

Ces nouveaux pouvoirs n’auront pas le loisir de se consolider. La pénétration arabe sera rapidement relayée par celle des Européens. Depuis le milieu du xixe s., les explorateurs à la recherche des sources du Nil (R. Burton, J. H. Speke, Livingstone*, Stanley*, V. L. Cameron, O. Baumann, etc.) partent de Zanzibar vers les Grands Lacs. Ils sont suivis dans les années 1870 par des missionnaires protestants britanniques (London Missionary Society) ou catholiques français (Spiritains, Pères blancs). Leur action est présentée en Europe comme une croisade contre l’esclavagisme arabe. La Conférence de Berlin de 1884-85 inclut toute cette zone dans le bassin « conventionnel » du Congo. Mais au même moment Carl Peters (1856-1918), après avoir fait signer de nombreux traités dans l’arrière-pays de Dar es-Salaam, obtient une lettre de protection de l’empereur allemand. La Société de l’Afrique orientale allemande s’implante ainsi dans une région jusqu’alors plutôt influencée par les Britanniques. Un accord signé en 1886 délimite deux zones d’influence de part et d’autre du Kilimandjaro. Le sultanat de Zanzibar est réduit à une étroite bande côtière, d’ailleurs attribuée à bail aux deux puissances. La révolte de Buchiri (ou Boujiri) [1888-89] amène le Reich à intervenir directement. Un nouvel accord anglo-allemand délimite en 1890 la frontière de l’Ouganda et de la Deutsch-Ostafrika, Zanzibar devenant un protectorat britannique. La fin du xixe s. fut employée à conquérir militairement la colonie et à fixer ses frontières sur le terrain.

En 1891, la colonisation officielle avait remplacé le système de la compagnie à charte. Un peuplement européen se constitua au nord-est (plantations de l’Usambara et du Kilimandjaro). Mais la pression militaire et fiscale qui s’exerçait sur le pays suscita en 1905-06 un soulèvement général dans le Sud ; les rebelles se rallièrent à un mouvement prophétique dit maji-maji. Cette crise contribua à une réforme du régime colonial sous le ministre Bernhard von Dernburg (1865-1937). Le nouveau gouverneur, A. von Rechenberg, mit l’accent sur l’économie indigène. L’administration fut assouplie en fonction des conditions locales, le recrutement des travailleurs fut contrôlé, le programme ferroviaire fut accéléré (le chemin de fer central atteignit Kigoma en 1914), des écoles officielles furent créées, le swahili encouragé, la lutte contre la maladie du sommeil intensifiée. Mais en 1914 la principale exportation restait le sisal des planteurs européens, et la région la plus peuplée, au nord-ouest, était à peine ouverte.

La Première Guerre mondiale mit fin à la domination allemande malgré la résistance acharnée du général von Lettow-Vorbeck (1870-1964) face aux troupes britanniques et belges. En 1922, l’ancienne Deutsch-Ostafrika, amputée du Ruanda et du Burundi, devint le Tanganyika Territory sous mandat B de la Société des Nations. Sir Donald Cameron, gouverneur de 1925 à 1931, généralisa à partir de 1926 le système de l’administration indirecte, créant ou renforçant de façon souvent arbitraire les pouvoirs locaux des chefs dits « coutumiers ». Cependant, malgré la pression des colons, le gouvernement se refusa à intégrer le Tanganyika au reste de l’East Africa britannique.

L’économie demeure essentiellement agraire. Trois régions virent se développer les cultures de rapport africaines : celles de Bukoba et du Kilimandjaro pour le café, celle de Mwanza pour le coton. La crise de 1930, puis la Seconde Guerre mondiale (et les disettes des années 1940) amenèrent un renforcement des contraintes pesant sur la société rurale. La scolarisation, sous contrôle missionnaire, reste de niveau primaire. Le régime de tutelle de l’O. N. U. favorisa la participation des élites autochtones à l’administration locale. Mais, en 1952, le gouvernement se rallia à la politique dite « multiraciale » destinée à réduire l’influence des Africains au profit des minorités asiatique et européenne.

Cependant, les transformations économiques et culturelles avaient fait éclore de nouvelles forces sociales : coopératives de planteurs (à Bukoba et au Kilimandjaro dès 1924-25), associations urbaines à bases ethniques, religieuses ou professionnelles (commerçants, dockers). Les fonctionnaires se groupèrent à partir de la fin des années 1920 : leur Tanganyika African Association aboutit, en liaison avec d’autres mouvements populaires, à la définition entre 1939 et 1945 d’un véritable nationalisme tanganyikais. Le « multiracialisme » intensifia leur action : transformation en une Tanganyika African National Union (TANU) en 1954 sous l’égide du professeur (le Mwalimu) Julius Nyerere, appels à l’O. N. U. Après les succès électoraux de la TANU en 1958 et 1960, l’indépendance fut accordée le 9 décembre 1961. Nyerere fut élu président en 1962. Une crise grave fut surmontée en 1964 : la révolution antiarabe de Zanzibar aboutit à la fusion avec le Tanganyika en avril suivant (naissance de la Tanzanie en octobre 1964), mais une mutinerie militaire dut être réduite.